Moi, cette histoire des tableaux, ca m’a toujours fait une drole d’impression. Ils restent accroches pendant des annees et tout a coup, sans que rien se soit passe, j’ai bien dit rien, vlam, ils tombent. Ils sont la accroches a leur clou, personne ne leur fait rien, et eux, a un moment donne, vlam, ils tombent, comme des pierres. Dans le silence le plus total, sans rien qui bouge autour, pas une mouche qui vole, et eux : vlam. Sans la moindre raison. Pourquoi a ce moment-la et pas a un autre ? On ne sait pas. Vlam. Qu’est-ce qui est arrive a ce clou pour que tout a coup il decide qu’il n’en peut plus ? Aurait-il donc une ame, lui aussi, le pauvre malheureux ? Peut-il decider quelque chose ? Ca faisait longtemps qu’ils en parlaient, le tableau et lui, ils hesitaient encore un peu, ils en discutaient tous les soirs, depuis des annees, et puis finalement ils se sont decides pour une date, une heure, une minute, une seconde, maintenant, vlam. Ou alors ils le savaient depuis le debut, tous les deux, ils avaient tout combine entre eux, bon t’oublie pas que dans sept ans je lache tout, t’inquiete pas, pour moi c’est bon, alors d’accord pour le 13 mai, d’accord, vers six heures, ah j’aimerais mieux six heures moins le quart, d’accord, allez bonne nuit, bonne nuit. Sept ans plus tard, 13 mai, six heures moins le quart : vlam. Incomprehensible. C’est une de ces choses, il faut pas trop y penser, sinon tu sors de la, t’es fou. Quand le tableau se decroche. Quand tu te reveilles un matin a cote d’elle et que tu ne l’aimes plus. Quand tu ouvres le journal et tu lis que la guerre a eclate. Quand tu vois un train et tu te dis «je me tire ». Quand tu te regardes dans la glace et tu comprends que tu es vieux. Quand Novecento, sur l’Ocean, plein milieu, leva les yeux de son assiette et me dit : «A New York, dans trois jours, je descends. »

J’en suis reste baba.

Vlam.

Un tableau, tu ne peux pas lui poser des questions. Mais Novecento, si. Je le laissai tranquille un moment puis je commencai a le tanner, je voulais comprendre pourquoi, il y avait forcement une raison, un type ne reste pas trente-deux ans sur un bateau et puis tout a coup un jour il descend, comme si de rien n’etait, sans meme dire pourquoi a son meilleur ami, sans rien lui dire du tout.

« Il y a quelque chose que je dois voir, la-bas, il me fait.

— Et c’est quoi ?» Il ne voulait pas me le dire, et ca peut se comprendre, d’ailleurs, parce que quand il le fit, ce fut pour me dire :

« La mer.

— La mer ?

— La mer. »

Ben voyons. T’aurais pu penser a tout sauf a ca. J’arrivais pas a le croire, peut-etre qu’il voulait se payer ma tronche. Le coup du siecle.

«Ca fait trente-deux ans que tu la vois, la mer, Novecento.

— D’ici. Moi, je veux la voir de la-bas. C’est pas la meme chose. »

Bon Dieu de bon Dieu. J’avais l’impression de parler avec un mome.

«Eh bien, d’accord. Tu attends qu’on soit arrives au port, la tu te penches et tu la regardes bien. C’est la meme chose.

— C’est pas la meme chose.

— Et qui t’a raconte ca ? »

C’etait un denomme Baster qui le lui avait raconte, Lynn Baster. Un paysan. Un de ceux qui travaillent comme des mules pendant quarante ans et n’ont jamais rien vu d’autre que leur champ, et peut-etre une ou deux fois la grande ville, a quelques lieues de la, les jours de foire. Sauf que ce paysan-la, la secheresse lui avait tout pris, sa femme etait partie avec un predicateur quelconque, et ses momes la fievre les lui avait emportes, tous les deux. Le type ne sous une bonne etoile, quoi. Alors un jour il avait pris ses affaires, et il s’etait lance a traverser toute l’Angleterre a pied, pour aller jusqu’a Londres. Mais comme les routes ca n’etait pas son fort, au lieu d’arriver a Londres il s’etait retrouve dans un petit village au milieu de nulle part, un endroit ou, si tu continuais a marcher, apres deux virages, de l’autre cote de la colline, pour finir, tout a coup, tu voyais la mer. Lui, il ne l’avait jamais vue, la mer. Et ca l’avait foudroye sur place. C’etait ca qui l’avait sauve, a l’en croire. Il disait : «C’est comme un hurlement geant mais qui ne s’arreterait jamais de crier, et ce qu’il crie c’est : « bande de cocus, la vie c’est quelque chose d’immense, vous allez comprendre ca oui ou non ? Immense !« » Il n’y avait jamais pense avant, ce Lynn Baster. Sans blague, ca ne lui etait jamais arrive de penser une chose pareille. A tel point que, dans sa tete, ce fut comme une revolution.

Peut-etre que Novecento c’etait

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