Ferme l’exil apres avoir ferme la mort,

Puisqu’il est impossible a present que je jette

Meme un brin de bruyere a sa fosse muette,

C’est bien le moins qu’elle ait mon ame, n’est-ce pas?

O vent noir dont j’entends sur mon plafond le pas!

Tempete, hiver, qui bats ma vitre de ta grele!

Mers, nuits! et je l’ai mise en ce livre pour elle!

Prends ce livre; et dis-toi: Ceci vient du vivant

Que nous avons laisse derriere nous, revant.

Prends. Et quoique de loin, reconnais ma voix, ame!

Oh! ta cendre est le lit de mon reste de flamme;

Ta tombe est mon espoir, ma charite, ma foi;

Ton linceul toujours flotte entre la vie et moi.

Prends ce livre, et fais-en sortir un divin psaume!

Qu’entre tes vagues mains il devienne fantome!

Qu’il blanchisse, pareil a l’aube qui palit,

A mesure que l’?il de mon ange le lit,

Et qu’il s’evanouisse, et flotte, et disparaisse,

Ainsi qu’un atre obscur qu’un souffle errant caresse,

Ainsi qu’une lueur qu’on voit passer le soir,

Ainsi qu’un tourbillon de feu de l’encensoir,

Et que, sous ton regard eblouissant et sombre,

Chaque page s’en aille en etoiles dans l’ombre!

VIII

Oh! quoi que nous fassions et quoi que nous disions,

Soit que notre ame plane au vent des visions,

Soit qu’elle se cramponne a l’argile natale,

Toujours nous arrivons a ta grotte fatale,

Gethsemani, qu’eclaire une vague lueur!

O rocher de l’etrange et funebre sueur!

Cave ou l’esprit combat le destin! ouverture

Sur les profonds effrois de la sombre nature!

Antre d’ou le lion sort reveur, en voyant

Quelqu’un de plus sinistre et de plus effrayant,

La douleur, entrer, pale, amere, echevelee!

O chute! asile! o seuil de la trouble vallee

D’ou nous apercevons nos ans fuyants et courts,

Nos propres pas marques dans la fange des jours,

L’echelle ou le mal pese et monte, spectre louche,

L’apre fremissement de la palme farouche,

Les degres noirs tirant en bas les blancs degres,

Et les frissons aux fronts des anges effares!

Toujours nous arrivons a cette solitude,

Et, la, nous nous taisons, sentant la plenitude!

Paix a l’Ombre! Dormez! dormez! dormez! dormez!

Etres, groupes confus lentement transformes!

Dormez, les champs! dormez, les fleurs! dormez, les tombes!

Toits, murs, seuils des maisons, pierres des catacombes,

Feuilles au fond des bois, plumes au fond des nids,

Dormez! dormez, brins d’herbe, et dormez, infinis!

Calmez-vous, forets, chene, erable frene, yeuse!

Silence sur la grande horreur religieuse,

Sur l’Ocean qui lutte et qui ronge son mors,

Et sur l’apaisement insondable des morts!

Paix a l’obscurite muette et redoutee!

Paix au doute effrayant, a l’immense ombre athee,

A toi, nature, cercle et centre, ame et milieu,

Fourmillement de tout, solitude de Dieu!

O generations aux brumeuses haleines,

Reposez-vous! pas noirs qui marchez dans les plaines!

Dormez, vous qui saignez; dormez, vous qui pleurez!

Douleurs, douleurs, douleurs, fermez vos yeux sacres!

Tout est religion et rien n’est imposture.

Que sur toute existence et toute creature,

Vivant du souffle humain ou du souffle animal,

Debout au seuil du bien, croulante au bord du mal,

Tendre ou farouche, immonde ou splendide, humble ou grande,

La vaste paix des cieux de toutes parts descende!

Que les enfers dormants revent les paradis!

Assoupissez-vous, flots, mers, vents, ames, tandis

Qu’assis sur la montagne en presence de Etre,

Precipice ou l’on voit pele-mele apparaitre

Les creations, l’astre et l’homme, les essieux

De ces chars de soleils que nous nommons les cieux,

Les globes, fruits vermeils des divines ramees,

Les cometes d’argent dans un champ noir semees,

Larmes blanches du drap mortuaire des nuits,

Les chaos, les hivers, ces lugubres ennuis,

Pale, ivre d’ignorance, ebloui de tenebres,

Voyant dans l’infini s’ecrire des algebres,

Le contemplateur, triste et meurtri, mais serein,

Mesure le probleme aux murailles d’airain,

Cherche a distinguer l’aube a travers les prodiges,

Se penche, fremissant, au puits des grands vertiges,

Suit de l’?il des blancheurs qui passent, alcyons,

Et regarde, pensif, s’etoiler de rayons,

De clartes, de lueurs, vaguement enflammees,

Le gouffre monstrueux plein d’enormes fumees.

Guernesey, 2 novembre 1855, jour des morts.

(1856)

***
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