Cereales killer

Roman agricole

Je suis sans nouvelles de moi.

San-Antonio

Avant-Propos

JULIETTE

Dernier Chapitre

(servant en l'eau-cul-rance d'introduction a cette etrange histoire[1] )

Ce fut sans doute l'un des plus beaux matins du monde, puisque ce fut celui ou IL mourut.

La lune, quand elle est pleine, et toi aussi, te fait penser a un cul, admets ? Eh bien, cette nuit-la, pas du tout. C'etait une lune fielleuse, plus blanche qu'un lilas offert a une jeune tuberculeuse, zebree de nuages noiratres aux allures de crapauds, de vampires et de hiboux (lorsqu'ils n'ont rien a voir avec les joujoux, les bijoux et les sapajous). Une lune a laquelle aucun cineaste n'aurait ose crever l'?il avec un obus par peur de voir surgir de l'orbite defoncee tous les personnages malefiques hantant sa pensee. Une lune d'hiver, engendresse de froidure et de brumes. Elle projetait sur le sol cahoteux, chaotique et glace de la petite commune de Saint-Jean- Nivers une paleur bizarrement contrastee qui conferait a notre astre un aspect angoissant. Les branches squelettiques des pommiers du verger s'etaient chargees de givre et menacaient de se rompre a tout instant, comme des cols de femur dans un hospice pour genaires[2].

Anatole Blondeau etait agrippe au volant de son tracteur. Ses fesses debordaient de la selle de cuir comme les joues du regrette Louis-Philippe sur son jabot de dentelle. L'engin progressait dans la fantomatique blancheur du petit jour qu'accentuait la danse de ses phares. Le passage des pneus dans la gelee abandonnait une trainee baveuse d'escargot en balade sur un voile de mariee. Curieusement, ni la petarade du moteur, ni le brinquebalis du tombereau ne semblaient troubler la quietude de l'endroit.

Parvenu au sommet d'une butte, le paysan eteignit ses phares et coupa le contact. Petit a petit, les batiments de sa modeste ferme situee en contrebas commencerent a se dessiner sur sa retine. Il ne lui restait plus qu'a laisser son mastodonte descendre doucement le chemin, en controlant la vitesse a l'aide du frein a main.

L'equipage s'arreta dans un crissement aupres d'une espece de marigot qui de jour se revelait etre une vaste fosse a purin. Retablissant le moteur, Anatole man?uvra de facon a mettre a cul le tombereau au-dessus de l'ignoble liquide.

Anatole sauta de son poste de conduite, temoignant d'une souplesse surprenante pour un homme de sa corpulence. Il faut dire qu'il etait encore jeune, bataillant a peine sur les frontieres de la cinquantaine. Il retira les goupilles de la ridelle arriere, decouvrant une masse imposante qui occupait le centre du plateau.

Il s'agissait d'un corps humain auquel trois grosses pierres etaient attachees.

Le cultivateur actionna une manette qui provoqua le soulevement de la benne. Malgre l'inclinaison, le cadavre restait plaque au fond par le poids de son lest.

— T'veux pas y alla, t'vas y alla quand meme, s'impatienta Anatole.

S'emparant de sa fourche, il la planta sans repulsion dans la viande morte, pour aider le corps a glisser contre le metal et a plonger dans le lisier. Il y eut d'abord un gros floc, quelques remous dans le purin, un bruit d'egout en vidange puis le calme, le silence.

— V'la une tombe pour toi, mon salaud, murmura le paysan en se signant comme tout bon chretien en pareille circonstance.

Une lumiere venait de s'allumer au rez-de-chaussee de la fermette et une silhouette de femme replete se decoupait sur le pas de la porte.

— Natole ! Tu travailles deja a c't'heure ?

— Les betes, ca attend pas, ma pauvre Martha, fit le gros homme en s'approchant.

— Tu vas y laisser ta sante.

— Elle me sert a quoi ma sante, maintenant que Juliette est morte ?

Martha se jeta dans les bras de son mari.

— Ne parle plus de ca, je t'en supplie.

Elle portait pour tout vetement cette robe de chambre en pilou grisatre qu'il lui avait toujours connue. Anatole glissa sa main entre deux cuisses encore fermes, remonta jusqu'a une humide touffeur qu'il fourragea sans retenue. Puis il porta ses doigts a son nez, les huma longuement et decela sur son index le delicat fumet d'une potee en bonne voie de digestion. Ipso facto, il identifia l'aigrelette salinite de son medius. Satisfait, il claqua le fessier de sa femme.

— Prepare un cafe fort, Martha. La nuit a ete rude…

Premiere partie

MELANIE

Chapitre pommier(Pour rappeler le Napoleon de meme numero aux glandus qui ne l'auraient encore pas lu[3])

Quelque temps Pluto…[4]

Pour moi, le retour a la Grande Cabane apres quelques jours d'absence, c'est toujours emouvant. Un bourrin qui regagne son ecurie le dos en compote, les flancs laboures par un connard dument eperonne, bombe et cravache, doit ressentir le meme soulagement, la meme delivrance. Moi, ma paille c'est la moquette de mon burlingue et mon palefrenier, le brigadier Poilala, nouveau planton de la Tour Pointue.

Il m'accueille avec l'impeccable salut militaire mis au point en son temps par son pere, brigadier chef, dont le destin tragique s'acheva dans un attentat a l'explosif perpetre en ces lieux. De son geniteur, Poilala junior a conserve le sourcil haut et le front bas, le nez en bec d'oie gavee, le regard croise et ce besoin ganache de servir la gloire de la France qui tant fatigue nos heros.

— Comment s'est-ce-t-il passe ce voyage a Bruxelles, monsieur le commissaire ?

Lui, il sait que les titres pompeux me pompent le n?ud et que seul celui de commissaire m'agree (de canard).

— Frites, moules et Leffe pression, mon bon Poilala. Conforme, quoi.

En verite je te le dis, ce voyage en terre brabanconne revetait une importance capitale pour l'avenir de la police europeenne puisque le colloque auquel j'etais convie portait sur ce theme gravissime : « l'influence de la suppression des batons blancs des gardiens de la paix sur la recrudescence des accidents mortels chez les aveugles au volant. » Tu mords le dilemme ?

Je m'engage quatre a quatre dans l'escadrin. Poilala me rappelle.

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