l’autre, tandis que la chose surgissait en pleine vue.

Ca ne voulait pas mourir. Quelque chose s’enroula autour de sa taille et commenca a tirer.

Les silhouettes en combinaison sautaient et couraient dans l’espace confine mais les tentacules projetaient des filaments collants comme du goudron brulant. La cabine en etait envahie. Cirocco se sentit saisie par la jambe. La chose essayait de la lui arracher, comme un vulgaire pilon de volaille. Une douleur comme jamais elle n’en avait connu l’envahit mais elle continua de frapper le tentacule jusqu’au moment ou elle perdit conscience.

Chapitre 4.

Il n’y avait pas de lumiere.

Ce simple fragment d’information negative etait une chose a laquelle s’accrocher. Prendre conscience que ces tenebres envahissantes etaient le resultat de l’absence d’une chose appelee lumiere lui avait coute plus qu’elle n’aurait cru possible, a l’epoque ou le temps etait forme d’instants consecutifs, tels des perles sur un fil. Maintenant les perles s’eparpillaient entre ses doigts. Elles se rearrangeaient en un pastiche de causalite.

Toute chose necessite un contexte. Pour que l’obscurite fut signifiante, il fallait le souvenir de la lumiere. Ce souvenir s’evanouissait.

Cela s’etait deja produit auparavant et se reproduirait encore. Parfois, il y avait un nom pour identifier cette conscience desincarnee. Le plus souvent, seule subsistait cette conscience.

Elle etait dans le ventre de la bete.

(Quelle bete ?)

Elle ne pouvait s’en souvenir. Cela lui reviendrait. C’est ce qui se produisait en general si elle attendait suffisamment longtemps. Et il etait facile d’attendre. Ici les millenaires equivalaient aux millisecondes. L’edifice stratifie du temps n’etait plus que ruine.

Son nom etait Cirocco.

(Qu’est-ce qu’un sirocco ?)

« Sir-roc-o. C’est un vent brulant du desert, ou un vieux modele de Volkswagen. M’man ne m’a jamais dit lequel elle avait en tete. » Telle avait ete sa reponse usuelle. Elle se voyait en train de la dire, pouvait presque sentir des levres intangibles Prononcer ces mots sans signification.

« Appelez-moi capitaine Jones. »

(Capitaine de quoi ?)

Du VES Seigneur des Anneaux, VES pour vaisseau d’exploration spatiale, en route pour Saturne avec un equipage de sept personnes. L’une d’elles etait Gaby Plauget…

(Qui est…)

… et… et aussi… Bill…

(Quel etait ce nom deja ?)

Elle l’avait sur le bout de la langue. Une langue etait une chose charnue, douce… Cela se trouvait dans la bouche, qui etait…

Elle le savait il y a un instant. Mais qu’etait un instant ?

Quelque chose en rapport avec la lumiere. Quoi que ce fut.

Il n’y avait pas de lumiere. Etait-elle la auparavant ? Oui, surement, mais qu’importe, accroche-toi a ceci, ne laisse pas cette idee t’echapper. Il n’y avait pas de lumiere, ni rien d’autre non plus. Mais qu’etait rien d’autre ?

Ni gout. Ni odeur. Ni sens du toucher. Ni perception kinesthesique d’un corps. Pas meme une sensation de paralysie.

Cirocco ! Elle s’appelait Cirocco.

Le Seigneur des Anneaux. Saturne. Themis. Bill.

Tout lui revint d’un coup, comme si elle le revivait l’espace d’une seconde. Elle crut devenir folle sous le deferlement des impressions et avec cette pensee lui revint un autre souvenir, plus recent. Cela s’etait deja produit. Elle s’etait souvenue, et tout avait disparu. Elle etait devenue folle, bien des fois.

Elle savait que sa prise etait tenue, mais elle n’avait que cela. Elle savait ou elle se trouvait et connaissait la nature du probleme.

Le phenomene avait ete explore au siecle precedent. Mettez un homme dans une combinaison de neoprene, bandez-lui les yeux, attachez ses bras et ses jambes pour l’empecher de se toucher, eliminez tous les bruits de son environnement et laissez-le flotter dans l’eau tiede. L’apesanteur est encore preferable. On peut raffiner en l’alimentant par intraveineuse et en supprimant les odeurs mais cela n’est a vrai dire pas necessaire.

Les resultats sont surprenants. Bon nombre de sujets initiaux avaient ete des pilotes d’essai – des gens senses, equilibres, surs d’eux-memes. Vingt-quatre heures de privation sensorielle en faisaient des enfants malleables. Des periodes plus longues s’averaient tres dangereuses. L’esprit eliminait progressivement les rares distractions : le battement du c?ur, l’odeur du neoprene, la pression de l’eau.

Cirocco etait familiarisee avec les tests. Son entrainement avait inclus douze heures de privation sensorielle. Elle savait qu’elle devrait etre capable de trouver sa respiration, si elle cherchait assez longtemps. C’etait une chose qu’elle pouvait maitriser ; au rythme irregulier si elle en decidait ainsi. Elle essaya de respirer rapidement, essaya de tousser. Elle ne sentit rien.

La pression, alors. Si quelque chose l’entravait, il devrait etre possible de bander ses muscles pour y resister, ne serait-ce que pour sentir qu’elle etait maintenue, meme en douceur. Muscle par muscle, isolant chacun d’entre eux, visualisant leurs ligaments, leur position, elle essaya de les mouvoir. Un fremissement des levres lui aurait suffi : pour lui prouver qu’elle n’etait pas – comme elle commencait a le craindre – morte.

Elle ecarta cette idee. Tandis qu’elle conservait cette crainte normale de la mort, synonyme de la fin de toute conscience, elle entrevoyait maintenant quelque chose d’infiniment pire. Et si l’on ne mourait pas, jamais ?

Si la disparition du corps laissait ceci, derriere lui ?

Il pourrait exister une vie eternelle, une vie passee dans une eternelle absence de sensation.

La folie commencait a devenir attrayante.

Ses tentatives de mouvement se solderent par un echec. Elle abandonna et se mit a fouiller dans ses souvenirs les plus recents, esperant deterrer la cle de sa situation presente parmi ses ultimes secondes de conscience a bord du Seigneur des Anneaux. Elle en aurait ri, si elle avait pu localiser les muscles pour ce faire. Si elle n’etait pas morte, c’est qu’alors elle etait prise au piege dans les entrailles d’une bete assez grosse pour engloutir son vaisseau avec tout l’equipage.

Rapidement, cette idee aussi lui apparut attrayante. S’il etait exact qu’elle avait bien ete devoree et restait toutefois plus ou moins en vie, c’est qu’alors la mort restait encore a venir. Tout plutot que cette eternite cauchemardesque dont l’immense futilite se devidait a present devant elle.

Elle decouvrit qu’il etait possible de pleurer sans avoir de corps. Sans larmes ni sanglots, sans brulure dans la gorge, Cirocco pleura, desesperee. Elle redevint une enfant perdue dans l’obscurite, gardant sa blessure cachee au fond d’elle-meme. Elle sentit que son esprit revenait, l’accueillit ; et se mordit la langue.

Le sang tiede emplit sa bouche. Elle y nagea avec l’avidite et la crainte desesperee d’un petit poisson au sein d’une etrange mer salee. Elle etait un ver aveugle, une simple bouche garnie de dents dures et rondes, avec une langue gonflee cherchant a saisir ce merveilleux gout du sang qui s’evanouissait peu a peu.

Sans hesiter, elle se mordit a nouveau et fut recompensee par une fraiche goulee de rouge. Peut-on sentir le gout d’une couleur ? Elle s’interrogea. Mais quelle importance ? Elle avait mal, et c’etait merveilleux.

La douleur la projeta dans le passe. Elle leva le visage du tableau de bord aux cadrans brises, parmi les debris de pare-brise du petit avion ; elle sentait le vent geler le sang dans sa bouche. Elle s’etait mordu la langue. Elle porta la main a ses levres et deux dents maculees de rouge tomberent. Elle les regarda sans comprendre d’ou elles avaient pu venir. Des semaines plus tard, a sa sortie de l’hopital, elle les retrouva dans la poche de sa parka. Elle les placa dans une boite sur sa table de nuit pour les fois ou elle se reveillait avec a ses oreilles le doux murmure de la brise mortelle. Le deuxieme moteur est en rideau et il n’y a que de la neige et des arbres la-dessous. Elle prenait la boite et la secouait. J’ai survecu.

Вы читаете Titan
Добавить отзыв
ВСЕ ОТЗЫВЫ О КНИГЕ В ИЗБРАННОЕ

0

Вы можете отметить интересные вам фрагменты текста, которые будут доступны по уникальной ссылке в адресной строке браузера.

Отметить Добавить цитату
×