Elle acquiesce.

— Il a fait violer d’honnetes jeunes filles ; alors, pour reparer, vous vous etes prostituee. Il a torture des hommes, alors vous essayez d’en recuperer pour les soigner ?

— Si j’ai pris cette honteuse officine, c’est pour recruter ses victimes, soupire-t-elle. Ici, ne viennent que des hommes de condition modeste. De pauvres types. Des mutiles, des infirmes, des disgracies. Il est arrive qu’on en amene dans des petites voitures et qu’on les coltine jusqu’a moi pour que je leur donne un instant d’oubli. Je cherche ceux qui portent tatoue sur le flanc leur numero de detenu. Quand il s’agit de gens qui furent deportes dans le camp dirige par mon pere, je m’arrange pour leur venir en aide.

La lassitude rend sa voix plus rauque que de coutume. Curieuse histoire, mes amis, que celle d’Hildegarde.

— Pourquoi alors avoir entrepris cette equipee sanglante pour aider le prince Kelbel ?

— J’avais une dette envers lui, commissaire. Il avait aide mon pere a un moment ou le malheureux avait l’univers entierement contre lui.

Je continue de comprendre. De bien comprendre… Car tout cela est clair, tout cela est infiniment triste.

— Vous aimiez votre pere, malgre ses crimes ?

— Oui, et c’est pour honorer sa memoire que j’ai entrepris de reparer…

Quel beau monstre, cette Hildegarde ! Trop et pas assez de c?ur ! Un sentimentalisme excessif, ahurissant, dementiel, et la plus extraordinaire des implacabilites. Ange et demon. Le genie du mal et celui du bien. Doctoresse Jeckyl and Mrs. Hyde !

Elle quitte le canape et va ouvrir un placard.

— Eh ! faites gaffe, tonne le Mastar en s’interposant. Pas de blagues, ma gosse, je suis la !

Elle lui coule un froid regard.

— Imbecile, fait-elle.

Curieux, mais le Gros, n’importe qui d’autre lui aurait balance ca, il y allait de la grande torgnole. Il se contente de fulminer :

— Soyez polie !

Elle prend un flacon dans le placard. Un petit flacon bleu avec un bouchon de verre en forme de papillon. Je crois piger. Que dis-je, j’ai deja pige. Je n’interviens pas. Au contraire, comme Beru tend la main pour capter l’objet, je m’entends lui dire :

— Laisse, va !

Hildegarde boit, d’un coup. A la Erich von Stroheim. C’est raide, c’est determine. Elle lache le flacon bleu qui n’en finit pas de rouler sur le plancher. Elle reste un moment droite, dodeline la tete et s’abat doucement sur le canape.

Son beau et demoniaque visage est enfoui dans un coussin de velours jaune sur lequel est brode un innocent petit chat.

Berurier s’incline sur Hildegarde et lui tate le dos a l’emplacement du c?ur. Au bout d’un moment il se redresse.

— Toi, me dit-il, toi, je te comprendrai jamais !

JUSTE POUR DIRE D’EPILOGUER

Quelques jours plus tard, nous sommes tous reunis chez les Berurier, afin d’« arroser ca ». Se trouvent rassembles pour le galimafrage geant : M. et Mme Beru, cousine Laurentine avec la tronche enturbannee, Odile, moi et Mongeneral.

Le coq est encore drolement patraque, mais il reprend lentement de la plume de la bete. Il a la crete sur l’oreille, toujours a la chasseur alpin, et celle-ci, quoique blafarde, conserve quelque chose de crane.

On ne le met plus dans sa cage. Il demeure en liberte dans le logement du Gros. Sa Majeste le couve d’un ?il jaloux et veille personnellement a ce que ses remedes reconstituants lui soient administres. Laurentine, Berthy et le Mastar ne parlent plus que du claque de la rue Legendre. Ils ont decide de l’exploiter en commun. Berthe et Laurentine superviseront Mme Froufrou puisqu’en sa qualite de flic, mon ami ne saurait deployer une activite quelconque dans une maison de tolerance ; les benefices seront equitablement partages.

On ecluse quelques bouteilles de beaujolais avant de mettre le gigot a griller devant la cheminee. Berthe est sur la sellette, a cause de son bonhomme qui ne se lasse pas de lui faire raconter ses prouesses chez le prince. Non seulement il en a pris son parti, mais maintenant il se sent confusement flatte que son epouse ait ete la favorite d’un authentique monarque.

— Berthe, assure le Gros complaisamment, je l’avais toujours dit que c’etait un morceau de roi.

Son passage dans les alcoves princieres du Seigneurial Palace, c’est comme qui dirait les Mille et Une Nuits beruriennes.

— Raconte ce qu’y te faisait faire, apres la planche savonnee et le chalumeau en zigzag, cherie.

Alors, bonne pate, elle raconte. Elle explique le martinet gaucho, le bicorne a jugulaire, la moule a lorgnons, la dune deboisee, le carnaval very nice, l’olifant de chichoune, la figue cramoisie, le batonnet a vaseline et le fromager a glissiere.

Il est le seul a ne pas rougir, Beru. Il s’exclame :

— Ces gens du tres grand monde, c’est negriers et compagnie, mais pour l’amour, y craignent personne !

Laurentine que la vie — fut-elle strictement hospitaliere — de Paris rend tolerante, s’abstient de s’indigner et branle deja le chef d’un air entendu. Quand on s’apprete a devenir sous-maitresse, on ne peut se formaliser pour des broutilles ! Par contre, mon Odile a les larmes aux yeux. Ce que je suis bien avec elle depuis que j’ai cesse de l’aimer d’amour ! Le c?ur, c’est la pire des contraintes, la plus dure des servitudes. L’amour, sans lui, c’est vraiment un plaisir…

— Bon, c’est pas le tout, tranche Sa Majeste, faudrait songer a se perfuser des calories, mes bons amis.

Berthe porte tout a coup la main a sa bouche.

— Mon Dieu ! s’exclame-t-elle, j’ai oublie d’acheter du bois pour la cheminee !

— Casse la tienne, rigole Beru, je vais t’en fabriquer, du bois d’allumage, ma poule.

Et le voila qui s’empare de la cage de Mongeneral.

— C’te volaille, dit-il, riche comme Rote-Childe, on peut pas toujours l’embastiller.

La compagnie repond qu’en effet, un coq multimillionnaire ne saurait jouer le Masque de fer. Fort de cet assentiment general, Beru se met a defoncer la cage a coups de talon. Ca ne traine pas avec cecoinsse : cric, crac, boum ! la caisse est en morceaux.

— Sapristi ! qu’est-ce que c’est que ca ? clame B.B. en designant une sorte de bille de verre sur le plancher.

Le Gros se penche, tout le monde l’imite. L’emotion me rape le gosier. La bille en question n’est autre qu’un diamant bourre de carats. Et ce solitaire n’est pas seul. Il y en a une dizaine d’autres de meme taille dans les debris de la cage.

Le Mastar se met a baver, a palir, a secouer sa bonne hure, a stalactiter du naze, a se desagrafer le ratelier a force d’ouvrir grand son bec devenu insonore.

Je ramasse les pierres etincelantes. J’en ai lourd dans ma pogne. Une vraie fortune ! Les plus baths cailloux que j’ai jamais soupeses. Des tas de millions de nouveaux francs se bousculent a l’interieur de cette quincaille.

— Ce sont des diamants ! affirme Odile.

— Dans la caisse du coq ! bee Berthe.

— Le magot de notre oncle Prosper ! gicle Laurentine.

Pour lors, Alexandre-Benoit Berurier eclate en sanglots.

— Alors, c’etait donc vrai, gemit la chere grande ame, c’etait donc vrai, l’oncle Prosper, un receleur ! Un

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