nom de l’Occident lésé dans ses droits, la possession des bouches du Danube et dire à la Russie d’une voix impérieuse: «Tu n’iras pas plus loin». — Voilà certainement quelques articles du programme qui s’élabore maintenant à Presbourg. L’année dernière tout cela n’était encore que phrases de journal, maintenant cela peut, d’un moment à l’autre, se traduire par des tentatives très sérieuses et très compromettantes. Ce qui paraît néanmoins le plus imminent, c’est un conflit entre la Hongrie et les deux royaumes slaves qui en dépendent. En effet, la Croatie et la Slavonie, ayant prévu que l’affaiblissement de l’autorité légitime à Vienne allait les livrer infailliblement à la discrétion du Magyarisme, ont, à ce qu’il paraît, obtenu du gouvernement autrichien la promesse d’une organisation séparée pour elles, en y joignant la Dalmatie et la frontière militaire. Cette attitude que ces pays ainsi groupés essaient de prendre vis-à-vis de la Hongrie ne manquera pas d’exaspérer tous les anciens différends et ne tardera pas à y faire éclater une franche guerre civile, et comme l’autorité du gouvernement autrichien se trouvera probablement trop débile pour s’interposer avec quelque chance de succès entre les combattants, les Slaves de la Hongrie qui sont les plus faibles succomberaient probablement dans la lutte sans une circonstance qui doit tôt ou tard leur venir nécessairement en aide: c’est que l’ennemi qu’ils ont à combattre est avant tout l’ennemi de la Russie, et c’est qu’aussi sur toute cette frontière militaire, composée aux trois quarts de Serbes orthodoxes, il n’y a pas une cabane de colon (au dire même des voyageurs autrichiens) où, à côté du portrait de l’empereur d’Autriche, l’on ne découvre le portrait d’un autre Empereur que ces races fidèles s’obstinent à considérer comme le seul légitime. D’ailleurs (pourquoi se le dissimuler) il est peu probable que toutes ces secousses de tremblement de terre qui bouleversent l’Occident s’arrêtent au seuil des pays d’Orient; et comment pourrait-il se faire que dans cette guerre à outrance, dans cette croisade d’impiété que la Révolution, déjà maîtresse des trois quarts de l’Europe Occidentale, prépare à la Russie, l’Orient Chrétien, l’Orient Slave-Orthodoxe, lui dont la vie est indissolublement liée à la nôtre, ne se trouvât entraîné dans la lutte à notre suite, et c’est peut- être même par lui que la guerre commencera: car il est à prévoir que toutes ces propagandes qui le travaillaient déjà, propagande catholique, propagande révolutionnaire, etc., etc… toutes opposées entre elles, mais réunies dans un sentiment de haine commune contre la Russie, vont maintenant se mettre à l’œuvre avec plus d’ardeur que jamais. On peut être certain qu’elles ne reculeront devant rien pour arriver à leurs fins… Et quel serait, juste Ciel! le sort de toutes ces populations chrétiennes comme nous, si, en butte, comme elles le sont déjà à toutes ces influences abominables, si la seule autorité qu’elles invoquent dans leurs prières venait à leur faire défaut, dans un pareil moment? — En un mot, quelle ne serait pas l’horrible confusion où tomberaient ces pays d’Orient aux prises avec la Révolution, si le légitime Souverain, si l’Empereur Orthodoxe d’Orient tardait encore longtemps à y apparaître!

Non, c’est impossible. Des pressentiments de mille ans ne trompent point. La Russie, pays de foi, ne manquera pas de foi dans le moment suprême. Elle ne s’effraiera pas de la grandeur de ses destinées et ne reculera pas devant sa mission.

Et quand donc cette mission a-t-elle été plus claire et plus évidente? On peut dire que Dieu l’écrit en traits de feu sur ce Ciel tout noir de tempêtes. L’Occident s’en va, tout croule, tout s’abîme dans une conflagration générale, l’Europe de Charlemagne aussi bien que l’Europe des traités de 1815; la papauté de Rome et toutes les royautés de l’Occident; le Catholicisme et le Protestantisme; la foi depuis longtemps perdue et la raison réduite à l’absurde; l’ordre désormais impossible, la liberté désormais impossible, et sur toutes ces ruines amoncelées par elle, la civilisation se suicidant de ses propres mains…

Et lorsque au-dessus de cet immense naufrage nous voyons comme une Arche Sainte surnager cet Empire plus immense encore, qui donc pourrait douter de sa mission, et serait-ce à nous, ses enfants, à nous montrer sceptiques et pusillanimes?..

12 avril 1848

La question Romaine*

Si, parmi les questions du jour ou plutôt du siècle, il en est une qui résume et concentre comme dans un foyer toutes les anomalies, toutes les contradictions et toutes les impossibilités contre lesquelles se débat l’Europe Occidentale, c’est assurément la question romaine.

Et il n’en pouvait être autrement, grâce à cette inexorable logique que Dieu a mise, comme une justice cachée, dans les événements de ce monde. La profonde et irréconciliable scission qui travaille depuis des siècles l’Occident, devait trouver enfin son expression suprême, elle devait pénétrer jusqu’à la racine de l’arbre. Or, c’est un titre de gloire que personne ne contestera à Rome: elle est encore de nos jours, comme elle l’a toujours été, la racine du monde occidental. Il est douteux toutefois, malgré la vive préoccupation que cette question suscite, qu’on se soit rendu un compte exact de tout ce qu’elle contient.

Ce qui contribue probablement à donner le change sur la nature et sur la portée de la question telle qu’elle vient de se poser, c’est d’abord la fausse analogie de ce que nous avons vu arriver à Rome avec certains antécédents de ses révolutions antérieures; c’est aussi la solidarité très réelle qui rattache le mouvement actuel de Rome au mouvement général de la révolution européenne. Toutes ces circonstances accessoires, qui paraissent expliquer au premier abord la question romaine, ne servent en réalité qu’à en dissimuler la profondeur.

Non, certes, ce n’est pas là une question comme une autre — car non seulement elle touche à tout dans l’Occident, mais on peut même dire qu’elle le déborde.

On ne serait assurément pas accusé de soutenir un paradoxe ou d’avancer une calomnie en affirmant qu’à l’heure qu’il est, tout ce qui reste encore de Christianisme positif à l’Occident, se rattache, soit explicitement, soit par des affinités plus ou moins avouées, au Catholicisme Romain dont la Papauté, telle que les siècles l’ont faite, est évidemment la clef de voûte et la condition d’existence.

Le Protestantisme avec ses nombreuses ramifications, après avoir fourni à peine une carrière de trois siècles, se meurt de décrépitude dans tous les pays où il avait regné jusqu’à présent, l’Angleterre seule exceptée; — ou s’il révèle encore quelques éléments de vie, ces éléments aspirent à rejoindre Rome. Quant aux doctrines religieuses qui se produisent en dehors de toute communauté avec l’un ou l’autre de ces deux symboles, ce ne sont évidemment que des opinions individuelles.

En un mot: la Papauté — telle est la colonne unique qui soutient tant bien que mal en Occident tout ce pan de l’édifice chrétien resté debout après la grande ruine du seizième siècle et les écroulements successifs qui ont eu lieu depuis. Maintenant c’est cette colonne que l’on se dispose à attaquer par sa base.

Nous connaissons fort bien toutes les banalités, tant de la presse quotidienne que du langage officiel de certains gouvernements, dont on a l’habitude de se servir pour masquer la réalité: on ne veut pas toucher à l’institution religieuse de la Papauté, — on est à genoux devant elle, — on la respecte, on la maintiendra, — on ne conteste même pas à la Papauté son autorité temporelle, — on prétend seulement en modifier l’exercice. On ne lui demandera que des concessions reconnues indispensables et on ne lui imposera que des réformes parfaitement légitimes. Il y a dans tout ceci passablement de mauvaise foi et surabondamment d’illusions.

Il y a certainement de la mauvaise foi, même de la part des plus candides, à faire semblant de croire que des réformes sérieuses et sincères, introduites dans le régime actuel de l’Etat Romain, puissent ne pas aboutir dans un temps donné à une sécularisation complète de cet Etat.

Mais la question n’est même pas là: la véritable question est de savoir au profit de qui

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