Нессельроде К. В., 25 июля/6 августа 1838*
Turin. Ce 6 août 1838
Monsieur le Comte,
J’ose me flatter que Votre Excellence voudra bien me pardonner l’importunité de cette lettre en faveur du motif qui me la fait écrire. J’ai appris par ma femme la sollicitude pleine de bonté que vous avez bien voulu lui témoigner dans un moment où des consolations lui étaient si nécessaires, et quelques personnels que fussent les titres, que sa position lui assurait à votre bienveillant intérêt, je n’en revendique pas moins une part dans la reconnaissance que nous vous devons. Je m’associe bien sincèrement à la satisfaction qu’elle éprouve à l’idée que c’est de vous, Monsieur le Comte, que lui sont venues les consolations les plus cordiales et les plus généreuses entre toutes celles qu’elle a reçues.
Ma femme m’a dit aussi que Votre Excellence ne s’est pas bornée à compatir à son malheur. Vous avez daigné, Monsieur le Comte, prendre connaissance des pertes matérielles, que ce désastre lui avait fait éprouver, et vous lui avez généreusement offert votre appui auprès de S<a> M<ajesté> l’Empereur, pour l’aider à les réparer…* Déjà les bontés de l’Empereur étaient venues la trouver, elle et ses compagnons d’infortune, presqu’au sortir du naufrage… Nous n’aurions, par conséquent, que des actions de grâce à rendre, sans nous permettre de nouveaux vœux: car un malheur subi par tant de monde ne saurait être un titre exclusif pour personne… Mais c’est à nos besoins, bien plus qu’aux droits que nous pourrions y avoir, que Sa Majesté se plaît à mesurer ses bienfaits, et jamais, je dois l’avouer, ses bontés ne m’ont été plus nécessaires. Car c’est au moment, où je me vois dans la nécessité de former un nouvel établissement, que j’ai perdu, d’un seul coup, tout ce qui pouvait me le faciliter. Réduit à mes propres ressources, ma position, je le confesse, serait infiniment pénible et embarrassante…*
Que ne m’est-il permis de terminer ici cette lettre qui ne devait contenir que l’expression de ma reconnaissance. Car en vérité, Monsieur le Comte, je souffre de devoir ramener l’attention de Votre Excellence sur une question dont le plus grand tort est dêtre devenue une… C’est de cette malheureuse question de costume que je veux parler. J’en serais tout à fait inconsolable si j’avais eu le malheur de prendre l’initiative à ce sujet…*
La cour, qui est absente en ce moment, rentre à Turin le 1er du mois de septembre. C’est à cette époque que les personnes, arrivées ici dans l’intervalle, sont dans l’habitude de se faire présenter. Il serait difficile, surtout pour des personnes appartenant au corps diplomatique, une fois la cour revenue, de différer beaucoup leur présentation, car plus tard la cour va s’établir à Gênes où elle ne voit pas d’étrangers, et de cette manière l’époque de la présentation se trouverait indéfiniment ajournée. Je n’ignore pas qu’on s’occupe en ce moment chez nous d’un nouveau règlement qui aura pour objet de modifier le costume des dames, appartenant à la diplomatie russe, en leur imposant comme obligatoire à toutes les cours le costume national qui jusqu’à présent n’avait été que facultatif. Or, j’avais pensé à l’arrivée de ma femme qu’il serait peut-être convenable de mettre à profit la latitude, que laissait l’absence du nouveau règlement, pour l’engager à se faire présenter à la cour de Turin avec le costume qui y est en usage. Cette marque de condescendance, qui, venant de notre part, ne saurait, certes, avoir rien d’équivoque, me paraissait devoir être d’un bon effet sous plus d’un rapport. D’abord c’eût été une leçon de modération et de raison qui, pour être courtoise, n’en aurait pas été moins significative. Et plus, en convainquant la cour de Turin de nos dispositions conciliantes sur une question qui comporte si peu l’irritation et l’entêtement, elle aurait eu l’avantage de lui faire apprécier dans son véritable jour le nouveau règlement qui va paraître. Elle lui aurait prouvé que cette mesure du nouveau règlement était une mesure essentiellement générale, se rattachant à un ensemble d’idées parfaitement indépendant des circonstances du moment, ne recélant d’arrière-pensée d’hostilité contre qui que ce soit, et contre laquelle, par cons<é>q<uent>, il n’appartiendrait à personne d’élever la moindre difficulté ni d’articuler la plus petite objection.
Telles avaient été mes idées, et je n’ai pas besoin de vous dire, Monsieur le Comte, combien à l’arrivée de ma femme j’ai été heureux d’apprendre par elle qu’en adoptant ce parti je n’avais fait que pressentir les propres intentions de Votre Excellence et me conformer par avance à ses volontés.
Depuis une conversation, que j’ai eue avec Mad. d’Obrescoff à son retour de Berlin, m’a de nouveau rendu incertain sur ce que j’avais à faire. Mad. d’Obrescoff m’a assuré que, dans l’audience que S<a> M<ajesté> l’Empereur a daigné lui accorder, Sa Majesté avait déclaré que sa volonté était que dès à présent, et même avant la publication du règlement, le costume national fût de rigueur — et même elle a ajouté qu’il lui avait été
Assurément, Monsieur le Comte, je suis loin de reconnaître aux paroles de Mad. d’Obrescoff un caractère officiel. — Toutefois ses assertions sont si formelles, si positives, et, d’autre part, la seule possibilité que telle fût en effet la volonté de S<a> M<ajesté> l’Empereur est d’un si grand poids à mes yeux que je me vois obligé, bien qu’à regret, de supplier Votre Excellence de m’accorder la faveur d’un mot de réponse, pour fixer mes incertitudes et me prescrire la marche que j’ai définitivement à suivre.
Si Votre Excellence jugeait qu’en effet l’ancien costume ne fût plus de mise, eh bien, je tâcherai de gagner du temps et de différer la présentation jusqu’après la publication du nouveau règlement. Alors il faudra bien que la question se décide d’une manière ou d’autre.
Mais avant tout, Monsieur le Comte, j’attends de la bienveillante équité de Votre Excellence qu’elle me fera la grâce et la justice de croire que rien n’égale la peine et la confusion que j’éprouve d’avoir à l’entretenir de semblables détails. Je subis, en gémissant, une nécessité que je n’ai point créée, mais dont j’ai hérité…
Quant à la partie sérieuse des rapports de notre mission avec la cour de Turin, je n’ai pas besoin de vous assurer, Monsieur le Comte, que je ne cesserai de suivre avec une invariable fidélité les recommandations que Votre Excellence a bien voulu m’adresser l’année dernière, à mon départ de St-Pétersbourg. Je sais le prix que notre cour met à entretenir de bons rapports avec celle de Turin et, je dois le dire, les dispositions que j’ai trouvées ici sont de nature à me faciliter singulièrement l’accomplissement de cette tâche. Car, en dépit de ce puéril différend qu’il eût été si facile d’éviter, les dispositions de cette cour à notre égard sont, il faut le dire, les plus satisfaisantes possibles. Les grandes qualités de l’Empereur sont en profonde et générale vénération ici, comme partout où prévaut un principe d’ordre et de conservation. Les services, rendus par la Russie à la Maison Régnante, sont rappelés en toute occasion avec une franchise de reconnaissance qui ne laisse rien à désirer*. En un mot, sympathie d’opinion aussi bien que l’intelligence de ses intérêts les plus évidents, tout nous rattache cette cour — et si, dans la position donnée, il n’y a aucun mérite à maintenir les rapports sur le meilleur pied possible, il y aurait, par contre, un insigne maladresse ou une fatalité décidée à amener dans ces rapports ne fût-ce que l’apparence de la tiédeur ou de l’indifférence.
Me serait-il permis d’ajouter à l’appui de ce que je viens de dire une particularité qui m’est personnelle? C’est à votre bienveillance éprouvée, Monsieur le Comte, que je livre ma