Edmond Wells,
205. VERS LE MONDE DU DESSUS
Mon ame scintille en moi comme un petit soleil. Est-il possible que je sois rendu a moi-meme? Est-il possible que je n'aie plus de marionnettiste? Au debut, je ressens cette entree dans le total libre arbitre comme quelque chose d'affolant. Je comprends que cette liberte que j'ai toujours reclamee, je n'ai jamais ete eduque pour l'assumer et que cela m'arrangeait bien de penser que quelque part en haut d'autres etres mysterieux plus intelligents que moi s'occupaient de me proteger et de me guider. Mais ce geste terrible d'Edmond Wells me force a m'assumer seul. J'aurais su que c'etait cela la recompense des «6» j'aurais peut-etre ralenti mon ardeur. Comme cette liberte est effrayante! Comme il est difficile d'accepter qu'on puisse devenir le seul et unique maitre de soi-meme!
Mais je n'ai pas le temps de reflechir davantage, mon mentor m'entraine vers le fond du couloir.
Celui-ci s'acheve comme un vase de Klein, en une boucle qui se retourne pour s'enfoncer au flanc d'une bouteille, de sorte qu'en sortant du goulot on revient a l'interieur. Et je me retrouve au beau milieu du… lac des Conceptions.
— Je ne comprends pas, dis-je.
— Souviens-toi de l'enigme que tu soulevais dans
Tout devient clair. Le 6 de la spirale. Six-Spirituel. Spiritualite. La spiritualite, c'est d'aller de la peripherie vers le centre grace a une spirale. Je suis alle vers mon centre. Je vais maintenant vers celui du pays des anges.
— Suis-moi! intime Edmond Wells.
Nous nous retrouvons donc sous l'eau du lac des Conceptions. Je distingue, au-dessus de la surface, des anges instructeurs qui amenent la leurs nouveaux anges eleves pour qu'ils y choisissent leurs ames. Je reconnais meme Jacques Nemrod. Il a donc choisi de devenir un ange…
— Eux ne nous voient pas? demande-je.
— Non. Pour voir, il faut etre capable de concevoir. Qui penserait a rechercher ce qu'il y a dans les profondeurs du lac des Conceptions?
Je prends conscience du temps perdu.
— Alors, j'aurais pu venir directement ici?
— Bien sur. Des le premier jour, Raoul et toi vous auriez pu tout decouvrir en explorant «au milieu et au- dessous» au lieu de «loin et au-dessus».
Nous evoluons dans une eau a peine plus visqueuse que l'air. Edmond Wells me guide vers le centre du lac. Tout au fond brille une petite etoile rose.
— En se concentrant, on touche le centre. Et en tou chant le centre, on le traverse pour deboucher sur la dimension superieure. Chaque fois que l'on passe d'une peripherie a un centre, on change de dimension et donc de perception du temps et de l'espace. Toi qui as explore tout ce qui etait explorable dans cet univers, viens avec moi, je vais t'en montrer un autre.
— Nous… nous allons vers le monde des dieux?
Il fait semblant de ne pas avoir entendu ma question.
Nous nous rapprochons de la lueur rose. Et, a ma grande surprise, je decouvre qu'a l'interieur il y a…
«La science explique tres bien pourquoi les gens ont des visions au moment de mourir. Rien de tres mysterieux la-dedans. Seulement une decharge d'endor phines venue abreger les ultimes douleurs de l'agonie. Cette decharge a pour effet d'agir sur l'hypothalamus en provoquant des successions d'images psychedeliques. Un peu comme un gaz anesthesiant avant une intervention chirurgicale.»
Source: individu interroge dans la rue au hasard d'un microtrottoir.
206. PERSPECTIVE
Une etoile filante passe.
Sur son balcon la vieille dame la suit des yeux et prononce un v?u.
Sa petite-fille la rejoint en brandissant une grande cage.
— Qu'y a-t-il, Mylene?
— Je voulais te montrer le nouveau jouet que j'ai recu pour Noel, mamie.
La vieille dame se penche et examine l'interieur de la cage. Elle apercoit trois hamsters effrayes qui se cachent de leur mieux. Ils essayent de sculpter du papier journal avec leurs pattes et leurs incisives pour le transformer en cavernes protectrices.
— Il parait qu'ils ont ete sauves expres pour moi. Sinon ils etaient livres a des laboratoires pour servir a des experiences de vivisection.
Un ?il immense s'approche des prisonniers.
— Tu les as appeles comment?
— Il y a deux males et une femelle. Je les ai baptises Amedee, Denis et Noemie. Ils sont mignons hein?
L'?il geant se retire.
— Tu sais, elever des hamsters, c'est une responsabilite. Il faut s'occuper d'eux, les nourrir, les empecher de se battre, nettoyer leurs dejections, sinon, ils deperissent. Ils mangent quoi?
— Des graines de tournesol.
La petite fille pose la cage par terre, revient avec une boite de graines grises qu'elle vide dans le distributeur, remplit l'abreuvoir d'eau. Au bout d'un moment, rassure, un hamster s'introduit dans la grande roue et la fait tourner de plus en plus vite.
— Pourquoi Amedee s'agite-t-il ainsi? s'etonne Mylene.
— Tu sais, ils ne savent pas trop quoi faire d'autre de leur journee, soupire la vieille dame.
La petite fille esquisse une moue.
— Dis, mamie, tu crois qu'on peut les faire sortir de leur cage pour qu'ils se degourdissent un peu les pattes dans l'appartement?
La vieille dame caresse les cheveux de la petite fille.
— Non. Ils seraient perdus. Ils ont toujours vecu en cage. Ils ne sauraient ou aller.
— Alors, que peut-on faire pour les rendre plus heureux?
— C'est une bonne question…
Le regard de Nathalie Kim quitta sa petite fille pour se diriger vers le firmament. Quand elle fixait le ciel, elle se sentait toujours apaisee.
«Jacques est peut-etre la-haut», se dit-elle.
Un minuscule point blanc, pres de la Lune, se deplaca a toute vitesse. Ce n'etait pas une etoile filante. Pas de v?u. Ce n'etait pas non plus un satellite. Elle savait ce que c'etait. Un gros avion de transport. Sans doute un Boeing 747.
La petite fille se serra contre sa grande-mere.
— Dis, mamie, tu crois qu'un jour mes hamsters mourront?
— Tsss… Il ne faut pas y penser, Mylene.
— Mais quand meme, il faudra bien qu'on fasse quelque chose a ce moment-la, non? On va quand meme