— Sans-Atout, va! plaisanta Bob. Ecoutez-le. Si on insiste, il est pret a nous dire que le bonhomme est gaucher et qu'il a eu la scarlatine.

La frayeur qu'ils avaient eprouvee se muait en soulagement et l'insouciance de leur age reprenait le dessus. Mais Miss Mary, elle, n'avait pas envie de rire. Elle referma la fenetre:

— Ce qui vient d'arriver est un peu notre faute a tous. Apres ce qui s'est passe la nuit derniere, nous aurions du fermer les volets. Maintenant, il faut prevenir l'inspecteur.

C'etait la sagesse meme. Ils passerent dans le bureau et la jeune femme se mit en rapport avec la police, ce qui eut pour effet de reveiller Mrs. Humphrey, qui dormait juste au-dessus. Bob monta la rassurer.

— Comme c'est contrariant, se plaignait la jeune femme, au telephone. Bien. Nous attendrons… Mais nous ne voudrions pas rester debout toute la nuit… S'il vous plait… Merci.

Elle raccrocha.

— L'inspecteur n'est pas la, bien entendu, dit-elle. Mais on va le prevenir. Il n'y a qu'a l'attendre… Voulez- vous que je fasse du the?

C'etait amusant, ce gouter impromptu, au milieu de la nuit. On essayait de se deplacer sans bruit, de ne pas heurter les couverts, a cause de la gouvernante. Et l'on s'interrogeait toujours sur les raisons incomprehensibles du vol.

— D'ou viennent-ils, ces objets? chuchota Francois. Si leur origine etait connue, peut-etre qu'on y verrait plus clair.

— Oh! dit Bob, il n'y a pas de mystere. Ils appartenaient a mon grand-pere. Je crois qu'il a achete la main a Rome. L'elephant, ca je l'ignore. Mais il doit provenir de Ceylan, comme le Bouddha et quelques autres petites choses… Le poignard vient de Londres. Les pistolets ont ete donnes a mon grand-pere par un attache d'ambassade, apres un duel… C'etait avant 1914… J'ai entendu raconter souvent l'histoire… Il y avait eu une querelle, a Sydney, entre l'ami de grand-pere et un Allemand du consulat. Mon grand-pere servait de temoin et, apres le duel, il recut les pistolets en cadeau. Il y tenait beaucoup.

— Mais…, ce duel? demanda Francois.

— Oh! Sans resultat, bien sur. Et maintenant, si tu peux tirer de la des deductions, bravo!

Miss Mary buvait pensivement son the. Elle ne paraissait pas faire attention au bavardage des deux garcons et Francois sentit soudain quelle distance separe l'univers des adolescents de celui des adultes. Sans doute pensait-elle au blesse, a cet homme qu'elle devait bientot epouser, qui etait bien autre chose pour elle que le heros d'une sombre aventure.

— Tu paries que tu ne trouveras rien? continua Bob.

— Ce n'est pas un jeu, dit gravement Francois.

La jeune femme lui jeta un coup d'?il etonne et reconnaissant. Mais Bob, qui n'avait rien remarque, insista:

— L'elephant n'est pas creux. Les doigts de la main ne se devissent pas. Le poignard est un poignard. Et les pistolets, tu les a vus. Il n'y a pas de cachette la-dedans… J'ai manipule ces objets des tas de fois. L'ecrin des pistolets? Un brave ecrin, sans double fond. Moi, je crois que le type est un maniaque, un cingle.

Francois, cedant a nouveau au demon de la controverse, objecta:

— Mais…, pour un collectionneur? Bob haussa les epaules.

— Les pistolets? dit-il. Ni assez anciens, ni assez neufs. Ca ne vaut surement pas cher. Le poignard? Une babiole. La main, peut-etre, oui. C'est la reproduction de je ne sais quelle main celebre.

— Bob, observa Miss Mary. Vous buvez trop! Vous ne pourrez pas dormir.

— Il est bien question de dormir, repondit Bob, tres excite. Je pense a papa. Il va falloir le mettre au courant. Qu'est-ce qu'il va dire? Tout ce qui a appartenu a grand-pere, c'est sacre. Et je pense aussi a la tete que va faire Morrisson. Il va croire qu'on se moque de lui… Vous l'aimez, vous, Morrisson? Il ne se prend pas pour rien!

Ils entendirent, a ce moment, la voiture qui stoppait devant la grille.

— Le voila, dit Bob. On va rigoler!

— Bob, voyons! Tenez-vous mieux.

Miss Mary devait songer que l'education de ce garcon, trop longtemps livre a lui-meme, allait lui donner bien du mal. Ils allerent tous trois ouvrir la grille a l'inspecteur, qui ne semblait pas tres content d'etre derange si tard. Miss Mary resuma les evenements et ce que Bob avait pressenti se produisit. Morrisson sursauta quand la jeune femme lui decrivit les objets voles.

— C'est de la demence! s'ecria-t-il. Prendre autant de risques!.. Car enfin, cette fois, l'homme a meme ete oblige d'escalader la grille! Montrez-moi ce salon!

Il examina longuement la vitre decoupee, la bouche pincee de degout.

— C'est quelqu'un qui ne sait pas travailler, remarqua-t-il. Et il a certainement fait pas mal de bruit. Qui dort dans la piece au-dessus?

— Moi, dit Miss Mary. J'ai entendu une sorte de grincement. Je suppose que c'est quand il a souleve la fenetre.

— Voyons, fit l'inspecteur, d'un air sombre, si je comprends bien, un de ces objets dissimulait une cachette.

Bob poussa le coude de Francois.

— Non, repondit Miss Mary. Aucune cachette. Et d'ailleurs, qu'est-ce que M. Skinner aurait cache? Ce qu'il avait de plus precieux, c'etaient ses plans et ils ont deja ete voles.

Morrisson, peut-etre pour se donner une contenance, se mit a examiner, au hasard, les meubles et les bibelots. De temps en temps, pardessus son epaule, il posait une question:

— Rien d'autre n'a ete emporte? Vous etes surs?… Est-ce que M. Skinner venait souvent dans cette piece?… Est-ce qu'il etait particulierement attache aux choses qui ont disparu?

— Il nage, souffla Bob a Francois.

— Bon, conclut l'inspecteur. Je verrai M. Skinner demain. Il n'y a que lui qui peut me renseigner utilement.

Il s'inclina avec raideur devant la jeune femme.

— Bonne nuit, dit-il. J'etais persuade qu'il n'y avait plus rien a voler ici… Je me suis trompe. Excusez- moi.

Et sans preter la moindre attention aux deux garcons, il se retira.

— Nous, bien sur, grommela Bob, on… on…

— On compte pour du beurre, dit Francois, en francais.

— Exactement. Quel mufle!

Ce fut cette nuit-la que Francois eut l'idee de tenir son journal. Comme il n'avait plus aucune envie de dormir, il prit du papier a lettre et resuma d'abord les evenements dont il avait ete le temoin. Il nota ensuite ses impressions. C'etait passionnant et, en meme temps, plein d'enseignements. Car, la plume a la main, il s'apercevait qu'il n'etait pas capable de porter un jugement sur ceux qui l'entouraient. Bob, par exemple, un gentil garcon, oui. Mais au-dela des apparences? Le mystere commencait tout de suite. Quels etaient, au juste, ses rapports avec son pere? Et avec Miss Mary? Tout ce que Francois pouvait affirmer, non sans precaution, c'etait que Bob souffrait d'une certaine frustration. Et encore ne savait-il pas tres bien ce que dissimulait ce mot trop savant. Et M. Skinner? Qui etait M. Skinner? Un brillant ingenieur, d'accord. Mais en tant qu'homme?… «Si je connaissais mieux la vie, pensa Francois, je flairerais mille choses qui m'echappent. Je me prends pour une grande personne, mais je touche la mes limites. C'est vrai. Il y a un petit monde, et c'est encore le mien!.. Sapristi! Il va etre trois heures. Je ne me suis jamais couche aussi tard!»

Il se mit au lit, encore obsede par la decouverte de ses insuffisances et, toute la journee du lendemain, il resta distrait, il vecut un peu en marge. Pour la premiere fois, il comprenait que les visages sont mille fois plus interessants a etudier que les choses. On rendit visite a M. Skinner. Il avait vieilli en deux jours. Une barbe inegale et rude donnait du flou a sa figure mince. Il avait le regard fievreux. Il semblait avoir peur, mais ce n'etait pas etonnant puisque l'operation que tout le monde redoutait etait fixee au lendemain.

M. Merrill etait a son chevet. Lui, du moins, offrait une physionomie facile a lire: une bonne grosse face, barree d'une moustache bourrue, qu'un usage excessif de la cigarette avait roussie en son centre, un nez puissant et sanguin, des yeux gris, vaguement injectes, le droit plus petit que le gauche; autour du front une marque rougeatre laissee par le chapeau melon; et l'accent! Un accent qui devait rendre malade M. Skinner! Le type du «self made man», de l'homme arrive a la force du poignet. Le contraire meme de M. Skinner. Comment avaient-ils

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