que les premiers secours ne tarderont pas a arriver; ils peuvent surtout penser que la blessure n'est pas grave. Carolyi conduit donc immediatement son compagnon a proximite du domicile de M. Merrill et, abandonnant la voiture, disparait avec les plans.

Et alors, de la facon la plus inattendue et la plus dramatique, va se trouver confirmee la version de l'agression et du cambriolage. Qui pourrait supposer une seconde que M. Skinner est l'auteur du vol dont il est la victime? Le voila innocente, a condition que la police n'enquete pas sur l'arme qui a tire la balle. Qu'on decouvre le pistolet et le plan de l'ingenieur s'ecroule. Or, on peut faire confiance a la police. Lentement, methodiquement, elle finira par decouvrir la verite. Carolyi a du comprendre cela du premier coup. Il faut a tout prix recuperer les pistolets, mais comment?…

La, Sans-Atout hesite. Il tatonne. Il n'est qu'un detective amateur, pas encore habitue a pousser a fond un raisonnement rigoureux. Mais il est facile d'aller un peu plus loin…

Qui peut agir, desormais?… Miss Mary, parbleu! L'ingenieur n'aurait sans doute jamais consenti a avouer a sa fiancee la machination qu'il avait imaginee. Mais Carolyi n'a pas de ces scrupules. Il est en danger, lui aussi. Il doit donc tout raconter a Miss Mary et la supplier d'intervenir. Lui telephone-t-il, en pleine nuit? Se rend-il chez elle?… Cela, c'est un detail sans importance. Ce qui est sur, c'est que la jeune femme est prete a tout pour sauver M. Skinner. La preuve?… Eh bien, le coup de la mallette. Elle fera disparaitre l'etui aux pistolets. Seulement, si les pistolets disparaissent seuls, on risque de se poser des questions trop precises; alors, comme elle est rusee, elle escamotera egalement des objets insolites, comme la main de marbre, l'elephant, le kriss malais. Ainsi, ce second cambriolage paraitra absurde, incoherent, et ajoutera encore au mystere.

D'ou les evenements de la seconde nuit. Tout le monde etant endormi, Miss Mary a toute facilite pour agir. Elle cache les objets dans sa chambre, puis decoupe une vitre du salon, souleve la fenetre et va donner l'alarme. Qui pourrait penser?… Et, le lendemain, elle va porter la mallette a Carolyi, qui attend, dans la rue. Les pistolets soustraits a la police, on peut commencer a respirer.

Et la, soudain, Sans-Atout rougit. Comme il s'en veut, maintenant! Car il a tout compromis par son intervention. S'il n'avait pas eu cette idee idiote de filer l'homme roux, reconnu dans le couloir de l'hopital, s'il n'avait pas repere la maison ou ce dernier s'etait installe; enfin, s'il n'avait pas recupere la mallette, croyant realiser un coup de maitre, le malheureux M. Skinner aurait attendu paisiblement l'operation et Miss Mary n'aurait pas connu ces heures affreuses. Sans-Atout les imagine sans peine! Et lui qui soupconnait la courageuse jeune femme. Il comprend, maintenant, pourquoi elle pleurait, dans le jardin. Et pourquoi elle s'etait compose ce masque un peu farouche, quand elle etait en presence de Bob. Epargner le fils! Sauver l'honneur du pere! Affronter la police sans un tremblement! Comment pourrait-il jamais s'acquitter envers elle, se faire pardonner ses doutes, ses soupcons? Et surtout comment pourrait-il effacer la suite, car tout ce qui etait arrive, apres la recuperation de la mallette, c'etait lui qui l'avait provoque…

Ralentisstment. Embouteillage. Morrisson regarde sa montre et allume une cigarette. Il est plonge dans ses pensees, lui aussi. Francois reprend sa meditation. Il n'est pas fier de lui. Mais quoi! Il a cru agir pour le bien de M. Skinner… Les pistolets leur ayant ete repris, et ils ignoraient par qui, quelle parade Carolyi et Miss Mary pouvaient- ils imaginer? Il n'en restait qu'une, desesperee. Empecher la balle qui avait blesse M. Skinner de tomber entre les mains de la police; donc, enlever l'ingenieur pour le faire soigner ailleurs. Ce Carolyi etait sans doute bien introduit dans un certain milieu un peu louche et quelque chirurgien marron etait pret — moyennant finance — a extraire le projectile. D'ou l'extraordinaire kidnapping. Pas extraordinaire, a la reflexion, puisque M. Skinner etait forcement d'accord! Tant qu'on pensait qu'il avait ete enleve de force, l'affaire paraissait incomprehensible. Mais a partir du moment ou il cooperait a son propre enlevement, il n'y avait plus de mystere. C'etait lui, de toute evidence, qui avait ouvert la fenetre de sa chambre a Carolyi, qui se tenait dissimule dans la petite cour. Carolyi que Francois et Bob avaient surpris, la veille, alors, sans doute, qu'il venait s'entretenir avec M. Skinner… Le blesse avait beau etre sous l'influence d'un tranquillisant, ce n'etait pas bien difficile de se trainer jusqu'a la fenetre et de la soulever. Apres? Carolyi entrait en scene, tout seul, car il n'y avait jamais eu de complices, Francois le voyait clairement. Il soutenait l'ingenieur, passait par l'issue de secours n'ouvrant que de l'interieur, et regagnait son Austin, arretee devant. Oui, c'etait surement la bonne explication… Peut-etre certains details etaient-ils a retoucher? Peut-etre M. Skinner se faisait-il plus abattu qu'il n'etait et avait-il la force de marcher? Peut-etre n'avait-il pas bu le soporifique ordonne par le medecin? Peut-etre… Mais les «peut-etre» importaient peu a Francois. Ce qui comptait, c'etait le schema general de l'explication.

Et il savait qu'il tenait la solution. M. Skinner avait donc ete amene a la maison de Carolyi. Helas! Deuxieme echec. Lui, Francois, etait encore intervenu. Et, cette fois, Miss Mary avait accepte la defaite. Carolyi avait du fuir, et les policiers avaient retrouve l'ingenieur, tres affaibli, et qui risquait, maintenant, de payer cher tous ces deplacements. «J'ai ete recu gentiment, pensait Francois. Bob est un merveilleux ami. Miss Mary est une femme digne d'eloges. M. Skinner… est ce qu'il est. Je n'ai pas a le juger. Et moi, avec ma curiosite, mon besoin de savoir, j'ai apporte le trouble dans cette famille. Je suis vraiment le dernier des derniers.»

Il se sentait si poisseux de remords qu'il faillit se confier a Morrisson. Mais c'etait la derniere chose a faire. La mallette etait bien cachee. Morrisson etait en possession de la balle, mais tant qu'il ne mettrait pas la main sur les pistolets, la verite resterait cachee… Et, d'autre part, etant donnee la facon tragique dont les evenements avaient tourne, il paraissait evident que le fabricant etranger ne prendrait pas le risque terrible d'etre un jour soupconne d'avoir trempe dans un crime, et renoncerait a son projet de fabriquer les automates.

— Voila l'hopital, dit l'inspecteur. Vous n'etes guere bavard, mon garcon… Je vous laisse la?

— S'il vous plait. La voiture stoppa.

— Eh bien, bon retour, reprit l'inspecteur. Et soyez sans inquietude. Le coupable sera arrete.

Il agita la main et repartit. Il y avait un policeman en faction devant la porte de la chambre. Francois faillit hausser les epaules. M. Skinner ne risquait plus d'etre enleve! Il frappa et ce fut Miss Mary qui lui ouvrit. Elle avait toujours le meme visage soucieux qu'un sourire de politesse eclaira a peine.

— Vous voyez! dit-elle, avec une imperceptible nuance de reproche.

M. Skinner, les yeux clos, semblait dormir. Etendu sur un lit de camp, Bob reposait.

– Ca y est, dit Bob. La transfusion est faite. J'avais un peu peur, mais ce n'est rien du tout. Ca ne fait pas mal. L'embetant, c'est qu'il faut rester allonge un moment, apres.

— Chut, murmura Miss Mary. Jonathan sommeille. Il est tres faible, mais il a toutes les chances de s'en tirer.

— J'en suis bien heureux, dit Francois. Je peux donc partir sans crainte. J'ai l'intention de prendre le train de Douvres de quinze heures. Apres, j'ai un bateau a dix-sept heures… Je suis venu pour vous remercier… de tout… Je regrette que les circonstances… Mais maintenant… Une autre fois, peut-etre…

Il bafouillait.

— On s'ecrira souvent, dit Bob.

— C'est cela, intervint Miss Mary, qui semblait detester les effusions. Vous vous ecrirez souvent… Ne m'en veuillez pas, Francois, j'aurais voulu vous accompagner, mais il m'est difficile, en ce moment…

Elle n'eut pas le temps d'achever sa phrase, car une infirmiere entra lui annoncer qu'elle etait demandee au bureau. Elle serra precipitamment la main de Francois et disparut. Francois s'approcha de son ami.

— Vieux Bob, dit-il. On n'a pas eu de chance…

Tu ne m'en veux pas, au moins?

— Mais non. Tu reviendras, voila tout. Il tourna la tete vers son pere et sourit.

— Quand il rouvrira les yeux, il sera bien epate. Lui qui pretendait que je ne suis bon a rien… Je suis quand meme la pour un coup. C'est du sang au poil que je lui ai donne. Regarde-le. Il a deja des couleurs aux joues.

M. Skinner, livide, respirait faiblement, mais Francois approuva.

— C'est vrai, il a des couleurs.

– Ca me fait de la peine de te quitter, reprit Bob. Tu vas peut-etre nous oublier…

— Penses-tu.

— Ecoute… Emporte un souvenir… ce que tu voudras… pourvu que ce soit quelque chose qui te parle de moi… Veux-tu un dessin?… Veux-tu… je ne sais pas.

— Il y a quelque chose qui me ferait plaisir-La mallette… Elle est toujours dans la voiture?

— Formidable, fit Bob. Apres ce qui s'est passe, moins on la verra chez nous, mieux cela vaudra. Emporte-la. Elle est a toi.

— Merci.

— Donne ta main.

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