– Ca va. Nous avons le temps. Je vais vous montrer le Strand. Festival Hall est tout pres, de l'autre cote de la Tamise… Couvrez-vous. Les soirees de septembre sont souvent tres fraiches. La Morris etait dans la rue; une vieille voiture qui commencait a ferrailler.

— C'est un trait de notre caractere, dit l'ingenieur. Nous aimons ce qui est usage… aussi bien les voitures que les vetements.

Les reverberes s'allumaient. On traversait des quartiers paisibles, qui rappelaient Versailles.

— Des sept heures, expliqua M. Skinner, les Londoniens sont rentres chez eux. Mais le centre reste anime longtemps… Surtout le Strand, qui est le lieu des spectacles. D'ailleurs, regardez.

La voiture empruntait une large avenue, brillamment illuminee et tres animee. Des queues se formaient devant les theatres et les cinemas.

— On joue en ce moment une piece d'Agatha Christie, dit Bob. Nous viendrons la voir.

L'auto vira vers la Tamise, dont Francois sentit le souffle humide. L'espace, soudain, s'ouvrit largement sur la nuit, piquee de mille feux. D'imposants batiments s'elevaient au loin, sur la droite.

— Le Parlement, annonca Bob.

Mais on s'engageait sur un vaste pont et un nouveau paysage, d'aspect industriel, s'offrit a Francois.

— Toute cette partie de la ville, dit M. Skinner, a ete detruite par les bombardements. C'est pourquoi Festival Hall est un theatre neuf, dont l'aspect surprend toujours les visiteurs. Nous y sommes.

Il s'arreta pour laisser descendre les deux garcons et leur serra la main.

— Bonne soiree. Je rentrerai peut-etre tard; avec Merrill, tout est possible… Ne vous inquietez pas… Ah! J'allais oublier de vous donner les billets… Allez! Depechez-vous!

Il y avait beaucoup de monde. Francois ne pensait plus qu'a son plaisir, qui se transforma en admiration quand il penetra dans la salle, immense et cependant harmonieuse. Pas de loges. Pas de balcons. Des gradins, comme dans un cinema. L'ensemble, au premier abord, paraissait un peu austere, mais restait elegant par le choix des couleurs. Francois et Bob occuperent deux fauteuils, au bord d'une allee. Ils n'eurent pas le temps de s'asseoir, l'orchestre jouait le Gode Save the King, et la foule se leva.

— C'est une coutume, ici, chuchota Bob. Tu ne trouves pas qu'il fait trop chaud?

Francois ne l'ecoutait plus. Il vibrait d'excitation, et quand le prestigieux chef d'orchestre leva sa baguette pour diriger l'Ouverture d'Egmont, il serra ses mains l'une contre l'autre. Il etait heureux. Mais pourquoi Bob s'agitait-il ainsi? Il s'epongeait le front avec son mouchoir, s'essuyait les doigts, croisait et decroisait les jambes.

– Ca ne va pas? murmura Francois.

— Je crois que j'ai trop mange, avoua Bob… Les applaudissements eclaterent, emplirent l'enorme vaisseau. Francois profita du tumulte pour regarder Bob. Celui-ci etait bleme. La sueur perlait a son front.

– Ca m'a pris en entrant, dit-il. Mais ca va sans doute passer.

Il essaya de sourire.

— C'est bete! Pour notre premiere soiree! Inquiet, Francois n'ecouta que d'une oreille la Symphonie pastorale. Il surveillait Bob du coin de l'?il. Il comprit tres vite que le malheureux etait a bout de resistance. Aussi, des la fin du premier mouvement, il se pencha vers lui.

— Veux-tu que nous sortions un moment?

— Je crois que cela vaudrait mieux, balbutia Bob. Je n'en peux plus.

Francois, guidant le malade, gagna une des portes. Bob marchait lentement et cherchait sa respiration. Il aspira l'air pur de la nuit avec avidite.

— Mon pauvre vieux, bredouilla-t-il. Je m'en veux, tu sais.

Il etouffa un haut-le-c?ur.

— Rentrons, decida Francois. Ce sera plus prudent, je t'assure. Sans regret.

— Papa va etre furieux.

— Mais non… Attends-moi ici. Je vais appeler un taxi.

La station etait a deux pas. Il eut quelque peine a se faire comprendre du conducteur, quand il lui donna l'adresse, et pensa: «Voila Sans-Atout oblige de reparaitre et de se debrouiller tant bien que mal!»

Le trajet dura longtemps. Bob, comprimant son estomac, poussait parfois un gemissement.

— Je m'en souviendrai de la tarte aux prunes, dit-il quand le taxi stoppa. Non. Laisse-moi payer. Je me sens un peu mieux.

Ils traverserent le jardin en silence. La maison etait plongee dans une complete obscurite.

— Mrs. Humphrey est deja au lit, reprit Bob. Quand nous sortons, elle en profite.

Ils refermerent la porte et se dirigerent vers la cuisine. Une voix, venue du premier etage, les arreta.

— C'est vous, monsieur Bob?

— Oui. Ne vous derangez pas. Le spectacle s'est termine plus tot que prevu.

Francois fouilla dans la pharmacie, tandis que Bob emplissait d'eau un verre. Il fit fondre deux comprimes.

— J'ai bien cru que j'allais tourner de l'?il. Ce que ca peut rendre malade! Heureusement, mon pere n'est pas de retour. Sinon, qu'est-ce que j'entendrais! Tu as ete tres chic, Francois.

— Eh bien, au lit, maintenant.

Un quart d'heure plus tard, Francois eteignit la lumiere. Ouf! Il avait eu peur. Son sejour en Angleterre commencait bien mal! Ils etaient bizarres, ces Skinner! Il essaya de se remettre en memoire cette journee, mais il coula a pic dans le sommeil.

Il lui fallut un long moment pour reprendre ses esprits. Quelqu'un le serrait par le bras. C'etait Bob. Et Bob disait quelque chose de completement absurde:

— Il y a un voleur en bas.

Le classeur rouge

— Quoi?

— Chut! Je te dis qu'il y a un voleur. - Francois se dressa sur un coude.

— Tu es sur?

— J'ai entendu du bruit dans le bureau. Je ne pouvais pas dormir.

— C'est ton pere.

— Non, justement. Viens voir… N'allume pas, surtout.

Bob traversa la chambre a tatons et ouvrit avec precaution les volets. Francois le rejoignit sur la pointe des pieds. La nuit etait noire et mouillee. Il se pencha sur l'appui de la fenetre et vit aussitot une lueur qui provenait du bureau de l'ingenieur. C'etait un reflet intermittent, furtif, qui ne laissait aucun doute. Quelqu'un fouillait et s'eclairait avec une lampe de poche.

— Si c'etait mon pere, souffla Bob, tu penses bien qu'il allumerait l'electricite.

— Il est quelle heure? demanda Francois.

— Neuf heures et demie.

Que faire? Le telephone se trouvait dans le bureau, donc hors d'atteinte. Si l'homme etait arme, il etait dangereux de le demasquer.

— J'y vais, dit Bob.

— Reste tranquille!

— Je ne laisserai pas depouiller mon pere. On veut lui voler son invention.

— Et moi, je ne veux pas qu'on te fasse du mal.

Evidemment, c'etaient les marionnettes qui etaient visees. Cela, Francois l'avait tout de suite compris. Mais raison de plus pour ne pas agir a la legere. Bob s'eloigna brusquement de la fenetre. Francois n'eut que le temps de le ceinturer.

— Bouge pas, idiot.

— Lache-moi. Papa a le droit de compter sur moi!

Bob se degagea et sortit dans le corridor. Francois courut derriere lui. La vieille Mrs. Humphrey apparut au meme instant; elle achevait de passer une robe de chambre et semblait affolee.

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