Beru et ces dames

Pour mon ami Francois RICHARD,

qui m’a administre tant de solides corrections.

S.-A.

PREMIERE PARTIE

LES GENS ET LES EVENEMENTS DE SAINT-LOCDU-LE-VIEUX

1

LES FUNERAILLES DE PROSPER BERURIER

Souvenez-vous : ne jamais perdre de vue le cote drole des choses tristes ! Sinon, l’existence devient vite la Vallee des Sanglots. Ainsi, moi qui vous cause, lorsque j’assiste a un enterrement, je ne manque pas d’emporter le goupillon que m’a offert mon ami Lathuile, l’antiquaire. Au moment d’asperger le cercueil, quand la personne qui me precede me tend le goupillon collectif je le refuse d’un air grave et je sors le mien de ma poche. La bouille de l’interesse, a ce moment-la, n’est pas racontable.

A l’enterrement de l’oncle Prosper, c’est justement une respectable dame qui est devant moi. Elle balance son signe de croix goupillonne en direction du chetif cercueil en sapin veritable, entierement decoupe dans la planche, puis me tend le manche a culte avec civilite, un peu comme une maitresse de maison vous tend le coutelas pour vous faire decouper le poultock.

Je refuse l’objet d’un austere hochement de tete et je degage mon aspergeur prive. La vioque s’exorbite et reste plantee devant la biere avec son instrument benisseur a la main. Le goupillon se met a ressembler de toutes ses forces a un micro de la oerteef. J’enfouille le mien apres avoir dit « tchao » en chretien au regrette tonton Prosper, et je pousse la dame d’un geste autoritaire.

Abasourdie comme pas trois, la voila qui se barre avec le materiel de la paroisse. Le chef croque-mort la course pour recuperer le bien du clerge. Oubliant la pauvre madame, je me dirige vers la sortie du cimetiere. Il fait froid et la neige unifie les tombes. Elles ne sont plus que mamelons anonymes d’ou emergent des croix ! Cet hiver, les defunts sont unis par la neige comme ils l’ont ete par la mort. Leur condition sociale a ete gommee par les frimas. Plus de marbre, de bronze, de dorures ni d’inscriptions vaniteuses. Les tombes enfin sont devenues des fantomes elles aussi et disent merde aux vivants.

A l’entree du cimetiere, deux silhouettes noires : celle de Berurier et celle d’une dame qu’on devine seche et jaune sous ses voiles. Je me place dans la nouvelle file qui vient de se former. Apres l’ultime salut au mort, le salut to the family ! L’agacant, c’est qu’il faut toujours et partout faire la queue : a l’entree des cinoches comme a la sortie des cimetieres ! On fait meme la queue pour venir au monde, lorsqu’on fait partie d’un convoi de quintuples.

Dans son lardeuss noir qui s’est retreci a la teinture, Beru ressemble a une enorme andouille de Vire. Il a les pommettes violettes de froid et son naze agremente d’une longue stalactite fait songer a un cheneau bouche par le gel.

Il se tient a deux bons metres de l’autre personne. Il serre les mains des hommes, embrasse les dames, larmoie et balbutie des mercis, ainsi qu’il sied en pareille circonstance. C’est moi qui l’ai pilote jusqu’a Saint- Locdu-le-Vieux, son pays natal, car sa voiture est provisoirement hors d’usage. Berthe, grippee, n’a pu se joindre a nous. Pendant des heures nous avons lutte contre les congeres, le verglas et les bourrasques de neige et nous sommes arrives a Saint-Locdu au moment precis ou le convoi quittait le domicile mortuaire.

Je mate le Gros dans son role de neveu eplore. Il begaie de froid, la pauvre biquet. N’y tenant plus, il a remis son chapeau, ce dont, vu la temperature, personne ne songe a s’offusquer. Un poeme epique, ce bitos ! Un taupe a bord etroit qu’il a egalement fait teindre chez un specialiste du deuil-express. Mais la teinture a mal pris, a cause de la graisse protectrice recouvrant le bada, probable. Comme ce dernier etait initialement vert, il a maintenant les apparences d’un casque camoufle.

Voila mon tour arrive. Je me presente devant Sa Majeste qui m’attend, main ouverte, en claquant du ratelier.

— Tu parles d’un temps, mon pote, hoquette-t-il, j’ai le fignede soude a l’autogene !

Ce disant, il me tend sa paluche pour que je la lui condoleance. Lors, je depose en son immense paume l’?uf dont je me suis muni a cet effet. Au contact de ce corps etranger, Beru cesse de parler et me fixe d’un ?il interrogateur.

— Je suis de tout c?ur avec toi, Alexandre-Benoit, lui affirme-je. Je sais combien cette perte t’affecte, aussi te dis-je : « Courage ! Nous sommes peu de chose ; les bons s’en vont et nous restons ! »

Cela dit, je laisse la place a mon suivant qui se trouve etre le maire du bled. C’est un gros zig sanguin qui ressemble vaguement au Mastar (le pere de Berurier fut valet de ferme chez le pere du maire, jadis). Il serre la dextre berureenne avec une puissance mammouthienne. C’est l’affrontement de deux colosses. L’?uf eclate dans leurs deux mains unies par les condoleances, au moment precis ou le maire declarait :

— Ton onc’ Prosper, c’etait un brave homme. C’est bien pour dire que c’est toujours les meilleurs qui s’en vont !

Le premier magistrat de la commune lache la main de l’endeuille et considere la sienne d’un ?il atone en se demandant comment sa compassion a pu se muer brusquement en une matiere glaireuse.

Je m’ecarte discretement, tandis que le Gravos torche ses doigts apres les gants de laine d’une dame et je reporte mon attention sur la personne en noir qui co-famille avec Berurier. Je m’incline devant elle.

— Mes sinceres condoleances, madame !

— Merci, qu’elle me repond, avec une voix pareille a un pedalier mal graisse.

C’est une grognasse d’une cinquante-cinquaine d’annees, aigre comme un flacon de presure, avec un nez trop long, des epaules trop etroites, de la moustache et des paupieres viperines. Exactement le genre de personne qui fait sa L.A.[1] tous les matins. Qu’est cette dame par rapport au Gros ? Mystere et arbre genealogique !

Le cortege s’est egaille (ce qui peut paraitre incongru lorsqu’il s’agit de funerailles). Maintenant ne reste plus dans le sinistre enclos[2] que Beru, la dame, le valeureux San-Antonio, le zig des Pompes funebres et les fossoyeurs.

Le Mastar me saute sur le poil.

— Merci pour les farces et attrapes, Mec ! T’as l’esprit d’a-propos.

— A propos d’a-propos, Gros, le coupe-je, qui est la dame ici presente ?

Il defrime sa camarade de poignees de main et hausse les epaules avec mepris.

— Cette grande cavale ? C’est ma cousine Laurentine, la plus foutue garce du canton !

Comme il a hausse le ton, la personne incriminee rapplique, tous voiles dehors.

— Un goujat qui n’a meme pas le respect des morts, c’est moins que rien, hargne-t-elle.

— T’es pas encore morte, Laurentine ! fait observer le Gros. C’est pas que je le regrette, note bien, mais je tiens a te le faire remarquer au cas que, dans toute ta punaiserie, tu t’en serais pas z’encore apercue !

La cavale grimpe en mayonnaise. Elle baisse la voix, non pour attenuer sa vehemence, mais pour bien marquer a son effroyable cousin le respect qu’on doit a un champ de macchabes.

— Nous sommes dans un lieu saint ! objecte-t-elle, et si des va-nu-pieds l’oublient, moi, Dieu merci, je m’en souviens !

Sa Berurerie n’aime pas ce genre d’apostrophe.

— Pas si nu-pieds que ca, ma belle, mugit-il ; tu continuerais sur ce ton que tes miches en gouttes d’huile s’en rendraient vite compte, vu que je pourrais bien leur presenter mon 44 fillette a bout carre !

Et de me prendre a temoin :

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