bataille rejaillira sur toute sa parente. »

Ils se taisaient toujours, et le Morholt ressemblait au gerfaut que l'on enferme dans une cage avec de petits oiseaux : quand il y entre, tous deviennent muets.

Le Morholt parla pour la troisieme fois : « Eh bien, beaux seigneurs cornouaillais, puisque ce parti vous semble le plus noble, tirez vos enfants au sort et je les emporterai ! Mais je ne croyais pas que ce pays ne fut habite que par des serfs. »

Alors Tristan s'agenouilla aux pieds du roi Marc, et dit :

« Seigneur roi, s'il vous plait de m'accorder ce don, je ferai la bataille. »

En vain le roi Marc voulut l'en detourner. Il etait jeune chevalier : de quoi lui servirait sa hardiesse ? Mais Tristan donna son gage au Morholt, et le Morholt le recut.

Au jour dit, Tristan se placa sur une courtepointe de cendal vermeil, et se fit armer pour la haute aventure. Il revetit le haubert et le heaume d'acier bruni. Les barons pleuraient de pitie sur le preux et de honte sur eux-memes. « Ah ! Tristan, se disaient-ils, hardi baron, belle jeunesse, que n'ai-je, plutot que toi, entrepris cette bataille ! Ma mort jetterait un moindre deuil sur cette terre !… » Les cloches sonnent, et tous, ceux de la baronnie et ceux de la gent menue, vieillards, enfants et femmes, pleurant et priant, escortent Tristan jusqu'au rivage. Ils esperaient encore, car l'esperance au c?ur des hommes vit de chetive pature.

Tristan monta seul dans une barque et cingla vers l'ile Saint-Samson. Mais le Morholt avait tendu a son mat une voile de riche pourpre, et le premier il aborda dans l'ile. Il attachait sa barque au rivage, quand Tristan, touchant terre a son tour, repoussa du pied la sienne vers la mer.

« Vassal, que fais-tu ? dit le Morholt, et pourquoi n'as-tu pas retenu comme moi ta barque par une amarre ?

– Vassal, a quoi bon ? repondit Tristan. L'un de nous reviendra seul vivant d'ici : une seule barque ne lui suffit-elle pas ? »

Et tous deux, s'excitant au combat par des paroles outrageuses, s'enfoncerent dans l'ile.

Nul ne vit l'apre bataille ; mais, par trois fois, il sembla que la brise de mer portait au rivage un cri furieux. Alors, en signe de deuil, les femmes battaient leurs paumes en ch?ur, et les compagnons du Morholt, masses a l'ecart devant leurs tentes, riaient. Enfin, vers l'heure de none, on vit au loin se tendre la voile de pourpre ; la barque de l'Irlandais se detacha de l'ile, et une clameur de detresse retentit : « Le Morholt ! le Morholt ! » Mais, comme la barque grandissait, soudain, au sommet d'une vague, elle montra un chevalier qui se dressait a la proue ; chacun de ses poings tendait une epee brandie : c'etait Tristan. Aussitot vingt barques volerent a sa rencontre et les jeunes hommes se jetaient a la nage. Le preux s'elanca sur la greve et, tandis que les meres a genoux baisaient ses chausses de fer, il cria aux compagnons du Morholt :

«Seigneurs d'Irlande, le Morholt a bien combattu. Voyez : mon epee est ebrechee, un fragment de la lame est reste enfonce dans son crane. Emportez ce morceau d'acier, seigneurs : c'est le tribut de la Cornouailles ! »

Alors il monta vers Tintagel. Sur son passage, les enfants delivres agitaient a grands cris des branches vertes, et de riches courtines se tendaient aux fenetres. Mais quand, parmi les chants d'allegresse, aux bruits des cloches, des trompes et des buccines, si retentissants qu'on n'eut pas oui Dieu tonner, Tristan parvint au chateau, il s'affaissa entre les bras du roi Marc : et le sang ruisselait de ses blessures.

A grand deconfort, les compagnons du Morholt aborderent en Irlande. Naguere, quand il rentrait au port de Weisefort, le Morholt se rejouissait a revoir ses hommes assembles qui l'acclamaient en foule, et la reine sa s?ur, et sa niece, Iseut la Blonde, aux cheveux d'or, dont la beaute brillait deja comme l'aube qui se leve. Tendrement elles lui faisaient accueil, et, s'il avait recu quelque blessure, elles le guerissaient ; car elles savaient les baumes et les breuvages qui raniment les blesses deja pareils a des morts. Mais de quoi leur serviraient maintenant les recettes magiques, les herbes cueillies a l'heure propice, les philtres ? Il gisait mort, cousu dans un cuir de cerf, et le fragment de l'epee ennemie etait encore enfonce dans son crane. Iseut la Blonde l'en retira pour l'enfermer dans un coffret d'ivoire, precieux comme un reliquaire. Et, courbees sur le grand cadavre, la mere et la fille, redisant sans fin l'eloge du mort et sans repit lancant la meme imprecation contre le meurtrier,

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