L'EMPEREUR garde la tete baissee. Sa parole jamais ne fut hative : telle est sa coutume, il ne parle qu'a son loisir. Quand enfin il se redressa, son visage etait plein de fierte. Il dit aux messagers : « Vous avez tres bien parle. Mais le roi Marsile est mon grand ennemi. De ces paroles que vous venez de dire, comment pourrai-je avoir garantie ? – Par des otages », dit le Sarrasin, « dont vous aurez ou dix, ou quinze, ou vingt. Dut-il perir, j'y mettrai un mien fils, et vous en recevrez, je crois, de mieux nes encore. Quand vous serez en votre palais souverain, a la haute fete de saint Michel du Peril, la vous suivra, il vous l'assure, mon seigneur. La, en vos bains, que Dieu fit pour vous, il veut devenir chretien. » Charles repond. « Il peut encore parvenir au salut. »

XI

LA vepree etait belle et le soleil clair. Charles fait etabler les dix mulets. Dans le grand verger il fait dresser une tente. C'est la qu'il heberge les dix messagers ; douze sergents prennent grand soin de leur service. Ils y restent cette nuit tant que vint le jour clair. De grand matin l'empereur s'est leve ; il a ecoute messe, et matines. Il s'en est alle sous un pin ; il i mande ses barons pour tenir son conseil : en toutes ses voies il veut pour guides ceux de France.

XII

L 'EMPEREUR s'en va sous un pin ; pour tenir son conseil il mande ses barons : le duc Ogier et l'archeveque Turpin, Richard le Vieux et son neveu Henri, et le preux comte de Gascogne Acelin, Thibaud de Reims et son cousin Milon. Vinrent aussi et Gerier et Gerin ; et avec eux le comte Roland et Olivier, le preux et le noble ; des Francs de France ils sont plus d'un millier ; Ganelon y vint, qui fit la trahison. Alors commence le conseil d'ou devait naitre une grande infortune.

XIII

« SEIGNEURS barons », dit l'empereur Charles, « le roi Marsile m'a envoye ses messagers. De ses richesses il veut me donner a foison, ours et lions, et vautres dresses pour qu'on les mene en laisse, sept cents chameaux et mille autours bons a mettre en mue, quatre cents mulets charges d'or d'Arabie, et en outre plus de cinquante chars. Mais il me mande que je m'en aille en France : il me suivra a Aix, en mon palais, et recevra notre loi, qu'il avoue la plus sainte ; il sera chretien, c'est de moi qu'il tiendra ses terres. Mais je ne sais quel est le fond de son c?ur. » Les Francais disent : « Mefions-nous ! »

XIV

L'EMPEREUR a dit sa pensee. Le comte Roland, qui ne s'y accorde point, tout droit se dresse et vient y contredire. Il dit au roi : « Malheur si vous en croyez Marsile ! Voila sept ans tous pleins que nous vinmes en Espagne. Je vous ai conquis et Noples et Commibles ; j'ai pris Valterne et la terre de Pine et Balaguer et Tudele et Sezille. Alors le roi Marsile fit une grande trahison : de ses paiens il en envoya quinze, et chacun portait une branche d'olivier, et ils vous disaient toutes ces memes paroles. Vous prites le conseil de vos Francais. Ils vous conseillerent assez follement : vous fites partir vers le paien deux de vos comtes, l'un etait Basan et l'autre Basile ; dans la montagne, sous Haltilie, il prit leur tetes. Faites la guerre comme vous l'avez commencee ! Menez a Saragosse le ban de votre armee ; mettez-y le siege, dut-il durer toute votre vie, et vengez ceux que le felon fit tuer. »

XV

L'EMPEREUR tient la tete baissee. Il lisse sa barbe, arrange sa moustache, ne fait a son neveu, bonne ou mauvaise, nulle reponse. Les Francais se taisent, hormis Ganelon. Il se dresse droit sur ses pieds, vient devant Charles. Tres fierement il commence. Il dit au roi : « Malheur, si vous en croyez le truand, moi ou tout autre, qui ne parlerait pas pour votre bien ! Quand le roi Marsile vous mande que, mains jointes, il deviendra votre homme, et qu'il tiendra toute l'Espagne comme un don de votre grace, et qu'il recevra la loi que nous gardons, celui-la qui vous conseille que nous rejetions un tel accord, peu lui chaut, sire, de quelle mort nous mourrons. Un

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