XXII

QUAND Ganelon voit que Roland s'en rit, il en a si grand deuil qu'il pense eclater de courroux ; peu s'en faut qu'il ne perde le sens. Et il dit au comte : « Je ne vous aime pas, vous qui avez fait tourner sur moi cet injuste choix. Droit empereur, me voici devant vous : je veux accomplir votre commandement.

XXIII

J'IRAI a Saragosse ! Il le faut, je le sais bien. Qui va la-bas n'en peut revenir. Sur toutes choses, rappelez-vous que j'ai pour femme votre s?ur. J'ai d'elle un fils, le plus beau qui soit. C'est Baudoin », dit-il, « qui sera un preux. C'est a lui que je legue mes terres et mes fiefs. Prenez-le bien sous votre garde, je ne le reverrai de mes yeux. » Charles repond : « Vous avez le c?ur trop tendre. Puisque je le commande, il vous faut aller. »

XXIV

LE roi dit : « Ganelon, approchez et recevez le baton et le gant. Vous l'avez bien entendu : les Francs vous ont choisi. – Sire », dit Ganelon, « c'est Roland qui a tout fait ! Je ne l'aimerai de ma vie, ni Olivier, parce qu'il est son compagnon. Les douze pairs, parce qu'ils l'aiment tant, je les defie, sire, ici, sous votre regard ! » Le roi dit : « Vous avez trop de courroux. Vous irez certes, puisque je le commande. – J'y puis aller, mais sans nulle sauvegarde, tout comme Basile et son frere Basant. »

XXV

L'EMPEREUR lui tend son gant, celui de sa main droite. Mais le comte Ganelon eut voulu n'etre pas la. Quand il pensa le prendre, le gant tomba par terre. Les Francais disent : « Dieu ! quel signe est-ce la ? De ce message nous viendra une grande perte. – Seigneurs », dit Ganelon, « vous en entendrez des nouvelles ! »

XXVI

« SIRE », dit Ganelon, « donnez-moi votre conge. Puisqu'il me faut aller, je n'ai que faire de plus m'attarder. » Et le roi dit : « Allez, par le conge de Jesus et par le mien ! » De sa dextre il l'a absous et signe du signe de la croix. Puis il lui delivra le baton et le bref.

XXVII

LE comte Ganelon s'en va a son campement. Il se pare des equipements les meilleurs qu'il peut trouver. A ses pieds il a fixe des eperons d'or, il ceint a ses flancs Murgleis, son epee. Sur Tachebrun, son destrier, il monte ; son oncle, Guinemer, lui a tenu l'etrier. La vous eussiez vu tant de chevaliers pleurer, qui tous lui disent : « C'est grand'pitie de votre prouesse ! En la cour du roi vous futes un long temps, et l'on vous y tenait pour un noble vassal. Qui vous marqua pour aller la-bas, Charles lui-meme ne pourra le proteger ni le sauver. Non, le comte Roland n'eut pas du songer a vous : vous etes issu d'un trop grand lignage. » Puis ils lui disent : « Sire, emmenez-nous ! » Ganelon repond : « Ne plaise au Seigneur Dieu ! Mieux vaut que je meure seul et que vivent tant de bons chevaliers. En douce France, seigneurs, vous rentrerez. De ma part saluez ma femme, et Pinabel, mon ami et mon pair, et Baudoin, mon fils… Donnez-lui votre aide et tenez-le pour votre seigneur. » Il entre en sa route et s'achemine.

XXVIII

GANELON chevauche sous de hauts oliviers. Il a rejoint les messagers sarrasins. Or voici que Blancandrin s'attarde a ses cotes : tous deux conversent par grande ruse.

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