Blancandrin dit : « C'est un homme merveilleux que Charles ! Il a conquis la Pouille et toute la Calabre ; il a passe la mer salee et gagne a saint Pierre le tribut de l'Angleterre : que vient-il encore chercher ici, dans notre pays ? » Ganelon repond : « Tel est son bon plaisir. Jamais homme ne le vaudra. »

XXIX

BLANCANDRIN dit : « Les Francs sont gens tres nobles. Mais ils font grand mal a leur seigneur, ces ducs et ces comtes qui le conseillent comme ils font : ils l'epuisent et le perdent, lui et d'autres avec lui. » Ganelon repond : « Ce n'est vrai, que je sache, de personne, sinon de Roland, lequel, un jour, en patira. L'autre matin, l'empereur etait assis a l'ombre. Survint son neveu, la brogne endossee, qui des abords de Carcasoine ramenait du butin. A la main il tenait une pomme vermeille : « Prenez, beau sire, dit-il a son oncle : de tous les rois je vous donne en present les couronnes. » Son orgueil est bien fait pour le perdre, car chaque jour il s'offre en proie a la mort. Vienne qui le tue ; nous aurions paix pleniere ! »

XXX

BLANCANDRIN dit ; « Roland est bien digne de haine, qui veut reduire a merci toute nation et qui pretend sur toutes les terres ! Pour tant faire, sur qui donc compte-t-il ? » Ganelon repond : « Sur les Francais ! Ils l'aiment tant que jamais ils ne voudront lui faillir. Il leur donne a profusion or et argent, mulets et destriers, draps de soie, armures. A l'empereur meme il donne tout ce qu'il veut ( ?) : il lui conquerra les terres d'ici jusqu'en Orient. »

XXXI

TANT chevaucherent Ganelon et Blancandrin qu'ils ont echange sur leur foi une promesse : ils chercheront comment faire tuer Roland. Tant chevaucherent-ils par voies et par chemins qu'a Saragosse ils mettent pied a terre, sous un if. A l'ombre d'un pin un trone etait dresse, enveloppe de soie d'Alexandrie. La est le roi qui tient toute l'Espagne. Autour de lui vingt mille Sarrasins. Pas un qui sonne mot, pour les nouvelles qu'ils voudraient ouir. Voici que viennent Ganelon et Blancandrin.

XXXII

BLANCANDRIN est venu devant Marsile ; il tient par le poing le comte Ganelon. Il dit au roi : « Salut, au nom de Mahomet et d'Apollin, de qui nous gardons les saintes lois ! Nous avons fait votre message a Charles. Vers le ciel il eleva ses deux mains, loua son Dieu, ne fit autre reponse. Il vous envoie, le voici, un sien noble baron, qui est de France et tres haut homme. Par lui vous apprendrez si vous aurez la paix ou non. » Marsile repond : « Qu'il parle, nous l'entendrons ! »

XXXIII

OR le comte Ganelon y avait fort songe. Par grand art il commence, en homme qui sait parler bien. Il dit au roi : « Salut, au nom de Dieu, le Glorieux, que nous devons adorer ! Voici ce que vous mande Charlemagne, le preux : recevez la sainte loi chretienne, il veut vous donner la moitie de l'Espagne en fief. Si vous ne voulez pas accepter cet accord, vous serez pris et lie de vive force ; a la cite d'Aix vous serez emmene ; la, par jugement, finira votre vie : vous mourrez de mort honteuse et vile. » Le roi Marsile a fremi. Il tenait un dard, empenne d'or : il veut frapper, mais on l'a retenu.

XXXIV

LE roi Marsile a change de couleur. Il secoue son javelot. Quand Ganelon le voit, il met la main a son epee. Il l'a tiree du fourreau la longueur de deux doigts. Il lui dit : « Vous etes tres belle et claire. Si longtemps en cour royale je vous aurai portee ! Il n'aura point sujet, l'empereur de France, de dire que je suis mort, seul en la terre etrangere, sans

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