que les plus vaillants vous aient achetee a votre prix. » Les paiens disent : « Empechons la melee ! »

XXXV

TANT l'ont prie les meilleurs Sarrasins que sur son trone Marsile s'est rassis. L'Algalife dit : « Vous nous mettiez en un mauvais pas, quand vous vouliez frapper le Francais : vous deviez ecouter et entendre. – Sire », dit Ganelon, « ce sont choses qu'il convient que j'endure. Mais je ne laisserais pas, pour tout l'or que fit Dieu, ni pour toutes les richesses qui sont en ce pays, de lui dire, si j'en ai le loisir, ce que Charles, le roi puissant, lui mande par moi, lui mande comme a son mortel ennemi. » Il portait un manteau de zibeline, recouvert de soie d'Alexandrie. Il le rejette, et Blancandrin le recoit ; mais son epee, il n'a garde de la lacher. En son poing droit, par le pommeau dore, il la tient. Les paiens disent : « C'est un noble baron ! »

XXXVI

GANELON s'est avance vers le roi. Il lui dit : « Vous vous irritez a tort, puisque Charles, qui regne sur la France, vous mande ceci : Recevez la loi des chretiens, il vous donnera en fief la moitie de l'Espagne. L'autre moitie, Roland l'aura, son neveu : vous partagerez avec un tres orgueilleux co-seigneur. Si vous ne voulez pas accepter cet accord, le roi viendra vous assieger dans Saragosse : de vive force vous serez pris et lie ; vous serez mene droit a la cite d'Aix ; vous n'aurez pour la route palefroi ni destrier, mulet ni mule, que vous puissiez chevaucher ; vous serez jete sur une mauvaise bete de somme ; la, par jugement, vous aurez la tete tranchee. Notre empereur vous envoie ce bref. » Il l'a remis au paien, dans sa main droite.

XXXVII

MARSILE a pali de courroux. Il rompt le sceau, en jette la cire, regarde le bref, voit ce qui est ecrit : « Charles me mande, le roi qui tient la France en sa baillie, qu'il me souvienne de sa douleur et de sa colere pour Basan et son frere Basile, de qui j'ai pris les tetes aux monts de Haltoie ; si je veux racheter ma vie, que je lui envoie mon oncle l'Algalife ; sans quoi, jamais il ne m'aimera. » Alors le fils de Marsile prit la parole. Il dit au roi : « Ganelon a parle en fou. Il en a trop fait : il n'a plus droit a vivre. Livrez-le moi, je ferai justice. » Quand Ganelon l'entend, il brandit son epee, va sous le pin, s'adosse au tronc.

XXXVIII

MARSILE s'est retire dans le verger. Il a emmene avec lui ses meilleurs vassaux. Et Blancandrin y vint, au poil chenu, et Jurfaret, qui est son fils et son heritier, et l'Algalife, son oncle et son fidele. Blancandrin dit : « Appelez le Francais : il nous servira, il me l'a jure sur sa foi. » Le roi dit : « Amenez-le donc. » Et Blancandrin l'a pris par la main droite et le conduit par le verger jusqu'au roi. La ils debattent la laide trahison.

XXXIX

« BEAUX sire Ganelon », lui dit Marsile, « je vous ai traite un peu legerement quand, en ma colere, je faillis vous frapper. Je vous le gage par ces peaux de martre zibeline, dont l'or vaut plus de cinq cents livres : avant demain soir je vous aurai paye une belle amende. » Ganelon repond : « Je ne refuse pas. Que Dieu, s'il lui plait, vous en recompense ! »

XL

MARSILE dit : « Ganelon, sachez-le, en verite, j'ai a c?ur de beaucoup vous aimer. Je veux vous entendre parler de Charlemagne. Il est tres vieux, il a use son temps ; a mon escient il a deux cents ans passes. Il a par tant de terres mene son corps, il a sur son bouclier pris tant de coups, il a reduit tant de riches rois a mendier : quand sera-t-il las de guerroyer ? » Ganelon repond : « Charles n'est pas celui que vous pensez. Nul homme ne le

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