moderatrice, non adversaire des voluptez.
Nature est un doux guide: Mais non pas plus doux, que prudent et juste.
Or sus pour voir, faictes vous dire un jour, les amusemens et imaginations, que celuy-la met en sa teste, et pour lesquelles il destourne sa pensee d'un bon repas, et plainct l'heure qu'il employe a se nourrir: vous trouverez qu'il n'y a rien si fade, en tous les mets de vostre table, que ce bel entretien de son ame (le plus souvent il nous vaudroit mieux dormir tout a faict, que de veiller a ce, a quoy nous veillons) et trouverez que son discours et intentions, ne valent pas vostre capirotade. Quand ce seroient les ravissemens d'Archimedes mesme, que seroit- ce? Je ne touche pas icy, et ne mesle point a ceste marmaille d'hommes que nous sommes, et a ceste vanite de desirs et cogitations, qui nous divertissent, ces ames venerables, eslevees par ardeur de devotion et religion, a une constante et conscientieuse meditation des choses divines, lesquelles preoccupans par l'effort d'une vive et vehemente esperance, l'usage de la nourriture eternelle, but final, et dernier arrest des Chrestiens desirs: seul plaisir constant, incorruptible: desdaignent de s'attendre a nos necessiteuses commoditez, fluides et ambigues: et resignent facilement au corps, le soin et l'usage, de la pasture sensuelle et temporelle. C'est un estude privilege. Entre nous, ce sont choses, que j'ay tousjours veues de singulier accord: les opinions supercelestes, et les moeurs sousterraines.
Esope ce grand homme vid son maistre qui pissoit en se promenant, Quoy donq, fit-il, nous faudra-il chier en courant? Mesnageons le temps, encore nous en reste-il beaucoup d'oisif, et mal employe. Nostre esprit n'a volontiers pas assez d'autres heures, a faire ses besongnes, sans se desassocier du corps en ce peu d'espace qu'il luy faut pour sa necessite. Ils veulent se mettre hors d'eux, et eschapper a l'homme. C'est folie: au lieu de se transformer en Anges, ils se transforment en bestes: au lieu de se hausser, ils s'abbattent. Ces humeurs transcendentes m'effrayent, comme les lieux hautains et inaccessibles. Et rien ne m'est fascheux a digerer en la vie de Socrates, que ses ecstases et ses demoneries. Rien si humain en Platon, que ce pourquoy ils disent, qu'on l'appelle divin. Et de nos sciences, celles-la me semblent plus terrestres et basses, qui sont les plus haut montees. Et je ne trouve rien si humble et si mortel en la vie d'Alexandre, que ses fantasies autour de son immortalisation. Philotas le mordit plaisamment par sa responce. Il s'estoit conjouy avec luy par lettre, de l'oracle de Jupiter Hammon, qui l'avoit loge entre les Dieux. Pour ta consideration, j'en suis bien ayse: mais il y a dequoy plaindre les hommes, qui auront a vivre avec un homme, et luy obeyr, lequel outrepasse, et ne se contente de la mesure d'un homme.
C'est une absolue perfection, et comme divine, de scavoir jouyr loyallement de son estre: Nous cherchons d'autres conditions, pour n'entendre l'usage des nostres: et sortons hors de nous, pour ne scavoir quel il y faict. Si avons nous beau monter sur des eschasses, car sur des eschasses encores faut-il marcher de nos jambes. Et au plus esleve throne du monde, si ne sommes nous assis, que sus nostre cul.
Les plus belles vies, sont a mon gre celles, qui se rangent au modelle commun et humain avec ordre: mais sans miracle, sans extravagance. Or la vieillesse a un peu besoin d'estre traictee plus tendrement, Recommandons la a ce Dieu, protecteur de sante et de sagesse: mais gaye et sociale:
Fin du livre III