Novecento s’arreta de jouer. C’etait un petit garcon qui parlait peu mais apprenait vite. Avec douceur, il regarda le commandant, et il lui dit :

«Au cul le reglement. »

(On entend en audio des bruits de tempete.)

L’Ocean s’est reveille / l’Ocean a deraille / l’eau explose dans le ciel / elle explose / elle degringole / arrache les nuages au vent et les etoiles / il est furieux l’Ocean / il se dechaine / mais jusqu’a quand / personne ne sait / un jour entier / ca finira par s’arreter / maman ce truc-la maman / tu ne me l’avais pas dit / dors mon enfant / c’est la berceuse de l’Ocean / l’Ocean qui te berce / tu parles qu’il me berce / il est furieux l’Ocean / partout / l’ecume / et le cauchemar / il est fou l’Ocean / aussi loin qu’on peut voir / tout est noir / de grands murs noirs / qui deboulent / et tous la tous / la gueule ouverte / en attendant / que ca s’arrete / qu’on coule a pic / je veux pas maman / je veux l’eau qui repose / l’eau qui reflete / arrete-moi / ces murailles / absurdes / ces murailles d’eau / qui degringolent / et tout ce bruit /

je reveux l’eau que tu connais

je reveux la mer

le silence

la lumiere

et les poissons volants

dessus

qui volent.

Premiere traversee, premiere tempete. La poisse. J’avais meme pas eu le temps de comprendre ou j’etais que je me retrouvais dans un des grains les plus terribles de l’histoire du Virginian. En pleine nuit, il a eu les boules et hop, il a tout envoye promener. L’Ocean. A croire que ca ne s’arreterait jamais. Le type qui est sur un bateau pour jouer de la trompette, on ne peut pas dire qu’il soit d’une grande utilite quand l’ouragan arrive. Il peut juste eviter de jouer de la trompette, histoire de ne pas compliquer les choses. Et puis rester sur sa couchette, bien tranquille. Mais moi, je ne pouvais pas. T’as beau essayer de penser a autre chose, tu es sur que tot ou tard ces mots vont venir se vriller dans ton crane : fait comme un rat. Je ne voulais pas crever comme un rat, alors je suis sorti de ma cabine et j’ai commence a errer de-ci, de-la. Je ne savais meme pas ou aller, ca faisait quatre jours seulement que j’etais sur ce bateau, deja pas mal si je retrouvais le chemin des toilettes. C’est des vraies villes flottantes, ces machins. Sans blague. Bref, ca n’a pas fait un pli, a force de me cogner dans tous les coins et de prendre des couloirs au hasard, comme ca se presentait, j’ai fini par me perdre. Bon. J’etais fichu, cette fois. Et c’est a ce moment-la qu’est arrive un type, tout elegant, habille de noir, et qui marchait tranquillement, pas du tout l’air d’etre perdu, on aurait dit qu’il n’entendait meme pas les vagues, comme s’il etait a Nice sur la Promenade des Anglais : ce type-la, c’etait Novecento.

Il avait vingt-sept ans, a l’epoque, mais il paraissait plus age. Je le connaissais a peine : on avait joue ensemble dans l’orchestre, pendant ces quatre jours, mais c’etait tout. Je ne savais meme pas ou etait sa cabine. Bien sur, les autres m’avaient un peu parle de lui. Ils racontaient des droles de choses : ils disaient : Novecento, il est jamais descendu. Il est ne sur le bateau, et depuis, il y est reste. Toujours. Vingt-sept ans sans mettre pied a terre, jamais. Dit comme ca, ca avait tout l’air d’une craque monumentale... Ils disaient aussi qu’il jouait une musique qui n’existait pas. Moi, ce que je savais, c’etait que chaque fois qu’on s’appretait a jouer, dans la salle de bal, Fritz Hermann, un Blanc qui ne comprenait rien a la musique mais qui avait une belle gueule, c’est pour ca d’ailleurs qu’il dirigeait l’orchestre, s’approchait de lui et lui disait tout bas :

«Novecento, s’il te plait, que les notes normales, d’accord ? »

Novecento faisait oui de la tete et il jouait les notes normales, en regardant fixement devant lui, jamais un regard pour ses mains, comme s’il etait completement ailleurs. Maintenant je le sais, qu’il y etait, ailleurs. Mais a l’epoque je le savais pas : je le trouvais un peu bizarre, c’est tout.

Cette nuit-la, au beau milieu de la tempete, avec cet air de grand seigneur en vacances, il me vit la, egare dans un couloir quelconque avec la tete du type qui est mort, il me regarda, il me sourit, et il me dit : « Viens. »

Eh bien, quand un gars qui est sur un bateau pour jouer de la trompette rencontre au beau milieu d’un ouragan un gars qui lui dit « Viens », le gars qui joue de la trompette, il n’a qu’une seule chose a faire : il y va. J’y allai donc. Lui, il marchait. Moi... moi, c’etait un peu different. Je n’avais pas une aussi belle allure, mais bon... on finit par arriver jusqu’a la salle de bal, et puis, ballottes de-ci, de-la, enfin, surtout moi, parce que lui, on aurait dit qu’il avait des rails sous les pieds, on arrive pres du piano. Personne aux environs. Il faisait presque noir, juste quelques petites lueurs ici ou la. Novecento me montra les pieds du piano.

« Enleve les cales »,

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