D’abstraites categories philosophiques. Dans votre vie quotidienne, elles ne signifient rien. Tandis que tout ce labyrinthe, si vous le contempliez de haut  …

Camille se tut. Robert attendit un peu et demanda :

— Et vous, vous l’avez fait ?

Camille ne repondit pas et Robert decida de ne pas insister. Il soupira, posa son menton sur ses poings, ferma les yeux. « Un homme parle et agit, pensait-il. Ce sont les manifestations exterieures de divers processus qui se deroulent tout au fond de son etre. Celui-ci, chez la plupart des gens est plutot reduit, si bien que chacun de ses mouvements se manifeste aussitot a l’exterieur ; en regle generale, sous forme de vains babillages et de gesticulation insensee. En revanche, chez des gens comme Camille, ces processus doivent etre tres puissants, sinon ils ne se frayeraient pas un chemin vers la surface. Si seulement on pouvait jeter un tout petit coup d’?il a l’interieur de lui ! » Robert s’imagina un abime beant au fond duquel se succedaient precipitamment des ombres phosphorescentes et informes.

« Personne ne l’aime. Tout le monde le connait — sur l’Arc-en-ciel il n’y a pas un homme qui ne connaisse pas Camille — mais personne, personne ne l’aime. Dans une telle solitude, moi, je serais devenu fou, mais Camille a l’air de s’en desinteresser completement. Il est toujours seul. On ne sait pas ou U habite. Il apparait soudain et disparait de meme. On voit son bonnet blanc tantot a la Capitale, tantot en pleine mer ; il y a des gens qui affirment l’avoir vu simultanement dans deux endroits differents. Bien entendu, c’est du folklore local, mais tout ce qui se dit sur Camille prend presque toujours des airs d’etrange anecdote. Il a une maniere bizarre de dire « moi » et « vous ». Personne ne l’a jamais vu travailler, mais de temps en temps il fait une apparition au Conseil pour y enoncer des choses incomprehensibles. Parfois, on arrive a saisir son idee, et dans ces cas-la personne n’est en mesure de le contredire. Lamondoy a fait un jour remarquer qu’a cote de Camille il se sentait le petit-fils stupide d’un grand-pere intelligent. En general, il donne l’impression que tous les physiciens de la planete, d’Etienne Lamondoy a Robert Skliarov, vegetent pareillement  … »

Robert se rendit compte qu’il allait bientot cuire dans sa propre sueur. U se leva et se mit sous la douche. Il resta sous le jet glacial jusqu’a en avoir la chair de poule et que disparut l’envie de s’installer dans un refrigerateur et de s’y endormir.

Lorsqu’il regagna le laboratoire, Camille etait en train de parler a Patrick. Deconcerte, Patrick plissait le front, remuait les levres et regardait Camille avec detresse et humilite. Camille disait d’un ton monocorde et patient :

— Tachez de prendre en consideration les trois facteurs, Tous les trois en meme temps. Ici, il n’est nul besoin de theorie, simplement d’un peu d’imagination en profondeur. Un zero-acteur dans le subespace et dans les deux coordonnees temporales. Vous n’en etes pas capable ?

Patrick secoua lentement la tete. D faisait peine a voir. Camille attendit une minute, puis haussa les epaules et debrancha le videophone. Tout en se frottant avec une serviette a l’etoffe reche, Robert dit d’un ton resolu :

— Pourquoi faire ca, Camille ? C’est grossier. Et insultant.

Camille haussa de nouveau les epaules. Ce geste donnait l’impression que sa tete, ecrasee par le casque, plongeait dans sa poitrine et rebondissait a la surface.

— Insultant ? dit-il. Et pourquoi pas ?

Il n’y avait rien a repondre. Robert sentait instinctivement qu’il etait vain d’aborder des themes moraux avec Camille. Camille ne comprendrait meme pas de quoi il s’agissait.

Il accrocha la serviette et se mit a preparer le petit dejeuner. Ils mangerent en silence. Camille se limita a un petit morceau de pain avec de la confiture et un verre de lait. Il mangeait toujours tres peu. Puis il dit :

— Roby, savez-vous s’ils ont renvoye le Fleche ?

— Oui. Avant-hier, dit Robert.

— Avant-hier  … Mauvais.

— Pourquoi avez-vous besoin du Fleche, Camille ?

Camille repondit, indifferent :

— Moi, je n’en ai pas besoin.

CHAPITRE II

Gorbovski fit arreter a l’entree de la Capitale. Il descendit de voiture et dit :

— J’ai tres envie de me promener.

— Allons-y, dit Marc Valkenstein, et il descendit a son tour.

La chaussee droite et brillante etait vide ; tout autour la steppe jaune et verte ; la luxuriance de la vegetation terrestre laissait entrevoir ca et la les taches multicolores des edifices urbains.

— Il fait trop chaud, protesta Percy Dickson. Ca fatigue le c?ur.

Gorbovski cueillit une petite fleur au bord de la chaussee et l’approcha de son visage.

— J’aime quand il fait chaud, dit-il. Venez avec nous, Percy. Vous vous etes completement ramolli.

Percy referma la portiere.

— Comme vous voulez. A vrai dire, pendant ces vingt dernieres annees, vous m’avez terriblement epuise. Je suis vieux et j’ai envie de me reposer un peu de vos paradoxes. Ayez la bonte de ne pas m’aborder sur la plage.

— Percy, dit Gorbovski, vous feriez mieux d’aller a L’Enfance. Il est vrai que je ne sais pas ou c’est, mais la, vous trouverez des momes, des rires naifs, la simplicite des m?urs  … « M’sieur ! crieront-ils. Venez jouez au mammouth ! »

— Seulement, faites attention a votre barbe, ajouta Marc avec un sourire. Ils vont s’y balancer !

Percy grogna quelque chose et partit comme une fleche. Marc et Gorbovski s’engagerent sur un sentier et se mirent a marcher lentement le long de la chaussee.

— Le barbu est en train de vieillir, dit Marc. Voila qu’il en a assez de nous, maintenant.

— Mais non, Marc, dit Gorbovski. (Il sortit son diffuseur de sa poche.) Il n’en a pas assez de nous. Simplement, il est fatigue. Et puis, il est decu. Vous pensez : cet homme a sacrifie pour nous vingt ans de sa vie tant il avait envie de savoir quelle etait l’influence du cosmos sur nous. Et le cosmos, curieusement, n’en a aucune  … Je veux mon Afrique. Ou est mon Afrique ? Pourquoi tous mes enregistrements sont-ils toujours melanges ?

Il trainait sur le sentier derriere Marc, la fleur entre les dents, reglant le diffuseur et trebuchant a chaque pas. Puis il trouva l’Afrique, et la steppe jaune et verte s’emplit du son du tam-tam. Marc se retourna.

— Crachez cette saloperie, dit-il, l’air degoute.

— Pourquoi une saloperie ? C’est une petite fleur.

Le tam-tam tonnait.

— Baissez au moins le son, dit Marc.

Gorbovski baissa le son.

— Encore, s’il vous plait.

Gorbovski feignit de baisser encore le son.

— Comme ca ? demanda-t-il.

— Je ne comprends pas pourquoi je ne l’ai pas casse depuis longtemps, dit Marc a la cantonade.

Gorbovski se hata de baisser presque completement le son et mit le diffuseur dans la poche interieure de sa veste.

Ils longeaient de joyeuses maisonnettes multicolores entourees de lilas ; sur les toits se dressaient, tous identiques, des recepteurs d’energie coniques et grillages. Un chat roux traversa le sentier en tapinois. « Tss, tss, tss », appela Gorbovski rejoui. Le chat se jeta a toutes pattes dans l’herbe dense et, de la, regarda Gorbovski avec des yeux sauvages. Des abeilles bourdonnaient paresseusement dans l’air incandescent. Quelque part retentissait, veritable rugissement, un lourd ronflement.

— Quel village, dit Marc. Et ca se pretend la capitale ! Ils dorment jusqu’a neuf heures  …

— Pourquoi dire ca, Marc, protesta Gorbovski. Moi, par exemple, je trouve que c’est tres bien ici. Des abeilles  … Le chat qui traverse le sentier  … Que desirez-vous de plus ? Voulez-vous que j’augmente le son ?

— Non, dit Marc. Je n’aime pas ce genre de villages paresseux. Dans des villages paresseux vivent des gens

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