Si je te raconte, c'est pour t'expliquer le cote tatonnant d'une enquete. Lorsque tu n'as rien a te foutre sous les chailles, tu maches du chewing-gum pour tromper ta faim. Seulement, ca ne remplit pas la panse ! L'estom' reclame toujours. Faut pas trop le berlurer, qu'autrement il se fache. On ne va pas brouter de l'air et boire du vide jusqu'a la Saint-Lurette !

Et puis c'est le genial Blanc qui defriche une voie a travers la foret vierge de notre ignorance, comme l'ecrivait Mme de Stael aux eveques de Troyes, de Foix et de Sete.

Sa propose me botte (secrete).

En moins d'une plombe, tout est boucle et nous convoquons les medias pour une conference de presse relative a l'attentat perpetre contre David Grey.

On a une salle, a la cabane Pebroque, pour ce genre de ceremonie : un lieu gai comme le hall d'une gare de province desaffectee. La table centrale est ovale et a peine plus grande que les arenes de Nimes, avec des sous-main pour marquer les places. Sur les murs, quelques croutes issues du Mobilier national, offrant des personnages constipes, engonces dans des habits du siecle dernier.

J'accueille, dans cet endroit frivole, les representants de l'actualite. Une douzaine : presse ecrite, TV, radio. Je la leur bonnis romanesque a souhait.

Topo ? Miss Pamela Grey, fille du celebre grossium ricain est venue en Europe, etudes achevees, pour enrichir sa culture. Elle naviguait avec une potesse a bord du Princesse Butock. Au cours de la traversee, son amie a disparu. Tout porte a croire qu'elle a peri en mer. Premier drame !

Vous me suivez-t-il bien, messieurs ?

Ils !

J'enchaine.

Pamela se pointe a Pantruche, first etape de son circuit. Las ! parvenue a la gare du Nord, la pauvrette, ne tombe-t-elle pas d'un praticable provisoire installe au-dessus des voies ? Tres grievement blessee, elle est transportee dans une clinique reputee. Second drame !

Dare-dare, nous ouvrons une enquete a deux battants et, rapidement, un temoin se presente, affirme qu'il a vu un homme saisir l'Americaine par les chevilles et la balancer de la passerelle. Sur l'instant, abasourdi, il n'a pas reagi, mais sa conscience faisant des siennes, il est venu la liberer dans nos bras seculiers et nous fournir une description tres precise du criminel.

Turellement, les medias me pressent de questions pour que je leur repercute le signalement de l'agresseur. M'y refuse, alleguant le secret professionnel, car il est impossible de creer le moindre encombrement sur la piste que nous suivons. Ils maugreent, mais l'admettent. Une chroniqueuse, un peu masculine avec son beret et sa canadienne puant le suint, m'interroge avec une fausse innocence : peut-elle rencontrer le « temoin » ?

Ce que j'esperais !

— Je n'ai pas le droit d'en faire mystere, reponds-je, mais je prie « nos amis journalistes » de ne point le harceler.

Promis, jure !

Ils notent fievreusement : Felix Galochard, 116, rue de Turenne, Paris 3e.

Une idee de Jeremie : proposer a M. Felix de servir d'appat. « Ce vieux branleur ne demandera pas mieux que de nous donner un coup de main. »

L'ancien prof s'est declare ravi quand bien meme la chose presentait un certain danger. Sa retraite anticipee lui pese. Mis en disponibilite de l'Education nationale pour exhibitionnisme (lorsqu'on possede une queue mesurant quarante-huit centimetres, on est enclin a la montrer), cet erudit surmembre se languit dans son appartement. Des cours prives donnes a des cancresses de quinze ans jouant avec son enorme paf ne suffisent pas a remplir sa vie. Il a besoin « d'autre chose », ce Leautaud du Marais. Sa misanthropie ne le dispense pas d'etre attire par ses contemporains. Il les pratique a petites doses, apres les avoir selectionnes suivant des criteres particuliers. Il les veut pittoresques plutot qu'intelligents, partant du principe qu'un individu aux facultes mentales developpees fait chier tout le monde, alors que le con divertit par le simple etalage de sa sottise.

Fort de son accord enthousiaste, je l'instruis de son role ; il l'apprend au rasoir. La gare du Nord, la passerelle de bois, l'endroit de la chute. Ne lui decris point l'agresseur puisqu'il doit se montrer muet a son sujet. Rien de plus discret que le non-informe.

Nous l'avons equipe d'un Bip. Il lui suffira de presser en cas de danger pour obtenir une aide immediate.

Pare ! Notre leurre est en place, fasse le ciel que le poisson morde !

* * *

Une commission « rogaton » (selon Beru) s'est pointee des U.S. pour flanquer son tarbouif dans l'affaire Grey. Z'etaient quatre gonzmen aux carrures terribles ; des malabars fringues de tissus infroissables a petits carreaux vert et jaune, coiffes de chapeaux de paille ronds et chausses de grolles a triples semelles permettant de dormir debout.

Mouchekhouil les a recus avec les egards dus a leur prestigieuse nationalite et les emmenes dejeuner chez Lasserre toutes affaires cessantes. Apres ca, ils n'avaient plus qu'a dresser un rapport a l'intention de leurs superieurs.

Comme j'allais quitter la Grande Taule, le standardiste m'a branche une communication de Felicie. La chere Cherie me demandait de passer a la clinique veterinaire ou l'on soignait Salami d'une forte hernie a l'aine. Le bon toutou etait gueri. Je promis de l'aller chercher, car mon cador emerite me manquait cruellement. La vie sans lui perdait de sa tonicite.

En m'apercevant, le basset-hound poussa une clameur d'allegresse qui me ravit. Je m'accroupis devant lui et pressai sa bonne caboche contre mon c?ur. J'aime le contact de ses poils reches et leur etrange odeur d'huile et de lin. Sachant vivre, il ne me lecha pas la frite, comme le font la plupart des canins. En revanche, il enfouit sa bonne tete en forme de sabot sous mon bras pour mieux renifler mon aisselle.

Ce fut un instant de profonde amitie.

Il portait encore un pansement et se deplacait avec precaution, ce qui ne le retint pas de humer avec une evidente volupte sous les jupes de l'assistante venue me presenter la facture. Tu ne l'ignores pas, mon brave basset est tres attire par la femelle de l'homme. En maintes circonstances, je l'ai vu passer une langue recueillie dans la merveilleuse fente de personnes cependant peu portees sur la zoophilie.

Nous rentrames a Saint-Cloud tres euphoriques. Nous fredonnions le meme air, car ce chien d'exception possede l'oreille musicale et aboie la Marseillaise sans faire la moindre fausse note.

J'abandonnai ma Jag devant la grille et nous avancames vers le pavillon avec lenteur a cause de l'operation subie par mon brave toutou. Mes fruitiers jaunissaient. Les premieres feuilles mortes commencaient a joncher l'allee de ciment bordee de buis. Malgre cette mort annoncee de la nature, notre petite propriete restait accueillante. J'eprouvais le besoin de m'y blottir.

Apres le repas, je m'installerais au salon afin de depiauter les envois de bouquins que je recois regulierement. Je ne veux pas qu'on les ouvre a ma place, pour avoir le plaisir de la decouverte. Deballer la prose d'un ami : Didier Van Cauwelaert, de Caunes, Bouvard, Dutourd et d'autres, me ramene a l'epoque de la distribution des prix. Les ouvrages que je recevais alors me donnaient un bonheur particulier.

Comme mon quadruple clopine, je lui propose de le porter, mais il refuse d'un mouvement de tete qui fait voleter ses longues oreilles. Il a raison : une reeducation doit s'effectuer avec la seule energie de l'interesse.

En entrant, je realise illico que « nous avons du monde ». Un murmure de voix provient du salon et je distingue des ombres par la porte vitree.

Je demande a Carmen qui vient nous faire chier en ce debut de soiree.

Elle me repond : « El voisine ». Puis se met a feter le retour du chien prodigue a grand renfort de caresses et d'onomatopees ridicules. Pour mieux se prodiguer, elle s'accroupit, me permettant de constater qu'elle a un bonnet de hussard entre les cuisses, en guise de culotte.

Inemoustille par cette vision plus luxuriante que luxurieuse, j'ouvre la lourde du salon. Y decouvre Feloche en converse avec Charretier, le pompiste (puisqu'il travaille aux Pompes funebres) et une dame ayant la forme

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