— Jamais personne n’est venu le voir ? Reflechissez bien.

Elle gamberge vilain. Ca la plisse, la crispe, la contracte, la fissure, la tire-bouchonne, la gondole, la deforme, la transforme, la decompose. Elle ferme un ?il, se mord le dedans des joues, se fait des n?uds aux doigts, se met les pieds en bottes de radis et les jambes en bottes de sept lieues. Elle larmoie, elle souffrette, elle craquelle, elle geint, elle grince, elle titube, elle pousse, elle se pame, elle spasme, elle se pince, elle specule, elle speculum (e), elle dominus vobiscum (e), elle se force, elle se demantele, elle s’ouvre, elle s’extrait, elle s’extrapole, elle s’apostolique, elle pond, elle repond :

— Oui, en effet…

Je bondis.

— Qui, quand ?

— Le mois dernier, m’sieur le cure a passe pour le dernier des cultes !

— Et c’est tout ? westinghouse-je.

— C’est tout !

— Vous n’avez jamais vu une jeune femme blonde roder autour de sa maison ?

— Jamais !

— Vous n’avez jamais apercu d’auto stationnee pres de chez lui ?

— A part celle du boulanger, jamais !

— Le jour de sa mort, la maison etait en ordre ?

La Melie medite.

— Ben, a part son lit…

— Qu’avait-il, son lit ?

— Le matelas etait dechire… Et y avait plein de feuilles de mais autour… Le medecin a dit qu’il avait du prendre une crise de c?ur et se debattre. Et puis…

Le docteur (vous me croirez si vous voulez, et si vous ne voulez pas, allez vite vous asseoir sur un paratonnerre) se nomme Purgon.

Faut le voir grave sur une plaque de cuivre pour y croire.

C’est un vieux pochard pas rase, bouffi, aux cils farineux, au regard gelatineux, au nez constelle de gros points noirs. Il est vetu d’un pull marron, dechire, et il porte un beret basque surmonte d’une petite queue poireuse.

Je lui dis qui je suis et pourquoi je viens. Il m’ecoute, abattu dans son fauteuil comme un albatros sur le pont d’un cargo. J’ai idee que, malgre l’heure matinale, il est deja naze. Ses levres violettes ressemblent a des hemorroides mal soignees. De grosses valoches a soufflets lui gonflent les pommettes.

Lorsque je me tais, il promene a plusieurs reprises sa langue denaturee sur ses commissures pour s’huiler les articulations.

— Parce qu’en somme, vous croyez que sa mort est suspecte ? resume-t-il.

Sa voix a les inflexions caressantes d’une chasse d’eau.

— En somme, oui ! admets-je.

— Pourquoi ?

— Disons que j’ai mes raisons. Vous etes certain qu’il est mort d’un arret du c?ur ?

— On meurt toujours par arret du c?ur, ironise-t-il.

Mais il voit a ma frite pas contente que je n’apprecie guere les boutades de ce style et il reprend :

— Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise : il faisait moins dix… Il etait violace, raide… Le bougeoir… En chemise… Au pied de l’escalier… J’ai pense qu’il s’etait leve pour pisser… Une marche ratee… Estourbi… La congestion etait inevitable !

J’aime assez son style, au toubib. Il est plus telegraphique qu’oral, mais il ne manque pas d’une certaine concision.

— La femme de menage vient de m’apprendre que sa paillasse avait ete defoncee.

— Crevee… Mais la toile etait pourrie… Il a suffi qu’il tombe du lit… Se raccroche ! Normal… Pourrie : une toile d’araignee.

— Autre chose, la Melie m’a dit que Prosper Berurier fermait toujours sa porte a cle… Or, ce matin-la, quand elle est arrivee, la porte n’etait fermee qu’au loquet…

Le docteur Purgon hausse les epaules. Je l’ennuie. Le cas Prosper l’ennuie ! La vie l’ennuie. Il habite en dedans de lui, au rez-de-chaussee. Il ne lui reste plus que le vin rouge. Il a hate que je me debine. Il louche vers la cheminee sur laquelle une bouteille de bordeaux a moitie pleine[6] lui fait de l’?il. Ils ont l’air de vachement bien s’entendre, la boutanche et lui. C’est la grosse connivence, l’indefectible amitie.

— Il venait peut-etre de pisser… Sur le pas de sa porte… Le froid… Il a voulu retourner au chaud… Il sera tombe en montant et non en descendant. Je suppose… Tout ca gratuit ! On l’a peut-etre tue, en effet ! C’est pas mon boulot ! Si vous avez des doutes, demandez une autopsie !

Je me leve.

— L’idee est bonne, docteur ! A votre sante !

— J’oserais vous demander un service ? roucoule Laurentine en me virgulant un ?il de platre sur fond jaunasse.

— Faites, mademoiselle.

— Vous pouvez m’emmener avec vous a Paris ?

Beru part d’un gros rire ventral.

— Tiens, v’la miss Benissez-moi qui se dessale ! Fais gaffe, Laurentine ! C’est plein de petits pernicieux a Paname, d’ici que tu retrouves ta vertu dans la boite aux souvenirs, y a pas loin !

Elle est fulmigene, Mlle Berlinguet, et se plante devant son horrible cousin.

— Je vais a Paris, uniquement pour visiter l’immeuble legue par l’oncle. Nous en avons l’usufruit, tu parais l’oublier.

— Je l’oublie pas, assure le Gros.

— Et tu comptais sans doute t’occuper tout seul de cet immeuble, Alexandre-Benoit ?

— Puisque j’etais sur place ! Mais si t’as envie de venir faire tes galipettes dans la capitale, gene-toi pas, il faut bien que vieillesse se passe !

Peut-etre que si elle se doutait de ce qui va arriver, elle renoncerait a Paris by night, Laurentine…

Du moins, je le pense…

DEUXIEME PARTIE

L’IMMEUBLE DE LA RUE LEGENDRE

1

UNE MISSION DE RECONNAISSANCE !

Je sui ete faire un peu de menage chez Alfred que la femme est aux sports divers. Je reviens des que j’aurez finit.

Berthe.

Tel est le mot que Berurier trouve epingle a sa porte lorsque nous passons a son domicile pour y deposer l’heritier a plumes. Heureusement, le Gros a ses cles.

Il va mettre Mongeneral dans la cuisine et nous propose un remontant. Dix heures du matin ! C’est la belle heure pour le premier apero. Ca l’attendrit de visionner la Laurentine chez lui, a Pantruche.

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