episcopale.

Elle se bloque une derniere invective dans les articulations de son dentier et defrime le tabellion a la sournoise.

— La lecture n’est pas terminee ! dit Collignier.

— Tu vois, gentilise Berurier, on a peut-etre droit a une prime de consolation : six petites cuilleres ou un carillon vestimentaire. Attends, frenetique pas sans savoir…

— Comme Mongeneral est deja age, reprend le notaire, et qu’il ne me survivra certainement pas tres longtemps, j’entends qu’a sa mort les biens que je lui legue aillent a mes neveux Alexandre-Benoit Berurier (bien qu’il exerce l’horrible metier de flic) et Laurentine Berlinguet (bien qu’elle soit la derniere des garces) a condition que l’un et l’autre prennent soin de l’animal. Ils en auront la garde alternativement, pendant des periodes d’un mois. Au deces de Mongeneral, le cadavre de celui-ci devra etre soumis au docteur Tifus, medecin veterinaire a Saint-Locdu, lequel devra proceder a l’autopsie de la bete afin de s’assurer qu’elle est bien morte de mort naturelle et qu’elle n’a subi aucun mauvais traitement. En outre, Mongeneral ne pouvant assurer la gestion des biens dont il herite, j’entends que mes neveux aient l’usufruit de ceux-ci. Charge a eux de les faire fructifier d’un commun accord. Dans l’hypothese ou la bete mourrait de facon suspecte, ou s’il etait avere qu’elle a subi de mauvais traitements, la totalite de mes biens iraient a la commune. La liste de mes biens est deja deposee en l’etude de Me Collignier qui devra la communiquer aux ayants droit le moment venu !

Fait a Saint-Locdu-le-Vieux, le 11 janvier 1967.

La qualite du silence n’est plus la meme. Rassuree, miss Laurentine se permet une petite chialee de bon ton.

— Dans le fond, resume Beru, c’etait un blagueur, tonton.

— J’en ai l’impression, avoue-je. Plutot pittoresque comme testament.

Beru se tourne vers Collignier qui baille comme a une conference sur le sous-developpement du tiers- monde.

— Pendant qu’on vous tient, m’sieur Maitre, les biens dont a propos il est question, ca consiste en quoi ?

Le notaire deculotte un dossier verdatre.

— Je vais vous le dire…

Il fait la brasse papillon dans un monceau de paperasses.

— N’entrons pas dans les details, dit-il. En bref, Prosper legue ses proprietes de Saint-Locdu, soit une quarantaine d’hectares avec ferme. Un millier de louis d’or… Pour quelque dix millions d’actions et obligations… Et enfin un immeuble de rapport a Paris, dans le quartier des Batignolles ! Disons qu’il y en a au total pour une centaine de millions !

— Vache anglaise ! tonitrue l’Heritier, mais c’est la grosse galette ! Meme partagee en deux, y a de quoi s’acheter des sandwiches aux rillettes jusqu’a la fin de ses jours, pas vrai, Titine !

Laurentine se fend d’un imperceptible sourire qui ressemble a une dechirure a sa culotte !

— Pour l’instant, conclut le notaire, le plus urgent est que vous recuperiez l’animal en question.

— Ou qu’il est ? demande le Mahousse.

— Chez votre oncle, je suppose.

— Quelqu’un le soigne, j’espere ? demande la jaunasse.

— La, vous m’en demandez trop ! dit Collignier. Bon, nous allons proceder au tirage au sort !

— Pour quoi faire ? grince la girouette rouillee.

— Pour savoir lequel de vous deux aura en premier la garde de l’animal.

Il prend une piece dans son gousset.

— Vous etes la femme, Laurentine, a vous de choisir : pile ou face ?

Elle fait la moue.

— Pile !

Le notaire me tend la piece :

— Puisque nous avons un officier de police, profitons-en ; faites donc sauter la piece, mon cher commissaire.

Je m’execute, comme disait le bourreau qui en avait marre d’etre en chomage.

Je lance la piece et je sors face !

— Parfait, declare le notaire. Nous sommes le 25 janvier, M. Berurier gardera donc l’animal jusqu’au 25 fevrier. Ensuite, ca sera au tour de Mlle Berlinguet.

— Ca va etre gai, ces allees et venues, ronchonne deja la vieille fille.

— Je t’en prie, un peu d’essence ! rabroue le Dodu. L’oncle Prosper voulait que son toutou soye dorlote, il le sera. T’avise pas d’y faire des avanies, a ce cador, autrement sinon, l’heritage nous passe sous le pif, ma beaute.

A propos, c’est quoi t’est-ce comme race ?

Le notaire hausse les epaules.

— Aucune idee. Prosper vivait en reclus et j’ignorais meme qu’il eut un chien. La-dessus, vous m’excuserez, mais il faut que j’aille me coucher car la journee de demain sera rude : je vais au banquet des Presidents Honoraires de Banquets…

Les ornieres gelees sont dures comme la pierre. On se tord les pinceaux en marchant.

— C’etait pas la peine que tu nous files le train, Laurentine, assure Beru, du moment que je suis de garde en premier…

— Tu permets, aigrise-t-elle. Je n’ai pas envie que tu demenages la maison de notre oncle a la cloche de bois. Elle m’appartient de moitie avec tout son contenu.

Le Gros s’arrete en pleine lune. Il prend de la gite sous le poids de la colere.

— J’aurais pas l’onglee, que tu prendrais ma main sur la frite pour m’avoir suspicionne, espece d’insolente ! T’imagines que tous les gens sont comme toi, a ecorcher les morpions pour s’en faire des manteaux ! Ah ! je te vois d’ici evacuer la masure ! Tu parles d’un sauve-qui-peut ! Les draps et les chandeliers d’abord ! Par pleines chaloupes que tu sortirais la camelote, bougre de vieille pie borgne !

Il se plante devant elle, lourd, massif, falaise de viande et de colere.

— Mets-toi bien une chose dans ton caberlot faisande, Titine : l’heritage, il est pas a nous mais au clebard ! On en a que le jus de fruit, comme a cause le notaire ! Le jus de fruit et rien de plus. Suffirait que le medor se fasse scrafer par un autobus ou qu’il bouffe un truc avarie pour qu’on fasse tintin, tu piges ?

La rancie grommelle des presages. On continue…

L’oncle Prosper, il crechait loin du patelin, en limite de bois. Sa ferme delabree est piquee au fond d’un chemin creux dont les ronces non elaguees s’echevellent. Ma tire est a l’oree du chemin vicinal. Le pare-brise est blanc de givre. On va se payer une serieuse partie de frotti-frotta avant de decarrer, moi je vous le dis !

Au fur et a mesure que nous avancons vers le logis du mort, nous sommes surpris d’apercevoir de la lumiere a l’interieur.

— Il avait du personnel, tonton ? demande le Gros a sa cousine.

— Penses-tu, a part la Melie qui venait l’aider au menage…

Laurentine hennit :

— Je parie que cette vieille chaussette est en train de piller la maison !

La voila qui part en galopant, comme si on cherchait a lui enfoncer un tisonnier rougi dans sa boite a suppositoires !

La peur d’etre escroquee lui donne des ailes ! Elle court a en perdre son haleine empanachee.

— Si jamais elle chope la Melie en flagrant du lit, je te promets une bath corrida en vistavision ! annonce mon ami.

Nous pressons le pas !

— Note bien, s’epoumone Sa Majeste, que c’est nettement abominable de venir cambrioler la maison d’un mort. Si jamais c’est un bonhomme qui fait ca, je te lui joue Salut les Copains sur la margoulette jusqu’a ce qu’il eusse glaviote sa derniere dent !

Comme nous atteignons la cour de la ferme, nous percevons un grand cri. Une forme claire bondit a l’exterieur. Un bref instant, la silhouette m’est apparue en pleine lumiere et j’ai cru rever. Une fille blonde, grande, belle, sublime, dans un manteau de fourrure blanc. De grand cheveux blond dore sous une toque de meme metal.

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