Les bonshommes se tassent les miches sur le banc de bois, cire par des generations de pantalons.

Ils sont presque tous vetus de noir et portent des feutres ronds, cabosses, avec un bord renforce. Le taulier vient serrer la louche a Beru. Valentin ! Il est en boulanger : falzar a petits carreaux, gilet de flanelle beant sur une poitrine velue et enfarinee. C’est un gros au nombril borgne.

Un mou ruse dont les yeux font la navette.

Sa Majeste commande un saladier de vin chaud. Il a omis de me presenter. A Saint-Locdu, les mondanites n’ont pas cours. Tout naturellement, la converse roule sur le defunt. De quoi, de qui pourrait-on decemment parler en revenant d’un enterrement ?

— C’est moi qui t’ai envoye un telegramme, Alexandre-Benoit, avertit le maire. Si y aurait eu que ta punaise de Laurentine pour t’informer, tu serais ete prevenu au calendrier grec !

Beru remercie chaleureusement.

— J’ai eu pour trois francs vingt de telegramme, ajoute le premier magistrat, lequel a encore du jaune d’?uf entre les doigts.

Mon compagnon rembourse le maire.

— De quoi qu’il est decede, tonton ? s’inquiete-t-il.

Mathieu regarde le fond de son verre vide et se met a imprimer des ronds de vinasse sur la table. Il stylise un velo, puis l’embleme du billard, ensuite une auto, et enfin l’ecusson des Jeux olympiques.

— Je saurais pas te dire, Alexandre-Benoit, tu devrais voir le docteur. C’est la Melie qui l’a retrouve mort, l’autre matin, en allant lui faire son menage… D’apres ce que m’a dit le medecin, il se serait leve la nuit. Il aurait rate une marche de son escalier et se serait estourbi en tombant. Ton oncle Prosper, pres de ses sous comme tu le connaissais, il faisait pas de feu chez lui, la nuit. Il aurait pris une congestion et il en est mort. A son age, ca pardonne pas, d’autant qu’il faisait moins dix, l’autre nuit. Quand la Melie est arrivee, elle l’a trouve, raide, dans sa cuisine.

Le maire se tait. La servante apporte le saladier de vin chaud. Une legere mousse violacee frise a la surface du genereux liquide. Des quartiers de citron nageotent dans le pinard chauffe. Beru officie, louche en main. Il emplit les verres avec la dexterite d’un cuistot de cantine distribuant le rata.

— En tout cas, murmure le maire, a travers la fumee de son godet, j’ai idee que toi et la Laurentine, vous allez pas vous ennuyer…

— A cause ? demande le Gros.

— A cause d’a cause, retorque Mathieu avec tact et precision.

Et d’ajouter, a titre de complement d’informations :

— Prosper, tu permets, depuis le temps qu’il les mettait a gauche, il doit vous laisser un bas de laine gros comme mes bottes !

Il faut reconnaitre une chose : Beru, c’est pas un cupide. Ainsi, je vous parie un tour de chevaux de bois contre la tour de Pise qu’il n’avait pas encore songe a l’heritage. Mais cette perspective qui lui est brusquement offerte le charme. Il se dit qu’il n’est pas desagreable d’enfouiller un petit tas de ble, alors le chagrin lui vient de ce vieux tonton si miserablement disparu et qui a passe sa chetive existence a amasser des sous pour lui.

— Tu crois que je vais heriter ? demande-t-il au maire.

— Vois le notaire ! conseille le first magistrat de Saint-Locdu ; mais vu que la Laurentine et toi vous etes ses seuls parents…

L’image de l’aigre, seche et veneneuse cousine, se dresse dans l’esprit de Beru, tel un epouvantail au c?ur d’un gras labour. C’est le moche revers de la medaille doree. Il a dans l’idee, Alexandre-Benoit, que le partage ne se fera pas sans douleur.

On ecluse le vin chaud. Pardon, chapeau ! C’est des techniciens, chez Valentin ! Il est sucre, poivre, cannellise a point ! Un nectar (de vigne).

— Qu’est-ce que t’en penses ? triomphe le Gros.

Je rends a son vaillant pays natal le vibrant hommage qui lui est du. Beru profite de la chose pour annoncer au peuple ebloui que je suis le limier number one de France. Ca ne les epate guere. Ils ont beau etre de la brousse, ils n’aiment pas le poulaga. Ce qu’ils ressentent pour les messieurs de notre profession ressemble a de la mefiance, a de la repulsion, a de la honte ! C’est tout juste s’ils ne murmurent pas : « Y a pas de mal », histoire d’etre courtois.

Le Mastar me beurre la tartine a tout-va, comme quoi aucun mystere ne m’a jamais resiste. J’ai denoue les affaires du siecle. Partout ou je passe, les points d’interrogation tombent comme la luzerne sous la lame d’un faucheur.

On recommande un second saladier, puis trois, puis quatre. La fumee emplit la salle. Le brouhaha des conversations fait penser au Parc des Princes un jour de Tournoi des Cinq Nations. Completement naze, le Gros chiale sur son tonton disparu.

— Je l’avais pas revu depuis mon mariage, revele-t-il, mais je pensais souvent a lui. Un grippe-oseille, d’accord ! Un taciturne, re-d’accord ; mais c’etait l’homme integre. La grande tradition francaise ! Des comme lui, le moule est casse ! Verdun ! Medaille militaire ! Croix de guerre avec plus de palmes qu’un elevage de canards ! Et une voix comme l’Opera paierait cherot pour en avoir ! Il te vous interpretait « les B?ufsde Pierre Dupont, a la Chaliapine, le tonton Prosper ! Le plus bel organe du departement ! A son bel age, on se l’arrachait pour les banquets ! Quand le dabe du notaire actuel est clamse, c’est lui qui s’est farci la messe braillee bien qu’il fut anticlerical. Tout le monde pleurait !

Et sa reputation ne se limitait pas seulement a sa voix ! Dans le pays, on le savait, qu’il etait doue par la nature, Prosper ! Les dames le mataient avec crainte et envie. Elles se demandaient toutes si elles etaient capables de lui heberger sa Gemini VII au tonton Berurier. Ca se chuchotait, les echecs de certaines ! Y avait eu des grincements de dents chez les juponnees du canton, des clameurs desesperees, sur l’air de « J’ai beau m’asseoir dans la vaseline ».

Faut dire que c’est une particularite des Berurier, ce surdeveloppement du fouinozoff a tete chercheuse.

Le Gravos en larmoie dans son verre.

Cette fois, c’est la fierte qui lui taquine les glandes lacrymales. Eux autres, les Beru, ils sont marques par l’abondance du kangourou. Depuis seize generations, on n’a jamais vu un Beru avec un scoubidou de sous-officier de reserve.

Toujours les plus belles panoplies de plumards ! Une tradition ! Meme chez les Goix, qui passent pour etre une belle dynastie de casse-sommiers, on a le calbard moins triomphant.

Il en est la de son numero, mon Inestimable, lorsqu’un grand zig a tronche plate s’avance en titubant jusqu’a notre table. Signe particulier, ce zouave a les pommettes en creux, le front proeminent et les narines en points-virgules.

Il pose ses deux pattes velues de part et d’autre du saladier vide et se penche sur Beru. Lors, il joint ses lourds sourcils de griffon et prononce cette phrase d’une rare eloquence, et dont le sens cache n’echappera qu’a ceux qui voudront bien s’en donner la peine :

— Faudrait voir a voir qu’on voie !

Beru se tourne vers le maire.

— Qui c’est, ce gorille, Mathieu ? demande-t-il. Je voudrais savoir ce dont a propos il rouscaille, vu que si ses motifs sont pas fondes, il va avoir droit a son infusion de phalanges !

— C’est le fils Goix, renseigne le maire.

— Pas possible ! amabilise soudain Beru, un gars que j’ai connu haut comme trois pommes !

— Faudrait voir a repeter ce que vous venez de causer au sujet des Goix ! bave Goix junior en dardant sur mon ami ses yeux en forme de vilains crachats.

Berurier, le vaillant, Berurier le juste, branle le chef d’un mouvement lent et conciliant.

— Panique-toi pas, fiston. Ca marchait plutot dans le flatteur. Je disais que vous aviez une bath reputation d’artilleurs en chambre, dans votre famille.

Vous avez dit autre chose, insiste le teigneux.

— Je me rappelle plus quoi t’est-ce, sincerise mon ami.

— C’etait a propos de la chose. Vous pretendiez comme quoi, chez les Berurier, vous etiez plus avantageux que chez nous autres !

— Y a pas de mal a porter le dossard numero 2, mon pote, s’impatiente Sa Majeste. Note que je cause

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