Radieuse est la lueur qui lui pare le front ! Qui vit dans son air, devient meilleur ! Son regard penetre, attendrit. Plus eloquente par son silence que le prophete ne l’est par sa parole, elle triomphe par sa seule presence. Elle dresse l’oreille comme le chien fidele qui attend le maitre. Plus forte que l’amour, plus vive que l’esperance, plus grande que la foi, elle est l’adorable fille qui, couchee sur la terre, y garde un moment la palme conquise en laissant une empreinte de ses pieds blancs et purs ; et quand elle n’est plus, les hommes accourent en foule et disent : « — Voyez ! » Dieu l’y maintient comme une figure aux pieds de laquelle rampent les Formes et les Especes de l’Animalite pour reconnaitre leur chemin. Elle secoue, par moments, la lumiere que ses cheveux exhalent, et l’on voit ; elle parle, et l’on entend, et tous se disent :

— Miracle ! Souvent elle triomphe au nom de Dieu ; les hommes epouvantes la renient, et la mettent a mort ; elle depose son glaive, et sourit au bucher apres avoir sauve les peuples. Combien d’Anges pardonnes sont passes du martyre au ciel ! Sinai, Golgotha ne sont pas ici ou la ; l’Ange est crucifie dans tous les lieux, dans toutes les spheres. Les soupirs arrivent a Dieu de toutes parts. La terre ou nous sommes est un des epis de la moisson, l’humanite est une des especes dans le champ immense ou se cultivent les fleurs du ciel. Enfin, partout Dieu est semblable a lui-meme, et partout, en priant, il est facile d’arriver a lui. »

A ces paroles, tombees comme des levres d’une autre Agar dans le desert, mais qui, arrivees a l’ame, la remuaient comme des fleches lancees par le Verbe enflamme d’Isaie, cet etre se tut soudain pour rassembler ses dernieres forces. Ni Wilfrid, ni Minna n’oserent parler. Tout a coup, IL se dressa pour mourir.

— Ame de toutes choses, o mon Dieu, toi que j’aime pour toi-meme ! Toi, Juge et Pere, sonde une ardeur qui n’a pour mesure que ton infinie bonte ! Donne-moi ton essence et tes facultes pour que je sois mieux a toi ! Prends-moi pour que je ne sois plus moi-meme. Si je ne suis pas assez pur, replonge-moi dans la fournaise ! Si je suis taille en faulx, fais de moi quelque Soc nourricier ou l’Epee victorieuse ! Accorde-moi quelque martyre eclatant ou je puisse proclamer ta parole. Rejete, je benirai ta justice. Si l’exces d’amour obtient en un moment ce qui se refuse a de durs, a de patients travaux, enleve-moi sur ton char de feu ! Que tu m’octroies le triomphe ou de nouvelles douleurs, sois beni ! Mais souffrir pour toi, n’est-ce pas un triomphe aussi ! Prends, saisis, arrache, emporte-moi ! Si tu le veux, rejette-moi ! Tu es l’adore qui ne saurait mal faire. — Ah ! cria-t-il, apres une pause, les liens se brisent !

« Esprits purs, troupeau sacre, sortez des abimes, volez sur la surface des ondes lumineuses ! L’heure a sonne, venez, rassemblez-vous ! Chantons aux portes du Sanctuaire, nos chants dissiperont les dernieres nuees. Unissons nos voix pour saluer l’aurore du Jour Eternel. Voici l’aube de la Vraie Lumiere ! Pourquoi ne puis-je emmener mes amis ? Adieu, pauvre terre ! adieu ! »

VII

L’ASSOMPTION

Ces derniers chants ne furent exprimes ni par la parole, ni par le regard, ni par le geste, ni par aucun des signes qui servent aux hommes pour se communiquer leurs pensees, mais comme l’ame se parle a elle-meme ; car a l’instant ou Seraphita se devoilait dans sa vraie nature, ses idees n’etaient plus esclaves des mots humains. La violence de sa derniere priere avait brise les liens. Comme une blanche colombe, son ame demeura pendant un moment posee sur ce corps dont les substances epuisees allaient s’aneantir.

L’aspiration de l’Ame vers le ciel fut si contagieuse, que Wilfrid et Minna ne s’apercurent pas de la Mort en voyant les radieuses etincelles de la Vie.

Ils etaient tombes a genoux quand il s’etait dresse vers son orient, et partageaient son extase.

La crainte du Seigneur, qui cree l’homme une seconde fois et le lave de son limon, avait devore leurs c?urs.

Leurs yeux se voilerent aux choses de la Terre, et s’ouvrirent aux clartes du Ciel.

Quoique saisis par le tremblement de Dieu, comme le furent quelques-uns de ces Voyants nommes Prophetes parmi les hommes, ils y resterent comme eux en se trouvant dans le rayon ou brillait la gloire de l’ESPRIT.

Le voile de chair qui le leur avait cache jusqu’alors s’evaporait insensiblement et leur en laissait voir la divine substance.

Ils demeurerent dans le crepuscule de l’Aurore Naissante dont les faibles lueurs les preparaient a voir la Vraie Lumiere, a entendre la Parole Vive, sans en mourir.

En cet etat, tous deux commencerent a concevoir les differences incommensurables qui separent les choses de la Terre, des choses du Ciel.

La VIE sur le bord de laquelle ils se tenaient serres l’un contre l’autre, tremblants et illumines, comme deux enfants se tiennent sous un abri devant un incendie, cette vie n’offrait aucune prise aux sens.

Les idees qui leur servirent a se dire leur vision, furent aux choses entrevues ce que les sens apparents de l’homme peuvent etre a son ame, la materielle enveloppe d’une essence divine.

L’ESPRIT etait au-dessus d’eux, il embaumait sans odeur, il etait melodieux sans le secours des sons ; la ou ils etaient, il ne se rencontrait ni surfaces, ni angles, ni air.

Ils n’osaient plus ni l’interroger ni le contempler, et se trouvaient dans son ombre comme on se trouve sous les ardents rayons du soleil des tropiques, sans qu’on se hasarde a lever les yeux de peur de perdre la vue.

Ils se savaient pres de lui, sans pouvoir s’expliquer par quels moyens ils etaient assis comme en reve sur la frontiere du Visible et de l’Invisible, ni comment ils ne voyaient plus le Visible, et comment ils apercevaient l’Invisible.

Ils se disaient : « — S’il nous touche, nous allons mourir ! » Mais l’ESPRIT etait dans l’infini, et ils ignoraient que, ni le temps ni l’espace n’existent plus dans l’infini, qu’ils etaient separes de lui par des abimes, quoique en apparence pres de lui.

Leurs ames n’etant pas propres a recevoir en son entier la connaissance des facultes de cette Vie, ils n’en eurent que des perceptions confuses appropriees a leur faiblesse.

Autrement, quand vient a retentir la PAROLE VIVE dont les sons eloignes parvinrent a leurs oreilles et dont le sens entra dans leur ame comme la vie s’unit aux corps, un seul accent de cette Parole les aurait absorbes comme un tourbillon de feu s’empare d’une legere paille.

Ils ne virent donc que ce que leur nature, soutenue par la force de l’Esprit, leur permit de voir ; ils n’entendirent que ce qu’ils pouvaient entendre.

Malgre ces temperaments, ils frissonnerent quand eclata la VOIX de l’ame souffrante, le chant de l’ESPRIT qui attendait la vie et l’implorait par un cri.

Ce cri les glaca jusque dans la moelle de leurs os.

L’ESPRIT frappait a la PORTE-SAINTE. — Que veux-tu ? repondit un CH?UR

dont l’interrogation retentit dans les mondes. — Aller a Dieu. — As-tu vaincu ? — J’ai vaincu la chair par l’abstinence, j’ai vaincu la fausse parole par le silence, j’ai vaincu la fausse science par l’humilite, j’ai vaincu l’orgueil par la charite, j’ai vaincu la terre par l’amour, j’ai paye mon tribut par la souffrance, je me suis purifie en brulant dans la foi, j’ai souhaite la vie par la priere : j’attends en adorant, et suis resigne.

Nulle reponse ne se fit entendre.

— Que Dieu soit beni, repondit l’ESPRIT en croyant qu’il allait etre rejete.

Ses pleurs coulerent et tomberent en rosee sur les deux temoins agenouilles qui fremirent devant la justice de Dieu.

Tout a coup sonnerent les trompettes de la Victoire remportee par L’ANGE dans cette derniere epreuve, les retentissements arriverent aux espaces comme un son dans l’echo, les remplirent et firent trembler l’univers que Wilfrid et Minna sentirent etre petit sous leurs pieds. Ils tressaillirent, agites d’une angoisse causee par l’apprehension du mystere qui devait s’accomplir.

Il se fit en effet un grand mouvement comme si les legions eternelles se mettaient en marche et se disposaient en spirale. Les mondes tourbillonnaient, semblables a des nuages emportes par un vent furieux. Ce fut rapide.

Soudain les voiles se dechirerent, ils virent dans le haut comme un astre incomparablement plus brillant que

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