Honore de Balzac

Seraphita

A MADAME EVELINE DE HANSKA,

NEE COMTESSE RZEWUSKA.

Madame, voici l’?uvre que vous m’avez demandee : je suis heureux, en vous la dediant de pouvoir vous donner un temoignage de la respectueuse affection que vous m’avez permis de vous porter. Si je suis accuse d’impuissance apres avoir tente d’arracher aux profondeurs de la mysticite ce livre qui, sous la transparence de notre belle langue, voulait les lumineuses poesies de l’Orient, a vous la faute ! Ne m’avez-vous pas ordonne cette lutte, semblable a celle de Jacob, en me disant que le plus imparfait dessin de cette figure par vous revee, comme elle le fut par moi des l’enfance, serait encore pour vous quelque chose ? Le voici donc, ce quelque chose. Pourquoi cette ?uvre ne peut-elle appartenir exclusivement a ces nobles esprits preserves, comme vous l’etes, des petitesses mondaines par la solitude ? ceux-la sauraient y imprimer la melodieuse mesure qui manque et qui en aurait fait entre les mains d’un de nos poetes la glorieuse epopee que la France attend encore. Ceux-la l’accepteront de moi comme une de ces balustrades sculptees par quelque artiste plein de foi, et sur lesquelles les pelerins s’appuient pour mediter la fin de l’homme en contemplant le ch?ur d’une belle eglise.

Je suis avec respect, Madame, votre devoue serviteur,

DE BALZAC.

Paris, 23 aout 1835.

I

SERAPHITUS

A voir sur une carte les cotes de la Norwege quelle imagination ne serait emerveillee de leurs fantasques decoupures, longue dentelle de granit ou mugissent incessamment les flots de la mer du Nord ? qui n’a reve les majestueux spectacles offerts par ces rivages sans greves par cette multitude de criques, d’anses, de petites baies dont aucune ne se ressemble et qui toutes sont des abimes sans chemins ? Ne dirait-on pas que la nature s’est plu a dessiner par d’ineffacables hieroglyphes le symbole de la vie norwegienne, en donnant a ces cotes la configuration des aretes d’un immense poisson ? car la peche forme le principal commerce et fournit presque toute la nourriture de quelques hommes attaches comme une touffe de lichen a ces arides rochers. La, sur quatorze degres de longueur a peine existe-t-il sept cent mille ames. Grace aux perils denues de gloire, aux neiges constantes que reservent aux voyageurs ces pics de la Norwege, dont le nom donne froid deja, leurs sublimes beautes sont restees vierges et s’harmonieront aux phenomenes humains, vierges encore pour la poesie du moins qui s’y sont accomplis et dont voici l’histoire.

Lorsqu’une de ces baies, simple fissure aux yeux des eiders, est assez ouverte pour que la mer ne gele pas entierement dans cette prison de pierre ou elle se debat, les gens du pays nomment ce petit golfe un fiord, mot que presque tous les geographes ont essaye de naturaliser dans leurs langues respectives. Malgre la ressemblance qu’ont entre eux ces especes de canaux, chacun a sa physionomie particuliere : partout la mer est entree dans leurs cassures, mais partout les rochers s’y sont diversement fendus, et leurs tumultueux precipices defient les termes bizarres de la geometrie : ici le roc s’est dentele comme une scie, la ses tables trop droites ne souffrent ni le sejour de la neige, ni les sublimes aigrettes des sapins du nord ; plus loin, les commotions du globe ont arrondi quelque sinuosite coquette, belle vallee que meublent par etages des arbres au noir plumage. Vous seriez tente de nommer ce pays la Suisse des mers. Entre Drontheim et Christiania, se trouve une de ces baies, nommee le Stromfiord. Si le Stromfiord n’est pas le plus beau de ces paysages, il a du moins le merite de resumer les magnificences terrestres de la Norwege, et d’avoir servi de theatre aux scenes d’une histoire vraiment celeste.

La forme generale du Stromfiord est, au premier aspect, celle d’un entonnoir ebreche par la mer. Le passage que les flots s’y etaient ouvert presente a l’?il l’image d’une lutte entre l’Ocean et le granit, deux creations egalement puissantes : l’une par son inertie, l’autre par sa mobilite. Pour preuves, quelques ecueils de formes fantastiques en defendent l’entree aux vaisseaux. Les intrepides enfants de la Norwege peuvent, en quelques endroits, sauter d’un roc a un autre sans s’etonner d’un abime profond de cent toises, large de six pieds. Tantot un frele et chancelant morceau de gneiss, jete en travers, unit deux rochers. Tantot les chasseurs ou les pecheurs ont lance des sapins, en guise de pont, pour joindre les deux quais tailles a pic au fond desquels gronde incessamment la mer. Ce dangereux goulet se dirige vers la droite par un mouvement de serpent, y rencontre une montagne elevee de trois cents toises au-dessus du niveau de la mer, et dont les pieds forment un banc vertical d’une demi-lieue de longueur, ou l’inflexible granit ne commence a se briser, a se crevasser, a s’onduler, qu’a deux cents pieds environ au-dessus des eaux. Entrant avec violence, la mer est donc repoussee avec une violence egale par la force d’inertie de la montagne vers les bords opposes auxquels les reactions du flot ont imprime de douces courbures. Le Fiord est ferme dans le fond par un bloc de gneiss couronne de forets, d’ou tombe en cascades une riviere qui a la fonte des neiges devient un fleuve, forme une nappe d’une immense etendue, s’echappe avec fracas en vomissant de vieux sapins et d’antiques melezes, apercus a peine dans la chute des eaux. Vigoureusement plonges au fond du golfe, ces arbres reparaissent bientot a sa surface, s’y marient, et construisent des ilots qui viennent echouer sur la rive gauche, ou les habitants du petit village assis au bord du Stromfiord, les retrouvent brises, fracasses, quelquefois entiers, mais toujours nus et sans branches. La montagne qui dans le Stromfiord recoit a ses pieds les assauts de la mer et a sa cime ceux des vents du nord, se nomme le Falberg. Sa crete, toujours enveloppee d’un manteau de neige et de glace, est la plus aigue de la Norwege, ou le voisinage du pole produit, a une hauteur de dix-huit cents pieds, un froid egal a celui qui regne sur les montagnes les plus elevees du globe.

La cime de ce rocher, droite vers la mer, s’abaisse graduellement vers l’est, et se joint aux chutes de la Sieg par des vallees disposees en gradins sur lesquels le froid ne laisse venir que des bruyeres et des arbres souffrants. La partie du Fiord d’ou s’echappent les eaux, sous les pieds de la foret, s’appelle le Siegdalhen, mot qui pourrait etre traduit par le versant de la Sieg, nom de la riviere. La courbure qui fait face aux tables du Falberg est la vallee de Jarvis, joli paysage domine par des collines chargees de sapins, de melezes, de bouleaux, de quelques chenes et de hetres, la plus riche, la mieux coloree de toutes les tapisseries que la nature du nord a tendues sur ses apres rochers. L’?il pouvait facilement y saisir la ligne ou les terrains rechauffes par les rayons solaires commencent a souffrir la culture et laissent apparaitre les vegetations de la Flore norwegienne. En cet endroit, le golfe est assez large pour que la mer, refoulee par le Falberg, vienne expirer en murmurant sur la derniere frange de ces collines, rive doucement bordee d’un sable fin, parseme de mica, de paillettes, de jolis cailloux, de porphyres, de marbres aux mille nuances amenes de la Suede par les eaux de la riviere, et de debris marins, de coquillages, fleurs de la mer que poussent les tempetes, soit du pole, soit du midi.

Au bas des montagnes de Jarvis se trouve le village compose de deux cents maisons de bois, ou vit une population perdue la, comme dans une foret ces ruches d’abeilles qui, sans augmenter ni diminuer, vegetent heureuses, en butinant leur vie au sein d’une sauvage nature. L’existence anonyme de ce village s’explique facilement. Peu d’hommes avaient la hardiesse de s’aventurer dans les rescifs pour gagner les bords de la mer et s’y livrer a la peche que font en grand les Norwegiens sur des cotes moins dangereuses. Les nombreux poissons du Fiord suffisent en partie a la nourriture de ses habitants ; les paturages des vallees leur donnent du lait et du beurre ; puis quelques terrains excellents leur permettent de recolter du seigle, du chanvre, des legumes qu’ils savent defendre contre les rigueurs du froid et contre l’ardeur passagere, mais terrible, de leur soleil, avec l’habilete que deploie le Norwegien dans cette double lutte. Le defaut de communications, soit par terre ou les chemins sont impraticables, soit par mer ou de faibles barques peuvent seules parvenir a travers les defiles maritimes du Fiord, les empeche de s’enrichir en tirant parti de leurs bois. Il faudrait des sommes aussi enormes pour deblayer le chenal du golfe que pour s’ouvrir une voie dans l’interieur des terres.

Les routes de Christiania a Drontheim tournent toutes le Stromfiord, et passent la Sieg sur un pont situe a plusieurs lieues de sa chute ; la cote, entre la vallee de Jarvis et Drontheim, est garnie d’immenses forets

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