perfection desesperante.

— Tu en conclus alors que je suis insensible.

Minna fut effrayee d’un regard si lucidement jete dans sa pensee.

— Tu me prouves que nous nous entendons, repondit-elle avec la grace de la femme qui aime.

Seraphitus agita mollement la tete en lancant un regard a la fois triste et doux.

— Toi qui sais tout, reprit Minna, dis-moi pourquoi la timidite que je ressentais la-bas, pres de toi, s’est dissipee en montant ici ? Pourquoi j’ose te regarder pour la premiere fois en face, tandis que la-bas, a peine ose- je te voir a la derobee ?

— Ici, peut-etre, avons-nous depouille les petitesses de la terre, repondit-il en defaisant sa pelisse.

— Jamais tu n’as ete si beau, dit Minna en s’asseyant sur une roche moussue et s’abimant dans la contemplation de l’etre qui l’avait conduite sur une partie du pic qui de loin semblait inaccessible.

Jamais, a la verite, Seraphitus n’avait brille d’un si vif eclat, seule expression qui rende l’animation de son visage et l’aspect de sa personne. Cette splendeur etait-elle due a la nitescence que donnent au teint l’air pur des montagnes et le reflet des neiges ? etait-elle produite par le mouvement interieur qui surexcite le corps a l’instant ou il se repose d’une longue agitation ? provenait-elle du contraste subit entre la clarte d’or projetee par le soleil, et l’obscurite des nuees a travers lesquelles ce joli couple avait passe ? Peut-etre a ces causes faudrait-il encore ajouter les effets d’un des plus beaux phenomenes que puisse offrir la nature humaine. Si quelque habile physiologiste eut examine cette creature, qui dans ce moment, a voir la fierte de son front et l’eclair de ses yeux, paraissait etre un jeune homme de dix-sept ans ; s’il eut cherche les ressorts de cette florissante vie sous le tissu le plus blanc que jamais le nord ait fait a l’un de ses enfants, il aurait cru sans doute a l’existence d’un fluide phosphorique en des nerfs qui semblaient reluire sous l’epiderme, ou a la constante presence d’une lumiere interieure qui colorait Seraphitus a la maniere de ces lueurs contenues dans une coupe d’albatre.

Quelque mollement effilees que fussent ses mains qu’il avait degantees pour delier les patins de Minna, elles paraissaient avoir une force egale a celle que le Createur a mise dans les diaphanes attaches du crabe. Les feux jaillissant de son regard d’or luttaient evidemment avec les rayons du soleil, et il semblait ne pas en recevoir, mais lui donner de la lumiere. Son corps, mince et grele comme celui d’une femme, attestait une de ces natures faibles en apparence, mais dont la puissance egale toujours le desir, et qui sont fortes a temps. De taille ordinaire, Seraphitus se grandissait en presentant son front, comme s’il eut voulu s’elancer. Ses cheveux, boucles par la main d’une fee, et comme souleves par un souffle, ajoutaient a l’illusion que produisait son attitude aerienne ; mais ce maintien denue d’efforts resultait plus d’un phenomene moral que d’une habitude corporelle. L’imagination de Minna etait complice de cette constante hallucination sous l’empire de laquelle chacun serait tombe, et qui pretait a Seraphitus l’apparence des figures revees dans un heureux sommeil. Nul type connu ne pourrait donner une image de cette figure majestueusement male pour Minna, mais qui, aux yeux d’un homme, eut eclipse par sa grace feminine les plus belles tetes dues a Raphael. Ce peintre des cieux a constamment mis une sorte de joie tranquille, une amoureuse suavite dans les lignes de ses beautes angeliques ; mais, a moins de contempler Seraphitus lui-meme, quelle ame inventerait la tristesse melee d’esperance qui voilait a demi les sentiments ineffables empreints dans ses traits ? Qui saurait, meme dans les fantaisies d’artiste ou tout devient possible, voir les ombres que jetait une mysterieuse terreur sur ce front trop intelligent qui semblait interroger les cieux et toujours plaindre la terre ? Cette tete planait avec dedain comme un sublime oiseau de proie dont les cris troublent l’air, et se resignait comme la tourterelle dont la voix verse la tendresse au fond des bois silencieux. Le teint de Seraphitus etait d’une blancheur surprenante que faisaient encore ressortir des levres rouges, des sourcils bruns et des cils soyeux, seuls traits qui tranchassent sur la paleur d’un visage dont la parfaite regularite ne nuisait en rien a l’eclat des sentiments : ils s’y refletaient sans secousse ni violence, mais avec cette majestueuse et naturelle gravite que nous aimons a preter aux etres superieurs. Tout, dans cette figure marmorine, exprimait la force et le repos. Minna se leva pour prendre la main de Seraphitus, en esperant qu’elle pourrait ainsi l’attirer a elle, et deposer sur ce front seducteur un baiser arrache plus a l’admiration qu’a l’amour ; mais un regard du jeune homme, regard qui la penetra comme un rayon de soleil traverse le prisme, glaca la pauvre fille. Elle sentit, sans le comprendre, un abime entre eux, detourna la tete et pleura. Tout a coup une main puissante la saisit par la taille, une voix pleine de suavite lui dit :

— Viens. Elle obeit, posa sa tete soudain rafraichie sur le c?ur du jeune homme, qui reglant son pas sur le sien, douce et attentive conformite, la mena vers une place d’ou ils purent voir les radieuses decorations de la nature polaire.

— Avant de regarder et de t’ecouter, dis-moi, Seraphitus, pourquoi tu me repousses ? T’ai-je deplu ? comment, dis ? Je voudrais ne rien avoir a moi ; je voudrais que mes richesses terrestres fussent a toi, comme a toi sont deja les richesses de mon c?ur ; que la lumiere ne me vint que par tes yeux, comme ma pensee derive de ta pensee ; je ne craindrais plus de t’offenser en te renvoyant ainsi les reflets de ton ame, les mots de ton c?ur, le jour de ton jour, comme nous renvoyons a Dieu les contemplations dont il nourrit nos esprits. Je voudrais etre tout toi !

— He ! bien, Minna, un desir constant est une promesse que nous fait l’avenir.

Espere ! Mais si tu veux etre pure, mele toujours l’idee du Tout-Puissant aux affections d’ici-bas, tu aimeras alors toutes les creatures, et ton c?ur ira bien haut !

— Je ferai tout ce que tu voudras, repondit-elle en levant les yeux sur lui par un mouvement timide.

— Je ne saurais etre ton compagnon, dit Seraphitus avec tristesse.

Il reprima quelques pensees, etendit les bras vers Christiania, qui se voyait comme un point a l’horizon, et dit :

— Vois !

— Nous sommes bien petits, repondit-elle.

— Oui, mais nous devenons grands par le sentiment et par l’intelligence, reprit Seraphitus. A nous seuls, Minna, commence la connaissance des choses ; le peu que nous apprenons des lois du monde visible nous fait decouvrir l’immensite des mondes superieurs. Je ne sais s’il est temps de te parler ainsi ; mais je voudrais tant te communiquer la flamme de mes esperances ! Peut etre serions-nous un jour ensemble, dans le monde ou l’amour ne perit pas.

— Pourquoi pas maintenant et toujours ? dit-elle en murmurant.

— Rien n’est stable ici, reprit-il dedaigneusement. Les passageres felicites des amours terrestres sont des lueurs qui trahissent a certaines ames l’aurore de felicites plus durables, de meme que la decouverte d’une loi de la nature en fait supposer, a quelques etres privilegies, le systeme entier. Notre fragile bonheur d’ici-bas n’est-il donc point l’attestation d’un autre bonheur complet comme la terre, fragment du monde, atteste le monde ? Nous ne pouvons mesurer l’orbite immense de la pensee divine de laquelle nous ne sommes qu’une parcelle aussi petite que Dieu est grand, mais nous pouvons en pressentir l’etendue, nous agenouiller, adorer, attendre. Les hommes se trompent toujours dans leurs sciences, en ne voyant pas que tout, sur leur globe, est relatif et s’y coordonne a une revolution generale, a une production constante qui necessairement entraine un progres et une fin. L’homme lui-meme n’est pas une creation finie, sans quoi Dieu ne serait pas !

— Comment as-tu trouve le temps d’apprendre tant de choses ? dit la jeune fille.

— Je me souviens, repondit-il.

— Tu me sembles plus beau que tout ce que je vois.

— Nous sommes un des plus grands ouvrages de Dieu. Ne nous a-t-il pas donne la faculte de reflechir la nature, de la concentrer en nous par la pensee, et de nous en faire un marchepied pour nous elancer vers lui ? Nous nous aimons en raison du plus ou du moins de ciel que contiennent nos ames. Mais ne sois pas injuste, Minna, vois le spectacle qui s’etale a tes pieds, n’est-il pas grand. A tes pieds, l’Ocean se deroule comme un tapis, les montagnes sont comme les murs d’un cirque, l’ether est au-dessus comme le voile arrondi de ce theatre, et d’ici l’on respire les pensees de Dieu comme un parfum. Vois ? les tempetes qui brisent des vaisseaux charges d’hommes ne nous semblent ici que de faibles bouillonnements, et si tu leves la tete au-dessus de nous, tout est bleu. Voici comme un diademe d’etoiles. Ici, disparaissent les nuances des expressions terrestres. Appuyee sur cette nature subtilisee par l’espace, ne sens-tu point en toi plus de profondeur que d’esprit ? n’as-tu pas plus de grandeur que d’enthousiasme, plus d’energie que de volonte ? n’eprouves-tu pas des sensations dont l’interprete n’est plus en nous ? Ne te sens-tu pas des ailes ? Prions.

Seraphitus plia le genou, se posa les mains en croix sur le sein et Minna tomba sur ses genoux en pleurant. Ils resterent ainsi pendant quelques instants, pendant quelques instants l’aureole bleue qui s’agitait dans les cieux au-dessus de leurs tetes s’agrandit, et de lumineux rayons les envelopperent a leur insu.

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