Sur le seuil, Petale se racla la gorge.

— Bon… fit-il en entrant avec les bagages, tout est-il en ordre ? On se sent affamee ? Non, pas encore ? J’vous laisse vous installer… (Il disposa ses valises pres du lit.) Si jamais vous avez un petit creux, vous n’avez qu’a sonner. (Il indiqua un antique telephone ornemente, ecouteur et micro en laiton decore et manche d’ivoire tourne.) Il suffit de decrocher, inutile de composer un numero. Petit dejeuner a l’heure de votre choix. Demandez, on vous montrera ou. Vous pourrez ensuite rencontrer Swain…

La presence de sa mere s’etait evanouie avec le retour de Petale. Elle essaya de la ressentir a nouveau apres qu’il lui eut souhaite bonne nuit et fut sorti, mais elle s’etait enfuie.

Elle resta un long moment pres de la baignoire, a caresser le metal lisse et froid du col de cygne.

2. KID AFRIKA

Kid Afrika penetra tranquillement sur la Chienne de Solitude le dernier jour de novembre, dans son Dodge d’epoque, conduit par une jeune fille blanche nommee Cherry Chesterfield.

Henry la Ruse et Petit Oiseau etaient en train de demonter la scie circulaire qui tenait lieu de main gauche au Juge quand le Dodge de Kid apparut. Sa jupe, couverte de pieces, projetait en panaches de rouille l’eau croupie qui stagnait sur la plaine inegale et grise de la Solitude.

Petit Oiseau l’apercut le premier. Il avait l’?il vif, Petit Oiseau, et un monoculaire ?10 suspendu sur la poitrine, entre les os d’un assortiment d’animaux et d’antiques douilles en laiton. La Ruse quitta des yeux le bras hydraulique pour regarder Petit Oiseau deplier ses deux metres et braquer son monoculaire a travers le lacis d’acier mat qui formait la majeure partie de l’enceinte sud de la Fabrique. Petit Oiseau etait d’une maigreur presque squelettique, et les ailes laquees de cheveux chatains qui lui avaient valu son surnom se dressaient face au ciel pale. Il se rasait la nuque et les tempes, degageant nettement les oreilles ; avec ses ailes et sa couette profilee, on l’aurait cru coiffe d’une mouette brune decapitee.

— Waouh, putain ! s’ecria Petit Oiseau.

— Quoi encore ? (Il etait toujours difficile de faire se concentrer Petit Oiseau et le boulot exigeait deux paires de mains.)

— C’est l’aut’ negre.

La Ruse se redressa et s’essuya les mains sur son jean pendant que Petit Oiseau decrochait le boitier vert du microgiciel Meca-5 de la prise derriere son oreille – oubliant instantanement la procedure d’autocalibrage a la huitieme decimale, necessaire pour depanner la scie circulaire du Juge.

— Qui c’est qui conduit ? (Afrika ne conduisait jamais s’il pouvait l’eviter.)

— J’vois pas.

Petit Oiseau lacha le monoculaire qui retomba en cliquetant au milieu du bric-a-brac d’os et de laiton.

La Ruse le rejoignit a la fenetre pour observer la progression du Dodge. Kid Afrika retouchait periodiquement le revetement noir mat de l’aeroglisseur par de judicieuses applications de peinture en bombe. La dominante sombre etait compensee par la rangee de cranes chromes qu’il avait soudes au massif pare-chocs avant. Durant un temps, les cranes, en acier creux, avaient meme arbore dans leurs orbites des ampoules rouges de guirlandes de Noel ; peut-etre que le Kid se souciait moins de son image, aujourd’hui.

Tandis que le glisseur montait vers la Fabrique, la Ruse entendit Petit Oiseau regagner l’ombre d’un pas trainant. Ses lourdes bottes raclaient la poussiere et projetaient les copeaux de metal en fines spirales brillantes.

La Ruse regarda a travers les fenetres poussiereuses l’engin se poser sur sa jupe, devant la Fabrique, grondant et degageant des jets de vapeur.

Il entendit un cliquetis dans le noir, derriere lui : Petit Oiseau s’etait cache pres des casiers de pieces au rebut pour visser son silencieux sur le F.M. chinois qu’ils employaient lorsqu’ils tiraient les lapins.

— L’Oiseau, dit la Ruse, en jetant sa cle sur la bache, je sais bien que t’es qu’un connard de pauvre plouc abruti du Jersey, mais faut-il vraiment que tu m’obliges en permanence a te le rappeler ?

— J’aime pas c’negro, repondit Petit Oiseau, de derriere les casiers.

— Ouais, et si ce negre voulait bien se donner la peine de te regarder, il ne t’aimerait pas non plus. S’il te savait la planque avec ce tromblon, il te le ferait rentrer de travers dans le gosier.

Pas de reponse de Petit Oiseau. Il avait grandi dans les faubourgs blancs du Jersey ou tout le monde se foutait de tout et ou l’on n’aimait pas les curieux.

— Et je serais le premier a l’aider, ajouta la Ruse, en remontant la fermeture a glissiere de son vieux blouson marron, avant de sortir rejoindre le glisseur de Kid Afrika.

La vitre poussiereuse du cote du chauffeur descendit en sifflant, revelant un visage pale domine par une enorme paire de lunettes ambre. Les bottes de la Ruse ecrasaient d’antiques boites de conserve que la rouille avait rendues fines comme des feuilles mortes. Le chauffeur baissa ses lunettes et regarda dans sa direction ; c’etait une femme, les lunettes ambre qui pendaient a son cou lui dissimulaient la bouche et le menton. Kid devait etre de l’autre cote, une bonne chose, au cas – improbable – ou Petit Oiseau s’aviserait de tirer.

— Fais le tour, dit la fille.

La Ruse contourna l’engin, en passant devant les cranes chromes ; il entendit la vitre de Kid Afrika descendre avec le meme petit bruit evocateur.

— Henry la Ruse, dit Kid, et son haleine faisait des panaches blancs au contact de l’air de la Solitude. Salut !

La Ruse contempla le long visage brun. Kid Afrika avait de grands yeux noisette, fendus comme ceux d’un chat, une moustache fine comme un trait de crayon, et sa peau avait le lustre du cuir poli.

— Eh, Kid. (La Ruse sentait comme une odeur d’encens dans l’habitacle du glisseur.) Comment va ?

— Eh bien, dit Kid en plissant les yeux, me suis souvenu que tu m’avais dit un jour, si jamais j’avais besoin d’un service…

— Exact, reconnut la Ruse avec un sentiment d’apprehension.

Kid Afrika lui avait sauve la peau une fois, a Atlantic City, en dissuadant un mec irascible de le lacher de ce balcon, au quarante-deuxieme etage d’un immeuble detruit par un incendie.

— Quelqu’un veut te balancer du haut d’une tour ?

— La Ruse, dit Kid, j’aimerais te presenter quelqu’un.

— Alors, on sera quittes ?

— Henry la Ruse, cette jolie fille que tu vois la, c’est Miss Cherry Chesterfield, de Cleveland, Ohio.

La Ruse se pencha pour regarder la conductrice. Casque blond, fard a paupieres.

— Cherry, je te presente un ami personnel, M. Henry la Ruse. Quand il etait jeune et mechant, il frayait avec les Diacres bleus. Maintenant qu’il est devenu vieux et reste mechant, il s’est terre ici pour se consacrer a son art, n’est-ce pas. C’est un artiste, vois-tu.

— C’est lui qui construit les robots, dit la fille en machonnant son chewing-gum, c’est ca ?

— Lui-meme, confirma Kid en ouvrant sa porte. Tu nous attends ici, Cherry cherie ?

Drape dans un manteau de vison qui effleurait les pointes immaculees de ses bottes jaunes en autruche, Kid sortit et la Ruse crut entrevoir quelque chose a l’arriere du glisseur, l’image, fugitive comme un gyrophare d’ambulance, de pansements et de catheters chirurgicaux…

— Eh, Kid, qu’est-ce que t’as la, derriere ? La main couverte de bagues du Kid se leva, pour faire reculer la Ruse tandis que la portiere se refermait et que Cherry pressait le bouton du leve-vitre.

— C’est de ca qu’on doit causer, la Ruse.

— Je ne crois pas que ce soit trop demander, dit Kid, en s’appuyant contre un etabli metallique, toujours emmitoufle dans son vison. Cherry a sa carte d’auxiliaire medicale et elle sait qu’elle sera payee. Une chouette fille, la Ruse. (Il cligna de l’?il.)

— Kid…

Kid Afrika avait a l’arriere du glisseur ce type qui etait comme mort, dans le coma ou Dieu sait quoi, raccorde a tout un tas de pompes, de sacs et de tuyaux, plus une espece de recepteur de simstim, le tout boulonne sur une vieille civiere d’ambulance en alliage leger, avec les batteries et tout le tremblement.

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