est deja guerie. Mais que comptez-vous faire pour April ?
— Justement, je pensais que vous pourriez la persuader de revenir aupres de nous avant votre embarquement. Je suis sur que…
— Vous ne savez pas de quoi vous parlez. Je ne pars pas et cela met fin a toute discussion. Ravie d’avoir pu m’entretenir avec vous. » Sur ce, elle tourna les talons et sortit de la salle a grands pas. Personne ne s’avisa de l’arreter.
Gaby et elle faisaient leurs preparatifs dans un champ a quelque distance du camp de base. Lorsqu’elles eurent termine elles se redresserent, cote a cote, et attendirent. Cela prit plus longtemps que prevu. Elle commencait a se sentir nerveuse et jetait des regards furtifs a la montre usee de Calvin.
Strelkov sortit du dome au pas de course en hurlant des ordres aux hommes qui etaient en train d’edifier un hangar pour les chenillettes. Il s’arreta brusquement, desarconne, en realisant que Cirocco n’etait pas loin et qu’elle l’attendait. Il fit signe aux hommes de rester en alerte et s’avanca vers les deux femmes.
« Je suis desole, capitaine, mais le commandant Svensen m’a donne l’ordre de vous arreter. » Il semblait sincerement s’en excuser, mais gardait toutefois la main pres de son arme. « Voulez-vous me suivre, je vous prie ?
— Regardez par la, Sergei. » Et elle lui montra un point au-dessus de son epaule.
Il fit mine de se tourner puis sortit son arme, pris d’un soudain soupcon. Il recula de biais afin de pouvoir jeter un ?il vers l’ouest.
« Gaia, ecoute-moi ! » cria Cirocco. Strelkov la considera avec nervosite. En evitant soigneusement de faire le moindre geste menacant, elle leva les bras en direction de Rhea, vers la Porte des Vents et le cable qu’elle avait escalade avec Gaby.
Elle entendit des cris derriere elle.
Une vague descendait le long du cable, presque imperceptible, mais produisant la meme ondulation nette que l’on peut voir parcourir un tuyau d’arrosage lorsqu’on le secoue d’une breve torsion de poignet. L’effet produit sur le cable etait explosif : un nuage de poussiere se developpa autour de lui. Dans la poussiere on voyait des arbres deracines.
L’onde toucha le sol, la Porte des Vents se souleva, se brisa, projeta des rochers dans les airs.
« Couvrez-vous les oreilles ! » cria Cirocco.
Le bruit les frappa brusquement, jetant au sol Gaby. Cirocco tituba mais parvint a rester debout tandis que le tonnerre des dieux roulait autour d’elle, que l’onde de choc arrachait les lambeaux de ses vetements et que le vent se levait.
« Regardez ! » cria-t-elle encore en tendant les mains pour les lever lentement vers le ciel. Nul ne pouvait l’entendre mais ils virent une centaine de geysers jaillir du sol desseche, transformant Hyperion en fontaine noyee de bruine. Des eclairs sillonnaient le brouillard qui s’epaississait, leur tonnerre noye dans le rugissement puissant qui se repercutait encore sur les murs lointains.
Il fallut longtemps pour que le calme revienne et pendant tout ce temps personne ne bougea. La derniere fontaine n’etait plus qu’un mince ruisseau que Strelkov etait encore assis la ou il etait tombe, les yeux fixes sur le cable et la poussiere qui retombait.
Cirocco se dirigea vers lui et l’aida a se lever.
« Dites a Wally de me laisser tranquille », lui dit-elle, puis elle s’eloigna.
« C’etait tres habile, lui dit plus tard Gaby, vraiment tres habile.
— Simple jeu de miroirs, ma chere.
— Quelle impression ca t’a fait ?
— J’ai bien failli mouiller ma culotte. Tu sais, on doit finir par y prendre son pied. C’etait prodigieusement excitant.
— J’espere que tu n’auras pas a le faire trop souvent. »
Cirocco l’approuva silencieusement. Cela avait ete tangent.
La demonstration, effrayante parce qu’elle s’etait produite a son commandement, serait restee tout bonnement inexplicable si elle s’etait produite avant que Strelkov ne sorte du dome pour la menacer.
En tout cas, elle ne pouvait reediter le spectacle avant cinq ou six heures meme si elle l’avait demande a ce moment.
Elle pouvait communiquer assez rapidement avec Gaia : elle avait dans la poche une graine-radio. Mais Gaia ne pouvait reagir avec promptitude. Pour realiser la performance terrifiante qu’elle venait d’accomplir il lui fallait des heures de preparation.
Cirocco avait envoye le message reclamant cette demonstration alors qu’elle etait encore a bord d’Omnibus et apres avoir envisage l’enchainement probable des evenements. Depuis cet instant, il avait fallu jouer contre la montre, en une guerre des nerfs epuisante pour faire trainer son histoire ici, escamoter une reponse la, en gardant toujours a l’esprit les forces qui s’accumulaient dans le moyeu et sous ses pieds. Son avantage residait dans le battement qu’elle s’etait accorde pour chronometrer sa demission mais l’inconvenient demeurait l’estimation du delai necessaire a Wally Svensen pour ordonner son arrestation.
Elle pouvait constater que la sorcellerie n’allait pas s’averer une tache facile.
D’un autre cote, son boulot ne consisterait pas uniquement a reclamer les foudres divines.
Elle avait les poches bourrees de tout ce qu’elle avait pu accumuler comme dispositifs de secours au cas ou le dechainement des elements n’aurait pu parvenir a intimider l’expedition au sol, des choses qu’elle avait denichees en fouinant a travers Hyperion avant de rembarquer a bord d’Omnibus pour gagner le camp de base. Il y avait un lezard a huit pattes qui pouvait cracher un tranquillisant lorsqu’on le serrait, un assortiment bizarre de baies aux proprietes analogues une fois ingerees, des feuilles et des morceaux d’ecorce produisant une poudre aveuglante et, en dernier ressort, une noix qui faisait une grenade a main passable.
Elle avait dans la tete des bibliotheques entieres de documentation sur la vie sauvage ; s’il y avait eu des Jeannettes sur Gaia elle aurait raflee tous les badges de debrouillardise ; elle pouvait chanter aux Titanides, siffler aux saucisses mais aussi croasser, gazouiller, pepier, grogner et mugir dans une douzaine de langages qu’elle n’avait meme pas une seule chance d’utiliser pour dialoguer avec des creatures qu’elle n’avait pas encore rencontrees.
Gaby et elle avaient craint que toutes les informations que se proposait de leur offrir Gaia ne puissent entrer dans un cerveau humain. Curieusement, elles n’avaient eu aucune difficulte. Elles se s’etaient pas meme apercues du changement ; lorsqu’elles avaient besoin de savoir quelque chose, elles le savaient, exactement comme si elles l’avaient appris a l’ecole.
« Il est temps de se diriger vers les collines, non ? suggera Gaby.
— Pas encore. Je doute que Wally nous cherche encore des ennuis une fois qu’il se sera fait a l’idee. Ils verront que nous leur sommes plus utiles s’ils entretiennent avec nous de bonnes relations.
« Mais je voudrais voir encore une chose avant de partir. »
Elle s’etait preparee pour un moment plein d’emotion. C’etait le cas, mais cela se passait mieux qu’elle ne l’avait craint et d’une facon fort differente de ce qu’elle avait cru. Ses adieux avec Bill avaient ete plus difficiles.
L’epave du
Le colosse argente luisait sourdement dans le merveilleux apres-midi d’Hyperion, a demi enfoui dans la poussiere tel un King-Kong robot apres sa chute. Les herbes avaient deja envahi le sol retourne. Des plantes grimpantes rampaient sur les structures en ruine. Une fleur jaune, solitaire, s’etait epanouie au centre de ce qui avait ete la console de commande de Cirocco.
Elle avait espere retrouver quelque souvenir de sa vie passee mais elle n’avait jamais ete tres possessive et n’avait emporte avec elle que peu de temoignages de sa vie personnelle. Les quelques photos avaient ete sans doute devorees, tout comme le livre de bord et l’enveloppe pleine de coupures de presse. Elle aurait bien aime mettre la main sur la chevaliere de sa classe – elle la revoyait encore, posee sur l’etagere pres de son armoire, la derniere fois ou elle l’avait otee – mais il y avait bien peu de chances qu’elle la retrouve.