St-Pétersbourg
Merci, grand merci, ma chère cousine, d’avoir songé à m’envoyer la lettre de ma mère*. Je n’ai pas besoin de vous dire quelle triste et chère consolation cette lettre m’a fait éprouver… Que de douleur et de résignation il y a là-dedans… On a beau dire, il y a une énergie de l’âme qu’elle ne tire pas d’elle-même. Le sentiment chrétien peut seul la lui communiquer…
J’avais certainement bien des raisons de prévoir comme prochaine la perte que nous venons de faire, et depuis plusieurs années, à chacune de nos séparations, je ne pouvais me défendre d’un triste pressentiment… et cependant jusqu’à présent encore je ne puis m’habituer à l’idée qu’il n’est plus parmi nous*, que nos adieux de Moscou ont été des adieux éternels… Peu d’hommes, je le sais, conservent leurs parents jusqu’à l’âge où nous sommes arrivés — et cependant il y a dans le premier moment de cette perte, à quelqu’âge qu’on la subisse, un sentiment tout particulier d’abandon et de délaissement. On se sent vieilli de vingt ans, car on sent qu’on a avancé de toute une génération vers le terme fatal… Je suis très impatient d’avoir par les Сушков* les détails que me manquent. Sa mort paraît avoir été aussi douce que sa vie avait été bonne et aimante. C’était une nature excellente parmi les meilleures, une âme bénie du Ciel… Ce sera sans doute un éternel sujet de regret pour moi et pour nous tous qu’aucun de ses enfants ne se fût trouvé présent à ses derniers moments. Mais j’ai vu avec bonheur par la lettre de ma mère ce que d’ailleurs il était si facile de prévoir, c’est que tous ceux qui l’entouraient l’ont pleuré comme on pleure son père… J’en ai eu ici un petit échantillon par
Adieu, ma chère cousine. Encore une fois merci de votre intérêt et de votre amitié. — Mes hommages les plus affectueux à ma tante Над<ежда> Н<иколаевна>* que je suis désolé de savoir souffrante. Ma femme vous dit mille tendresses.
T. Tutchef
С.-Петербург
Спасибо, большое спасибо, любезная кузина, за то, что вы позаботились послать мне письмо моей маминьки*. Мне нет надобности говорить вам, сколь драгоценным и вместе с тем печальным утешением было для меня это письмо… Сколько в нем скорби и смирения… Что ни говори, в душе есть сила, которая не от нее самой исходит. Лишь христианское чувство может сообщить ей эту силу…
Конечно, у меня было много причин предвидеть в недалеком будущем ту утрату, которую мы только что понесли, и уже несколько лет при каждой нашей разлуке я не мог освободиться от грустного предчувствия… и, однако, даже посейчас я не могу привыкнуть к мысли, что его нет более среди нас*, что наше прощание в Москве было прощанием навеки… Я знаю, лишь немногие сохраняют своих родителей до того возраста, коего достигли мы, — и все же в первую минуту этой утраты, независимо от возраста, в котором она настигает нас, испытываешь совсем особое чувство покинутости и беспомощности. Ощущаешь себя постаревшим на двадцать лет, ибо сознаешь, что на целое поколение приблизился к роковому пределу… С нетерпением жду от Сушковых* подробностей, которые мне неизвестны. По-видимому, смерть его была столь же спокойной, сколь благостной и любвеобильной была его жизнь. Это была натура лучшая из лучших, душа, которую благословило Небо… Без сомнения, и я, и все мы будем вечно сожалеть, что никто из его детей не присутствовал при его последних минутах. Но я с отрадой узнал из письма маминьки то, что, впрочем, легко было предугадать, — что все, кто его окружали, оплакивали его так, как оплакивают родного отца… Здесь я убедился в этом на примере
Простите, любезная кузина. Еще раз благодарю вас за ваше участие и дружбу. — Засвидетельствуйте мое самое глубокое почтение тетушке Надежде Николаевне*, о болезни коей я весьма сожалею. Жена поручает передать вам самый сердечный привет.
Ф. Тютчев
Тютчевой Е. Л., начало мая 1846*
С.-Петербург
Dieu veuille permettre, chère maman, que cette lettre, quand elle vous parviendra, vous trouve un peu remise et soulagée… Je n’ai pas de mots pour vous dire ce que j’ai éprouvé… Depuis quatre jours que je sais la nouvelle, je ne puis pas relire le terrible billet que vous avez écrit à Dorothée, que vous devez avoir écrit dans le moment même… Sans éprouver le même serrement de cœur que la première fois… Dix fois par jour le souvenir de ce qui est arrivé me réveille comme en sursaut… C’était là un terrible coup… Cette lettre que j’écris en ce moment, il ne la lira plus…
Ce n’est pas à moi dans l’état d’esprit où je suis à vous offrir des consolations. Ce n’est que de vous, de votre présence que je pourrais en recevoir. Ma seconde pensée, en apprenant la nouvelle, c’était celle de mes torts envers lui. Que d’occasions négligées pour lui donner les preuves d’affection qu’il appréciait tant. Lui qui était tout bonté et tout affection… C’est là une cruelle pensée et je sens que ce n’est qu’auprès de vous que je pourrais trouver à me rassurer un peu…
Que de fois ne m’a-t-il pas dit et écrit, en se plaignant de ma paresse à lui donner de mes nouvelles, que je n’avais plus pour longtemps à lui écrire et que je regrettai un jour de ne l’avoir pas fait plus souvent. Il avait bien raison. Je ne le sens que trop. Cela n’est une affreuse pensée que de me dire que plus d’une fois j’ai dû lui paraître ingrat. — Je repasse sans cesse dans ma pensée les derniers adieux, les tous derniers moments que nous avons passés ensemble dans cette voiture dans laquelle il m’avait conduit jusqu’au-delà des portes de la ville…* Il était si bon, si calme et si serein… et tant d’autres souvenirs de mon dernier séjour auprès de vous. Toute cette bonté, toute cette affection