role, les exploites les y obligent! Les ouvriers exigent des patrons, les disciples exigent des gourous et les citoyens des presidents. Les gens redoutent tellement la liberte, ils ont si peur de penser par eux-memes, ils craignent tant d'avoir a s'assumer…
Je veux etre un Autonome.
Autonome… et puis trois autres A: Anarchiste. Autodidacte. Agnostique.
75. VENUS. 16 ANS
Mon v?u s'est realise. Mes parents ont cesse de se disputer. Il y a six mois, au lieu de dire «au revoir», Papa s'est ecrie: «J'en ai assez de vivre avec une hysterique et une anorexique! Je divorce, mon avocat vous donnera de mes nouvelles.» J'ai seize ans. Je suis grande. Je gagne ma vie. Je ne vais plus gacher mes prieres a souhaiter qu'ils se reconcilient. Je prefere demander ce qui me ferait plaisir a moi.
Hier soir, j’ai reve que je remportais un concours de beaute. Tout le monde etait a mes pieds et disait que j'etais la plus mince et la plus belle. Cela me semble le nouveau but a atteindre. Etre selectionnee au concours de «Miss Univers». Amusant comme expression, «Miss Univers»… Comme si les jures etaient convaincus que, hors de la planete Terre et de ses humains, il n'y a pas d'autre beaute dans tout le cosmos…
76. IGOR. 16 ANS
Au centre de redressement, j'ameliore mon art du poker. Je parviens a decrypter non seulement les physionomies mais aussi les infimes mouvements des mains, des epaules, les petites contractions de l'iris.
J'arrive meme sans regarder directement quelqu'un a sentir quand les poils de ses sourcils ont un leger redressement de surprise ou de contentement. Il y a aussi des veines du visage que je sais lire: la tempe ou la jugulaire qui soudain battent plus vite. La pomme d'Adam qui indique un deglutissement. Ce qui me parle le plus ce sont les levres.
C'est fou comme ces deux muscles roses trahissent les pensees de mes adversaires. Tres peu de joueurs savent maitriser leur bouche. Pour ma part, j'ai trouve un truc, je me suis laisse pousser une moustache qui ombre ma bouche. En plus elle dissimule ma gouttiere sous le nez qui, un peu trop profonde, a des allures de bec-de-lievre.
Je joue avec les gardiens. On mise des cigarettes. Ils m'incitent a boire de la vodka car ils se figurent que saoul je serai moins chanceux. Ils ignorent que la vodka, je la connais depuis le ventre de ma mere. Je mime une legere ebriete. Et je gagne encore.
— Au secours!
Je reconnais la voix de Vania. J'accours, abandonnant une quinte flush sur laquelle j'avais mise deux cents cigarettes. Une fois de plus, mon ami s'est fourre dans une situation impossible. Un grand costaud est en train de l'assommer. Comme d'habitude, je sauve mon protege mais Vania profite que je ceinture l'autre pour s'emparer d'une bouteille et la lui fracasser sur le crane. L'autre choit lourdement.
Les gardiens arrivent apres coup. Le directeur suit quelques minutes plus tard. Il demande qui a commis le mefait. Vania me designe. Je prends soudain conscience qu'il me deteste. Il me deteste depuis Saint-Petersbourg et l'orphelinat parce que, depuis toujours, il me doit tout. Il m'a hai davantage chaque fois que je lui suis venu en aide. Incapable de me rembourser ses dettes accumulees, il a bascule dans la haine.
On peut pardonner beaucoup a autrui, sauf de vous avoir aide.
C'est la deuxieme lecon que j'apprends dans ce centre. N'aider que les gens qui sont a meme de le supporter sans vous le reprocher par la suite. Et ils ne sont pas nombreux.
Apres tout va tres vite. Je ne me donne meme pas la peine de retablir la verite, je sais qu'ils ne me croiront pas. Quand on voit comme Vania est gringalet et comme moi je suis costaud, on devine tout de suite qui des deux est venu a bout de la victime.
Je ne voulais pas rester dans ce centre de redressement. Ca tombe bien. Je suis expedie a l'asile d'alienes dangereux de Brest-Litovsk.
77. SIBELIUS
La petite salle est tendue de rouge. Avec ses freres, Nathalie Kim assiste a un spectacle d'hypnose. En bons passionnes, ils ont retenu des places au premier rang.
A l'affiche, Sibelius, l'hypnotiseur venu de France. Il apparait en smoking noir ganse de soie sous le feu des projecteurs et, des le lever de rideau, il vante les pouvoirs de la suggestion. Il se livre a une petite conference a tournure scientifique d'ou il ressort qu'il suffit d'affirmer ce qu'on veut avec force pour que les gens vous croient. Il assure etre a meme de convaincre n'importe qui dans l'assistance de se transformer en planche. Il reclame un volontaire pour l'experience. Un jeune homme en jeans se leve sur le cote, faisant claquer son strapontin.
Rapidement, Sibelius verifie que son cobaye est sensible a ses sollicitations. «Vous etes raide, vous etes tout raide», martele-t-il avant d'assener: «Vous etes une planche! Rigide comme une planche, vous ne pouvez plus bouger, vous etes tetanise, vous etes une planche, une planche!» Avec l'aide d'une assistante adolescente guere plus agee que Nathalie, il installe l'hypnotise entre deux chaises, tete sur l'une, pieds sur l'autre. Il invite ensuite trois spectateurs a grimper sur le ventre du cobaye, lequel en bonne planche ne plie pas.
Ovations.
Nathalie Kim applaudit a tout rompre. Ce tour est pour elle comme une reconnaissance de son propre travail. Somme toute, avec ses maigres moyens, elle se debrouille aussi bien qu'un professionnel.
Sibelius appelle cette fois cinq volontaires a monter sur scene. Dans ses jupes de mousseline indienne et son caraco pervenche, longs cheveux noirs et raides balayant les epaules, Nathalie est la premiere a se precipiter.
L'hypnotiseur distribue des bananes a ses hotes et leur propose de les ouvrir et de les gouter. L'un apres l'autre, ils avalent.
— Quel gout a ce fruit? demande-t-il.
— Banane, repondent-ils en ch?ur.
— Tres bien. Je vais vous affirmer maintenant qu'il ne s'agit plus d'une banane mais d'un citron. Un citron, un citron, un citron acide!
Nathalie entreprend d'examiner avec insistance la banane qu'elle tient entre ses mains et Sibelius l'interpelle aussitot.
— Vous portez de jolies lunettes dorees, mademoiselle. Etes-vous myope ou presbyte?
— Myope, repond la jeune fille.
— Alors, desole. Ce tour ne fonctionne pas avec les myopes. Retournez a votre place. Un autre volontaire, s'il vous plait, et sans lunettes de preference.
Nathalie retourne vers ses freres:
— Il m'a viree car j'ai detecte la supercherie. Il y a un petit trou dans la peau de la banane. Il a du y injecter du jus de citron avec une seringue.
Sur la scene, tous les volontaires sont en train d'eplucher leur fruit et d'affirmer a tour de role avoir effectivement percu un gout de citron dans le bas de la banane.
Applaudissements. Nathalie Kim se leve et s'exclame:
— C'est un imposteur! dit-elle, furieuse, et, dominant les clameurs, elle devoile le stratageme.
Il y a un instant de stupeur dans la salle puis on entend des «remboursez, remboursez». Sous les sifflets et les huees, Sibelius s'empresse de disparaitre dans les coulisses. Le rideau retombe tandis que les volontaires regagnent leur place, la mine deconfite.
Nathalie, elle, profite du tohu-bohu pour se faufiler dans la loge ou l'artiste, assis devant une coiffeuse, se