109. VOL COSMIQUE. INQUIETUDES

— Attention, prets? Tribord toute! entonne Raoul, reprenant son role de chef d'escadrille.

L'excitation me gagne et, pourtant, je ne peux m'empecher de penser a mes clients. Ou en sont-ils a cette seconde? Je suis trop eloigne d'eux pour percevoir leurs appels ou leurs prieres.

Raoul se rend compte de mon trouble et pose une main sur mon epaule.

— T'inquiete pas, vieux, rien n'est jamais catastrophique. Les humains, ils sont comme les chats. Ils finissent toujours par retomber sur leurs pattes.

110. IGOR

Je me releve. Je hurle comme un loup pour me donner du courage. Tant pis si cela attire l'attention de l'ennemi. Les autres Loups me repondent. La meute est forte, elle est rapide, c'est ma famille. On hurle tous avec pour toile de fond le ciel orange de plus en plus clair plaque derriere l'ovale parfait d'une lune declinante.

Des troupes tchetchenes, qui etaient demeurees tapies dans la foret, surgissent en renfort. Elles arrivent avec du materiel lourd: des jeeps equipees de mitrailleuses automatiques. Les hommes deferlent sur nous. Ils sont nombreux. On va se battre a un contre dix.

Une bonne dizaine de mes compagnons d'armes sont aussitot fauches net. Pas le temps de rediger leur epi-taphe. Loups, ils sont morts comme des loups, babines retroussees, fourrure ensanglantee, sur un sol jonche de leur gibier.

Pour ma part, j'ai bien l'intention de rester vivant. Je me dissimule. Un soldat vivant, meme lache, cause malgre tout davantage de degats qu'un soldat courageux mort.

Je me faufile sous une epave de voiture blindee. Le sergent a survecu. Depuis le muret ou il se planque, il m'adresse des signes pour que je le rejoigne. La main qui s'agite vers moi est soudain arrachee par un obus et je vois la tete du grade s'envoler dans les airs.

Est-ce ainsi que s'eleve l'esprit?

Je ne sais pourquoi, peut-etre cette musique dans mes oreilles, ce decor de sang et d'eclairs alentour, je me sens d'humeur a plaisanter. Peut-etre est-ce aussi parce que tout homme ressent le besoin de dedramatiser et de se rassurer face a l'horreur.

J'eclate de rire. Peut-etre que je deviens fou. Non, c'est normal, c'est la pression qui se relache. Pauvre sergent, tout de meme! Il n'a pas ete assez rapide. Il est mort.

Les mitrailleuses se tournent dans ma direction. Cette fois, je perds toute envie de rire. Je ferme les yeux et je me dis que si j'ai survecu jusqu'a ce jour, c'est que j'ai surement un ange gardien, moi aussi. Bon, eh bien si c'est le cas, c'est le moment qu'il se manifeste. Saint Igor, a toi de jouer.

J'adresse une rapide priere: «Eh, tu as compris, la-haut? C'est le moment ou jamais de me tirer de ce petrin!»

111. VENUS

Le presentateur m'appelle pour un second tour de piste car certains jures hesitent encore. Je place mes bras bien en arriere pour mettre en valeur mes seins. Ne pas sourire. Les hommes n'aiment pas les gentilles, ils aiment les garces. C'est ce que m'a toujours dit maman. Cette fois, j'ose regarder par-dessus les sunlights. J'apercois maman assise au premier rang, en train de me filmer avec une camera video. Comme elle serait fiere de moi si je reussissais! Je distingue aussi Esteban. Brave Esteban! Trop brave Esteban!

Deux tours et je m'immobilise, hieratique. C'est fini. Il ne me reste plus qu'a prier. S'il y a la-haut quelque chose qui se soucie de moi, j'implore son aide.

112. VOL COSMIQUE. PREMIERE RANDONNEE

J'ai l'impression que l'un de mes clients m'appelle. Sans doute un sentiment de culpabilite pour les avoir abandonnes.

Raoul me depasse. Nous voyageons a la vitesse de la lumiere. 300 000 kilometres-seconde. Les photons emis par le soleil le plus proche sont a cote de nous, puis derriere nous. Nous atteignons rapidement Pro-xima Centauri, l'etoile la plus proche de notre systeme solaire, situee a 4,2 annees-lumiere. Nous traversons son systeme et commencons a en examiner les planetes.

Rien de vivant la-dedans.

Nous repartons a 300 000 kilometres-seconde en direction d'Alpha Centauri.

Lien non plus. Il faut elargir la zone de recherche.

Apres avoir vire de bord a angle serre nous foncons vers Sirius. Quelques planetes tiedes. Un peu de lichen. Beaucoup d'ammoniac.

Procyon? Que dalle.

Cassiopee? De la poussiere et des vapeurs.

Tau Ceti? Je prefere ne pas en parler.

Delta Pavonis? N'y allez pas, il n'y a rien a voir.

Nous allons vite, d'etoile en etoile, de planete en planete. Nous traversons meme le c?ur des grosses meteorites pour voir si les dieux ne s'y seraient pas caches, par hasard.

Le probleme est que notre seule Galaxie a un diametre de 100 000 annees-lumiere et contient 100 milliards d'etoiles. Autant dire que, proportionnellement, nous nous trainons comme des escargots sur un terrain de football. A chaque brin d'herbe correspond une rencontre avec une planete.

Je ne cesse de penser a mes clients. Pourvu qu'ils n'aient pas besoin de moi! Je suis sur qu'ils sont en danger. Jacques est trop sensible. Igor est trop fier. Venus est trop fragile.

Raoul m'envoie une pensee de reconfort. Il me demande de me concentrer davantage sur mes travaux d'explorateur. J'ai toujours une fraction de seconde de retard dans les virages. D'accord. Je promets de m'ap- pliquer.

Raoul, Freddy, Marilyn Monroe et moi visitons des centaines de planetes. Parfois nous descendons a la surface et n'y trouvons que de la rocaille. Pas la moindre trace d'intelligence.

Je propose de n'«atterrir» que sur les planetes temperees, avec des oceans et une atmosphere. Raoul me repond qu'il n'y a pas de raison pour que la planete ou s'est rendue Nathalie soit identique a la notre, mais Freddy m'approuve. Mes criteres suffisent a diviser par dix le nombre de planetes a explorer. Au lieu de deux cent milliards, il n'y en a desormais plus que 20 milliards…

Nous ne nous attendions pas a etre arretes par cet adversaire: l'immensite de l'espace.

113. JACQUES

Plus j'ecris, plus j'eprouve des sensations etranges. Je tremble d'emotion en ecrivant et je suis traverse de frissons proches de l'amour physique. Pendant quelques minutes, je suis «ailleurs». J'oublie qui je suis.

Les scenes s'ecrivent d'elles-memes comme si mes personnages s'emancipaient de ma tutelle. Je les regarde vivre dans mon roman comme des poissons dans un aquarium. C'est agreable et, en meme temps, cela me fait peur. J'ai l'impression de jouer avec un explosif dont je ne possede pas le mode d'emploi.

Quand j'ecris, j'oublie qui je suis, j'oublie que j'ecris, j'oublie tout. Je suis avec mes personnages, je vis

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