la matiere en degenerescence. Apparemment, le moment etait des plus propices pour montrer a Patrick tous ses avantages.

Robert avait deja pris un crayon, mais Patrick s’eclipsa soudain de l’ecran. Robert attendait, se mordant la levre. Une voix demanda : « Tu veux debrancher ? » Patrick ne repondait pas. Cari Hoffman s’approcha de l’ecran, salua distraitement mais tendrement Robert, puis prit Patrick a part :

— Tu as encore quelque chose a lui dire ?

La voix de Patrick bougonna de loin :

— Je ne comprends rien. Il faudra voir ca de plus pres.

— Je te demande si tu as encore quelque chose a lui dire ? repeta Hoffman.

— Mais non, mais non, repliqua avec irritation Patrick.

Alors, Hoffman, souriant d’un air coupable, dit :

— Excuse-moi, Rob, nous sommes en train de nous coucher. Je debranche, d’accord ?

Les dents tellement serrees que ses machoires craquaient, Robert, d’un lent mouvement affecte, posa devant lui une feuille de papier, inscrivit plusieurs fois de suite la formule sacree, haussa les epaules et dit d’un ton alerte :

— C’est ce que je pensais. Tout est clair. Et maintenant, je vais boire du cafe.

Il eprouvait une extreme repulsion envers lui-meme et resta assis devant une petite armoire a vaisselle jusqu’a ce qu’il se sentit capable de maitriser son visage. Tania dit :

— C’est toi qui prepares le cafe, d’accord ?

— Pourquoi moi ?

— Tu vas le preparer, et moi, je vais voir comment tu fais.

— Quelle idee !

— J’aime regarder comment tu travailles. Tu travailles d’une maniere absolument parfaite. Tu n’accomplis aucun geste inutile.

— Comme un cyber, dit-il ; mais il etait flatte.

— Non. Pas comme un cyber. Tu travailles a la perfection. Et la perfection rejouit toujours.

— « La Jeunesse de l’Univers », marmonna-t-il, rouge de plaisir.

Il disposa des tasses et roula la petite table vers la fenetre. Ils s’installerent, et il servit le cafe. Tania etait assise de cote, les jambes croisees, admirablement belle. De nouveau, il se sentit envahi par la stupefaction et le desarroi d’un chiot.

— Tania, dit-il. C’est impossible. Tu es une hallucination.

Elle sourit.

— Ris autant que tu veux. Je n’ai pas besoin de toi pour savoir que j’ai l’air lamentable. Mais je n’y peux rien. J’ai envie d’enfouir ma tete sous ton bras et de gemir comme un petit chien. J’aimerais que tu me tapotes le dos et que tu me dises : « Ah, que tu es bete ! »

— Ah, que tu es bete ! dit Tania.

— Et mon dos ?

— Le dos, ce sera pour plus tard. Et la tete sous mon bras aussi.

— D’accord, plus tard. Et maintenant ? Tu veux que je me fabrique un collier ? Ou une museliere  …

— Pas de museliere, dit Tania. Que ferais-je de toi avec une museliere ?

— Et que feras-tu de moi sans museliere ?

— Sans museliere, tu me plais.

— Hallucination auditive, dit Robert. Qu’est-ce qui peut bien te plaire en moi ?

— Tu as de belles jambes.

Les jambes etaient le point faible de Robert. Il les avait puissantes, mais trop grosses. C’etait les jambes de Cari Hoffman qui avaient servi de modele pour « La Jeunesse de l’Univers ».

— C’est bien ce que je pensais, dit Robert. Il vida d’un trait le cafe refroidi. Dans ce cas, je vais te dire pourquoi je t’aime, moi. Je suis un egoiste. Peut-etre, suis-je le dernier egoiste de la Terre. Je t’aime parce que tu es l’unique personne capable de me mettre de bonne humeur.

— C’est mon metier, dit Tania.

— Un metier formidable ! Il n’y a qu’une chose qui cloche : tu mets tout le monde de bonne humeur. Les vieux comme les enfants. Surtout les enfants. Des gens qui n’ont aucun rapport avec toi. Des gens aux jambes normales.

— Merci, Roby.

— La derniere fois, a L’Enfance, j’ai remarque un mioche. Il s’appelle Valia  … ou Varia  … Un blondasse avec des taches de rousseur et des yeux verts.

— Un garcon, Varia[2] ? dit Tania.

— Ne chicane pas. J’accuse. Ce Varia a ose te regarder avec ses yeux verts d’une facon telle que mes mains me demangeaient.

— La jalousie d’un egoiste effrene.

— Bien sur que oui, la jalousie.

— Et maintenant, imagine sa jalousie a lui.

— Quoi ?

— Imagine aussi ses yeux quand il te regardait, lui. « La Jeunesse de l’Univers * avec tes deux metres. Un athlete, un homme beau comme il n’est pas permis, un physicien-zero, porte Feducatrice sur son epaule, et l’educatrice se pame d’amour  …

Robert eclata d’un rire heureux.

— Comment ca, Tanioucha ? Mais nous etions seuls a ce moment !

— C’est vous qui etiez seuls. Nous, dans L’Enfance, on n’est jamais seuls.

— Oui-i-i  …, traina Robert. Je me souviens de ces annees, oui. Des educatrices mignonnes et nous, de grands dadais de quinze ans  … J’en etais arrive au point de leur jeter des fleurs par les fenetres. Est-ce que ca arrive souvent ?

— Tres souvent, dit Tania pensivement. Surtout avec des filles. Elles se developpent plus tot. Et tu sais comment ils sont, nos educateurs ? Des pilotes stellaires, des heros  … Pour l’instant, de ce cote-la, c’est une impasse.

« Une impasse, pensa Robert. Et, bien sur, elle se rejouit de cette impasse. Ils se rejouissent toujours tous des impasses. Ca leur donne un excellent pretexte pour briser les murs. C’est ainsi qu’ils passent leur vie : en brisant les murs, l’un apres l’autre. »

— Tania, dit-il, qu’est-ce que ca veut dire pour toi : un imbecile ?

— C’est une insulte, dit Tania.

— Mais encore ?

— C’est un malade qu’aucun medicament ne peut — > guerir.

— Ce n’est pas un imbecile, ca, profesta Robert. C’est un simulateur.

— Je n’y suis pour rien. Un proverbe japonais dit : « Le remede qui guerit l’imbecillite n’existe pas. »

— Ah bon, dit Robert. Donc, un amoureux est aussi un imbecile. « Un amoureux est un malade, rien ne peut le guerir. » Tu m’as console.

— Parce que tu es amoureux ?

— Je suis inguerissable.

Les nuages s’en allerent pour decouvrir un ciel etoile. Le matin approchait.

— Regarde, voila le soleil, dit Tania.

— Ou ? demanda Robert sans grand enthousiasme.

Tania eteignit la lumiere, s’assit sur les genoux de Robert et, serrant sa joue contre la sienne, lui dit :

— Tu vois ces quatre etoiles eclatantes ? C’est la Chevelure de Berenice. A gauche de la plus haute, il y a une tou-oute petite etoile. C’est notre soleil  …

Robert la souleva dans ses bras, contourna avec precaution la table et, alors seulement, apercut, dans la lumiere verdatre et crepusculaire des appareils, une longue silhouette humaine assise devant la table de travail. Il tressaillit et s’arreta.

— Je pense que maintenant on peut allumer la lumiere, dit l’homme, et Robert comprit immediatement qui c’etait.

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