d'interrogation qui t'assaillent avec la fureur d'un essaim de guepes dans lequel un gamin vient de shooter.

Les faits qui viennent d'etre evoques se sont deroules hier. Or, figure-toi que ce morninge nous avons recu la visite d'un monsieur dont le pavillon proximite le notre.

Cet homme travaille aux Pompes funebres. Contrairement a ses confreres qui ont la reputation de se montrer joyeux drilles en dehors de leurs fonctions, ce personnage parait coltiner le poids du monde sur ses crevardes epaules. Notre ancillaire iberique vint m'informer de cette visite matinale alors que je procedais a mes ablutions.

Je passai une robe de bain en tissu-eponge, chaussai des babouches marocaines et descendis. Je pensais que le bonhomme venait me concasser les testicules pour me faire signer une petition quelconque destinee a modifier les habitudes du quartier. Je renoncai a cette supposition en le voyant accompagne d'un branleur de quinze ou seize ans auquel la timidite donnait un air sournois.

L'escamoteur de cadavres me presenta une main aussi bleme et froide que celles de ses clients.

— Alphonse Charretier ! se presenta-t-il.

— Nous nous connaissons de vue, assurai-je.

Il en convint.

— Pardon de vous deranger, reprit ce passeur de Rubicon, mais j'ai une sepulture dans trente minutes et le petit va en classe.

Ces deux raisons me parurent suffisantes pour que je l'invite a parler.

Il le fit doctement.

— Je tiens a vous entretenir d'un fait troublant, preambula-t-il. Mon fils Paul-Robert, ici present, vient de passer quinze jours a Londres afin d'y enrichir son anglais. Il en est revenu hier apres-midi avec ses camarades de classe et affirme avoir ete le temoin d'un attentat en debarquant a la gare du Nord.

— Un attentat ! m'etonne-je-t-il avec une incredulite a peine dissimulee.

Mon attention se fixe sur Paul-Robert, lequel soutient hardiment l'eclat de mes prunelles.

— Oui, m'sieur ! assure le fils Charretier, soudain desintimide.

— Raconte-moi cela, mon garcon.

Son rapport fut bref, concis et marque d'un tel accent de sincerite que je ne perdis pas de temps a le mettre en doute.

Sitot sur le quai, il se rappela avoir laisse dans le porte-bagages de son wagon un cadeau destine a ses parents. Plantant la ses condisciples, il rebroussa chemin afin de le recuperer, puis se mit a courir pour rattraper « le rang ». Comme il franchissait la passerelle a grand renfort de coups de coudes, il assista a une scene qui l'impressionna fortement. Une jeune fille se deplacait au sein d'un groupe d'hommes presses. Tout a coup, l'un d'eux se baissa, lui saisit les chevilles a deux mains et, avec une rare promptitude, la fit basculer par-dessus la rampe. Le flot des voyageurs continua de s'ecouler, le gamin en fit autant. Presque aussitot des cris retentirent ; mais Paul-Robert, abasourdi par ce qu'il venait de voir, rejoignit les autres lyceens sans se retourner.

Il ne souffla mot du drame a personne, pas plus a sa mere, venue l'attendre, qu'a ses amis.

Au cours du diner familial, il se cantonna dans un mutisme inhabituel. Les siens en furent d'autant plus alarmes qu'il avait beaucoup a raconter.

Un peu plus tard, son croque-mort de pere l'alla voir dans sa chambre et parvint a le confesser.

— Vous comprenez, declare ce dernier, en apprenant une chose pareille, je me suis dit qu'il convenait de vous en parler puisque nous sommes voisins.

Je l'assure qu'il a bien agi et entreprends de faire jacter Charretier fils.

Pas con, ce mouflard. Certes, ce qu'il a vu l'a traumatise, mais cela n'a rien enleve a son esprit d'observation.

Selon lui, l'agresseur de la jeune fille n'etait pas seul ; il appartenait a un groupe d'individus charges de masquer son acte. C'est pur hasard que Paul-Robert ait assiste au forfait, grace a sa petite taille, je suppose.

Vachement fier de paterner le temoin d'un presque meurtre, le pompeur-funebre-general ! Les macchabees, il connait. Blinde, il est ! Mais que son hoir ait visionne un crime, voila qui l'enorgueillit jusqu'a la marque de son slip situee a vingt centimetres de son anus.

— Dis bien tout a monsieur, mon cheri, conjure-t-il.

Le petit gazier ne demande pas mieux.

Il commence a mesurer son importance. Me confie que les hommes ayant neutralise la voyageuse etaient des etrangers. Ces gens n'avaient pas des gueules d'ici. Tous tres grands, ils portaient des impers a epaulettes et tenaient chacun un attache-case de cuir rougeatre.

Les Charretier (ceux-ci ne jurent pas) me prennent bientot conge. Ennoblis par leur demarche civique, ils s'en vont, qui a ses cadavres nourriciers, qui a ses branlettes, la conscience en paix.

2

Dans la chambre de Pamela Grey, je decouvre quatre personnes. Elle, d'abord, inconsciente, platree et drainee de partout, le toubib, puis un petit homme chauve tout rond, et enfin un mec blond d'une trentaine d'annees, au regard couleur banquise.

La ravissante infirmiere qui m'escorte annonce en me designant au professeur Jean Nedeux (c'est ecrit sur son badge) :

— Monsieur est de la police.

La presentation n'est pas pompeuse mais produit toujours son effet.

J'accorde un salut general de prelat blase.

— Veuillez me pardonner si j'importune, declame-je, l'on m'a informe a la reception que le pere de miss Grey se trouvait aupres de sa fille et un entretien avec lui est indispensable.

Le bonhomme a la chevelure en peau de fesses parle un francais tres convenable. Il execute un pas dans ma direction en disant « Hello » et me presente une main appetissante comme une grappe de saucisses en conserve. Je presse l'ensemble en cherchant a qui me fait songer le bonhomme. Oh ! oui : a ce petit Ricain, made in Italy, qui forme un couple comique avec Schwartzenegger. Il en a la petulance et la cocasserie. Ayant appris dans la journee d'hier l'accident de sa fille, ce digne personnage a illico affrete son Jet prive (un Fepalcon 416 caramelise) pour accourir a son chevet ; preuve d'une fibre paternelle plus tendue qu'une corde de violon.

Son collaborateur de confiance, mister Los Hamouel (le mec aux yeux d'acier) a insiste pour l'accompagner ; c'est vachement gentil de sa part, car au lieu de traverser l'Atlantique Nord, il aurait pu se faire constricter le python par une radasse de luxe.

Le gars en question m'est aussi sympathique qu'une flaque de degueulis sur la banquette arriere de ma Jaguar. Mais treve de « billes versees », dirait joliment un homme nomme Beru. Fuyant son regard de reptile, je me consacre a David Grey et a sa fifille qui aurait du rester devant son dry-martini, en prenant soin, toutefois, de cracher le noyau de l'olive qui le decore.

La mome ne devait pas etre tres belle avant son « accident ». Maintenant, elle est franchement tartignole, avec sa tronche asymetrique. L'une de ses pommettes obstrue son ?il droit, son nez, bourbonien d'origine, est devenu picassien. Ses delicates oreilles ressemblent a des chanterelles. Elle possede un menton d'herbivore, escamote comme un tiroir trop enfonce. On a du lui raser la tete pour rafistoler sa boite cranienne, ce qui finit le tableau. M'est avis que, dore de l'avant, va falloir qu'elle passe une chiee d'annonces dans le Chasseur Francais pour se degauchir un epoux et qu'elle chipote pas sur le blason !

— Cher ange, murmure David Grey d'un ton fremissant telle l'eau du the qui se met a bouillir.

Je le visionne. Pas surprenant qu'il ait procree une tarderie pareille, avec son physique ! De plus, un tic l'oblige a soulever a tout instant son sourcil gauche, comme s'il marquait une surprise. Je n'aime pas les individus affliges de ces breves convulsions. J'imagine toujours qu'il s'agit d'une astuce destinee a capter l'interet de l'interlocuteur.

S'estimant superflu, le toubib s'emporte discretement.

— Je crois savoir que la police a deja dresse un rapport a propos de l'accident ? me dit le

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