nous trouvions en tete a tete. Tu paries ? Et voila que mon sens divinatoire entre en action, spontanement, sans que je le sollicite.

— Ne seriez-vous pas Elnora Stuppen ? interroge-je.

Pourquoi brutalement cette question ? Sans que mon esprit, je le jure, n'ait eu a la pecher dans ma tambouillasse de pensees.

Elle est interloquee.

— Qu'est-ce qui vous fait croire ca ?

— En ce jour ou les morts renaissent, dis-je, toutes les hypotheses sont envisageables.

— Je vous trouve etrange.

— Vous n'etes pas la premiere a le remarquer.

Je ne deteste pas le petit air soucieux qui mobilise ses traits charmants.

— Une passagere du Princess Butock a ete precipitee a la mer et vous avez pris sa place, n'est-ce pas ?

— Quelque chose dans ce genre, admet-elle.

— Vous devez etre experte, question deguisement ; qui etait-ce, une femme ou un homme ?

— C'est important ?

— Simple curiosite de ma part, veuillez me la pardonner. D'apres certains renseignements, vous etiez la partenaire de l'infortunee Pamela ?

— Quelle sotte idee !

Elle coule un regard prompt sur Hamouel qui n'apprecie guere nos papotages.

— Les gens voient le mal partout, elude-je. Pourtant, je vous prefererais en menage avec une fille plutot qu'avec cet individu (je designe le secretaire).

Pique au vif, comme on disait jadis, le Mal-lune se dresse et me flanque un coup d'avant-bras au travers de la physionomie. Je n'esperais que cela, magine-toi !

Illico je titube et tombe a la renverse, en demeurant inanime, semblable aux objets qui captivent notre ame et la force d'aimer.

Je sens un moment d'embarras non gastrique dans la piece. Mes « hotes » sont deconcertes par l'incident. Le dabe a morpho de fakir fait entendre un petit chuintement d'impatience.

Il lance aux deux sbires :

— Voyez ce qu'il a !

Dans dix secondes ou l'annee prochaine, selon ta faculte de comprehension, tu auras pige l'astuce. Elle resulte de la maniere dont les peones du vieux sont armes. N'ayant pas a planquer leurs feux, ils le portent fiche dans la ceinture, a la corsaire d'operette.

Or donc, ces hommes de main se penchent sur moi pour s'occuper de ma carcasse defaillante. Ce qui suit releve de la comedie ricaine a technique elaboree.

Au moment ou ils se baissent, Grippeminaud le bon apotre, jetant des deux cotes la griffe en meme temps, met les plaideurs d'accord en croquant l'un et l'autre !

Je t'explique.

Avec celerite, je virgule les mains en direction de leurs armes que j'empalme, puis execute un prompt retablissement.

Le mieux equipe en matiere de reflexes me saute dessus. Cette man?uvre reste a l'etat de projet car je lui file une valdoche en plein pylore, a moins qu'il ne s'agisse du duodenum (que le papa d'Apollon Jules appelle « le duo des nonnes »). Le mec s'ecroule avec le bruit du chene qu'on abat dans la propriete d'Andre Malraux.

Je mets a profit l'hebetude de son acolyte pour l'estourbir d'un coup de crosse ceremonieux, et me retrouve face au trio.

Ma satisfaction peut s'epanouir sans retenue, car ces personnages qui, moi vivant, ne seront jamais en quete d'auteur, sont sideres par ma prestation.

— A la mode francaise ! leur dis-je. Mais j'en connais d'autres, vous allez voir.

27

Apres avoir convenablement analyse les moments cruciaux de ma folle existence, j'ai acquis la certitude que la seule facon de sortir d'un mauvais pas c'etait de prendre l'initiative sans passer par les demi-mesures. Le cote « Tirez les premiers, messieurs les Anglais » affirme davantage la connerie que le panache. Lorsque t'emplatres un antagoniste, au lieu de passer par les chevaleresques « coups de semonce », tu fais un grand pas vers la victoire.

Mon provisoire prestige vient de ce que je n'ai pas hesite a plomber l'adversaire et a feler la coquille de son pote.

A present, je me tiens a la pointe d'un eventail forme par les trois « plaisanciers », un flingue dans chaque main.

— De grace, leur dis-je, ne me contraignez pas a l'hecatombe, ce serait stupide.

Ils comprennent parfaitement que je ne joue pas a chatte perchee. Une gravite tendue pese sur cet instant exceptionnel.

Je reflechis a la vitesse de la lumiere. Considere, suppute. La couillerie c'est que les deux valeureux sont bouclares au-dessous de nous. Pour l'heure, grace a mes petoires, je controle la situation ; par contre, je ne puis envisager aucun deplacement a bord. Somme toute, nous nous tenons par la barbichette !

Le mec sec pige mon incertitude car un leger sourire nait sur ses levres minces.

— Dilemme ? murmure-t-il.

Je m'abstiens de fanfaronner, trop concentre sur le coin de mon ?il, lequel discerne un imperceptible mouvement de Los Hamouel. Surveiller, sans en donner l'impression, est un exercice subtil. Je sais pertinemment que ce crapuleux individu essaie de s'emparer d'une arme. Elle n'est pas sur lui car il se livre a un astucieux deplacement des talons. Vas-y, mon lapin ! Si tu crois feinter l'Antonio, c'est que t'as rien compris au bonhomme !

La tension devient extreme, a croire que le temps se solidifie. Le grand parchemine voyant la man?uvre s'efforce de mobiliser mon attention en prodiguant des mimiques et des soupirs.

La mome Elnora aussi a capte le manege, y met de sa personne en croisant tres haut les jambes jusqu'a me montrer une levre de sa chattoune couleur framboise bien mure.

Maintenant, j'ai pige l'intention du ci-devant secretaire : saisir l'une des deux sagaies croisees au-dessous d'un masque negre.

Pauvre pomme ! Il a vu ca dans une serie televisee americaine dont le decor unique assume les cent quarante episodes et ou les acteurs sont constamment en gros plan pour eviter les mouvements de camera et les changements d'eclairages !

— Alors ? me fait le Don Quijote de la Manche (a air), comment sortir de ce cul-de-sac ?

Il jacte fort, contrairement a son habitude, parce que c'est l'instant ou Hamouel se saisit de l'arme et la decroche.

Impavide, je decris un bout de pivotement et tire sur sa main tenant la lance africaine.

Trop precipite ! Je rate ma cible. L'autre con se rue sur moi, en emettant une clameur de Comanche. J'essaie de volter, insuffisamment puisque la lame rouillee me cueille au flanc droit ! Tu parles d'un coup de lardoire, Edouard ! Plus a gnagnater : je defouraille. Deux prunes : l'une sous la pommette gauche, l'autre dans le tarbouif.

Mon adversaire reste brievement debout avant de deposer son bilan sur le parquet.

La fille Stuppen pousse un cri, assez melodieux dans son genre.

A present, je braque le yachtman.

— Je continue ou on signe un armistice ? dis-je.

— Qu'entendez-vous par la ? demande l'etrange bonhomme.

— Ma position est precaire, mais je dispose d'une monnaie d'echange qui n'est pas sans valeur.

— Laquelle ?

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