« Alors moive, ni une ni deux, j'ramasse un caillou et l'y balance dans la tronche. Faut qu'j'vais t'dire : a Saint-Locdu, j'etais champion au lancer d'gadins. Un piaf a vingt metres j'atteindais. Ce zigoto a encaisse ma pierre en pleine tronche et n'a pas dit ouf. »

Nous voici devant Croquignolo. Le projectile expedie par le Malabar repose contre lui : chouette morceau de parpaing pesant au moins deux livres. Quand on connait la force de mon ecuyer favori, on comprend que l'impact ait fait du dommage.

M'emparant du calibre gonflant son blouson, je pars a la recherche de ses eventuels complices.

Decemment arme, courbe en deux, j'evolue dans les zones les plus sombres en direction du parking.

Fectivement, une tire se trouve a proximite de l'entree. Malgre ses phares eteints, on la repere dans la nuit par un point lumineux qui clignote au-dessus du miroir reflecteur.

Je me rends rapidement compte qu'un gazier occupe la place passager. Il a baisse sa vitre et passe le coude a l'exterieur. De toute evidence, il attend le retour de son pote.

Ces fumiers retors finissent par me flanquer la nausee, je voudrais pouvoir les exterminer au moyen d'un insecticide puissant.

Decrivant une courbe qui me positionne a l'arriere de la guinde, je repte vers l'avant droit. La nuit est douce, le ciel etoile ; le grondement de la circulation proche couvre le gresillement electrique des cigales.

Parvenu a hauteur de la portiere contre laquelle se tient le vilain, je biche la poignee et deponne brusquement. L'occupant, pris a la fois a l'improviste et au depourvu, bascule sur le sol ou l'attend l'ami Sana. Coup de crosse imperial en pleine gueule. J'entends se disloquer sa margoule. Loin de verifier les degats, je le rebelote sauvagement.

Faut dire que j'en ai un plein conteneur a son service. Ma rage est eperdue, mon ressentiment sans limites. Je te l'emplatre derechef ! Et encore ! Et tiens ! Et pif ! Tout ca a la crosse de Colt.

Au debut il a grogne.

Ensuite, geint !

Maintenant, c'est le silence des grandes etendues desertiques, chez le mec. Mon bras douloureux de ce tabassage retombe. Je m'assois aupres de ma victime, haletant, la tete bourree de lueurs incarnates.

Combien de temps passe-je la a me recuperer ? Impossible de le preciser.

A la fin, je m'agenouille et pose ma paluche valide sur son poitrail. Ca cogne ! Pas suivant les normes edictees par les cardiologues, mais il se passe ce petit quelque chose qui s'appelle la vie.

Une fois en position verticale, je m'assieds dans la caisse. Ce qui m'intrigue, c'est la putain de loupiote jaune palpitant dans le schwartz. Elle est spasmodique comme un signal.

Cela me rappelle l'emetteur de la Chrysler. Decidement, ces gais lurons raffolent de l'electronique.

Presto, je rallie ma case d'ou s'echappent des plaintes. Le Gros serait-il en train de faire un mauvais parti a la mome Elnora ?

Non ! Il l'enfile, tout simplement, du temps qu'elle avait la chatte beante. La gonzesse a maille a partir avec son guizeau monumental. Les lents coups de boutoir de Sa Majeste lui demantelent le pot scientifiquement.

Je n'aime pas jouer les trouble-fesses, aussi je me livre a une besogne passionnante consistant a explorer avec minutie les harnais et le bagage de la petite devergondee. M'y reprends a deux, puis a trois fois, convaincu de l'infaillibilite de mon instinct.

La femme au gros moignon pousse des gemissements comme la Grande Armee traversant la Berezina. Le Maitre Etalon l'adjure de perseverer, l'assurant qu'une apotheose sensorielle digne d'une imperatrice l'attend, tout de suite apres le percement du Saint-Bernard. Ce sera si tant tellement fabuleux qu'elle aura meme plus besoin de pommade cicatrisable.

Pendant ces doux propos, je continue mes recherches avec obstination. La « chose » se trouve dans un talon de sa chaussure. Cela possede la forme et la dimension d'une boite de cachous.

Un emetteur psalmodieur a interactivite sulpicienne ! Et moi, connard vertebre, je me gaffais de rien ! La gonzesse avait sur elle le moyen infaillible d'etre suivie a la trace.

Muni de l'appareil, je retourne au parkinge. Avisant un gros camion immatricule au Mexique, je plaque l'engin a l'interieur d'un de ses puissants pare-chocs. « Les autres » pourront le courser a travers les States : les voyages forment la jeunesse.

Mon esquinte est toujours naze aupres de sa portiere. Son pote itou, devant notre fenetre.

Une grande fatigue, jointe a mes blessures, commence a me terrasser. Sais-tu que mes cannes trembillent, m'obligeant a m'adosser au mur de la construction ?

C'est l'instant ou Elnora chope enfin ce pied tant promis par son partenaire, a grandes gueulees triomphales.

— Mouiiii ! hurle de son cote le Gros ! Vas-y toute, salope ! J't'rejointe. Houvahou ! qu'c'est good ! L'bon Dieu peuve et' content d'nous !

30

La suite ?

J'ai remis nos deux victimes dans leur chignole, aide du Negus qui se mieux portait. Il a meme pu piloter leur caisse jusqu'a un bosquet de paletuviers roses, a une dizaine de kilbus. Je l'ai suivi au volant de notre immense Lincoln pour pouvoir le rapatrier apres l'abandon des deux truands.

Au motel, tout dormait, y compris les amants de St-Jean, gaves de jouissance. Elnora tenait la grosse poutoune du Saint-Locducien contre sa joue. On eut dit une jeune accouchee pressant le fruit de ses entrailles en un geste d'infinie possession. C'etait beau comme une Pieta du Titien. Au point que les larmes m'en vinrent aux cils inferieurs.

Nous les laissames roupiller quelques heures. Le membre surmene de Berurier ressemblait a une aubergine primee dans un comice, et la craquette de miss Stuppen au cou d'un dindon faisant la roue, tant il est vrai que les instruments de l'amour le plus celeste s'apparentent a la basse triperie.

* * *

Et nous avons repris la route, nous relayant de maniere a operer un minimum d'arrets. Nous bouffions et dormions dans le carrosse. Beru et sa conquete y forniquaient sauvagement malgre leurs sexes endolores par l'exces. Un veritable rallye !

Puis ca a ete le cher Canada, plus francais que la France desormais. Terre promise pour nous autres, gens en semi-cavale.

La-bas, il s'est passe l'impensable (d'Olonne) : la mome Elnora a refuse categoriquement de nous quitter, declarant qu'elle allait consacrer son existence a Beru et a sa rapiere spadassine. Certaines donzelles sont brusquement touchees par la foi, Elnora c'etait par le chibre du Gravos. Elle entendait le monter a cru des annees durant, s'en gaver jusqu'a ce que sa foufoune, naguere lesbienne, devienne le hangar de la fusee Ariane (a Naxos)[14].

Dans un sens, sa demarche etait admirable. Ca rejoignait les grandes mystiques : S?ur Therese, Sainte Blandine et consort-cons?urs.

Naturellement, je lui ai tire les vers du nose un max. Las, elle en savait moins que je l'esperais. Meme le veritable blase du grand vieux fumeur de Coronas, elle l'ignorait. Dans son entourage on l'appelait mister Blood. Il tenait entre ses doigts jaunis par la nicotine le monde de la pegre. Cela etant, personne ne connaissait ses magouilles, ni sa vie privee.

En cheville avec le pere David depuis des annees, il avait decide, un beau matin, de l'eliminer propre en ordre afin de mettre les griffes sur ses affaires. Il s'etait d'abord annexe Hamouel aux dents longues, puis avait prepare la chute de l'Empire Grey, effacant tour a tour la fille et le marchand de ble.

Concernant la mere Dolores, miss Stuppen n'avait aucune idee de ce que Blood comptait en faire ; l'accident avait surement devance ses projets.

Elle etait au courant de l'assassinat de Pamela, mais n'avait jamais entendu parler de ses executeurs ; pas plus que du mysterieux boitier d'or d'ou s'echappaient parfois des voix etranges venues d'ailleurs.

Par contre, elle etait convaincue que Sancha Panco, le regisseur, avait ete praline par Hamouel. Pour quelle raison ? Probablement qu'il savait des choses requerant son mutisme definitif ?

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