Dans l’obscurite, des points lumineux crepitaient sous la peau de Nell, comme des balises aeriennes dans le ciel nocturne. Ils en raclerent un a l’aide d’un scalpel afin de l’examiner. Ils trouverent des elements similaires dans sa circulation sanguine et comprirent aussitot qu’elle avait du etre infectee lors de son viol. Il etait clair que ces lumignons clignotants dans sa peau etaient des signaux adresses aux tiers, de l’autre cote du golfe qui separe chacun de nous de ses voisins.

Carl ouvrit un des objets trouves dans le sang de Nell et trouva a l’interieur un circuit logique a barrettes accompagne d’une memoire a bandes contenant plusieurs giga-octets de donnees. Ces dernieres etaient divisees en plusieurs blocs, chacun crypte de maniere differente. Carl essaya toutes les clefs fournies par John Percival Hackworth et decouvrit que l’une d’elles – la clef personnelle de ce dernier – decryptait certains des blocs. Quand il en examina le contenu decode, il constata qu’il s’agissait de fragments des plans d’un appareil nanotechnologique non defini.

Ils soumirent plusieurs volontaires a des prelevements sanguins et decouvrirent que l’un d’eux avait egalement dans son sang des elements analogues. Quand ils en rapprochaient deux, ils se verrouillaient en utilisant une liaison par lidar et profitaient de cette etreinte pour echanger des donnees et accomplir une sorte de calcul qui degageait une forte chaleur residuelle.

Ces nanomachines vivaient dans le sang de l’homme comme des virus et se transmettaient d’un individu a l’autre au cours des rapports sexuels ou lors d’echanges de fluides corporels ; c’etaient en fait des paquets de donnees intelligents, analogues a ceux qui parcouraient les reseaux mediatiques, et en s’accouplant dans la circulation sanguine, ils formaient un vaste systeme de communication organique, parallele et sans doute lie a l’autre Reseau mineral a base, lui, de fibres optiques et de fils de cuivre. Comme le Reseau mineral, le Reseau organique pouvait etre utilise pour le calcul – pour faire tourner des programmes. Et il etait desormais clair que John Percival Hackworth s’en servait precisement dans ce but, pour executer en mode parallele un vaste programme ecrit par lui. Il etait en train de concevoir quelque chose.

« Hackworth est l’Alchimiste, dit Nell, et il se sert du Reseau organique pour concevoir la Graine. »

Cinq cents metres au large, les tunnels commencaient. Certains devaient etre la depuis de nombreuses annees, car ils etaient rugueux comme l’ecorce des arbres, incrustes d’algues et de palourdes. Mais il etait manifeste que, au cours des derniers jours, ils avaient fourche et bifurque en se developpant de maniere organique, comme des racines a la recherche d’humidite ; de nouvelles tubulures avaient perfore la couche incrustee pour remonter la pente vers la greve, tout en se divisant et se subdivisant de maniere a offrir aux refugies un grand nombre d’orifices d’acces. Ces pousses se terminaient par des levres qui saisissaient les gens et les aspiraient, un peu a la maniere d’une trompe d’elephant, avalant les refugies avec un minimum d’eau de mer. Les parois interieures des tunnels etaient bordees d’images mediatroniques invitant ces derniers a s’enfoncer vers les abysses ; ils avaient sans cesse l’impression qu’un espace tiede, sec et bien eclaire les attendait, juste un peu plus bas. Mais la lumiere avancait avec eux, tant et si bien qu’ils etaient attires vers le fond des tunnels par une sorte de mouvement peristaltique. Les refugies deboucherent ainsi dans le boyau principal, le plus ancien, tout incruste, et continuerent leur progression, desormais rassembles en foule compacte, jusqu’au moment ou ils furent degorges dans une vaste cavite ouverte bien loin sous la surface de l’ocean. Ils y trouverent des vivres et de l’eau potable et se restaurerent aussitot goulument.

Deux personnes s’abstinrent de boire ou de manger quoi que ce soit, en dehors des provisions qu’elles avaient apportees ; il s’agissait de Nell et de Carl.

Apres la decouverte dans la chair de Nell des nanosites qui la reliaient aux Tambourinaires, elle avait veille toute la nuit pour concevoir des contre-nanosites, capables de traquer et de detruire les dispositifs adverses. Carl et elle se les etaient injectes dans le sang, de sorte qu’ils etaient desormais definitivement liberes de l’influence des Tambourinaires. Toutefois, ils ne voulurent pas tenter le diable en mangeant la nourriture qu’on leur presentait et ils firent bien car, apres leur repas, les autres refugies devinrent somnolents et s’allongerent pour dormir ; de la vapeur s’elevait de leur peau nue et bientot des etincelles apparurent, pareilles aux etoiles qui s’allument dans le ciel quand le soleil descend. Au bout de deux heures, les etoiles s’etaient fondues en une surface continue de lumiere ondulante, assez vive pour qu’on puisse lire a son eclat, comme si la pleine lune se refletait sur les corps de joyeux noceurs endormis dans une prairie. Les refugies, dorenavant Tambourinaires, dormaient en revant tous le meme reve, et les traces abstraits courant sur les parois mediatroniques de la caverne fusionnerent peu a peu pour s’organiser au rythme des souvenirs obscurs issus des trefonds de leur inconscient. Nell vit ainsi apparaitre des elements de sa propre existence, des experiences depuis longtemps integrees au texte du Manuel mais qui ressortaient une nouvelle fois sous une forme brute, terrifiante. Elle ferma les yeux ; mais les murs emettaient des sons egalement, auxquels elle ne pouvait echapper.

Carl Hollywood analysait les signaux transmis par les parois des tunnels, se forcant a eviter le contenu emotionnel de ces images en les reduisant a des chiffres binaires, tout en cherchant a en decoder les codes et protocoles internes.

« Il faut qu’on parte », dit finalement Nell, et Carl se leva et la suivit par une issue prise au hasard. Le tunnel bifurquait a l’infini, et Nell se fiait a son intuition pour choisir l’itineraire a chaque embranchement. Parfois, les tunnels s’elargissaient pour former de vastes cavernes emplies de Tambourinaires luminescents qui dormaient, baisaient ou martelaient simplement les parois. Les cavernes etaient toujours dotees de quantites d’issues qui bifurquaient, s’embranchaient, puis convergeaient vers d’autres cavernes, formant un reseau de tunnels si vaste et complexe qu’il semblait envahir l’ocean entier, comme des tubes neuronaux dont les dendrites se soudent et se ramifient pour occuper le volume entier de la boite cranienne.

Un martelement sourd, aux limites de l’audible, les accompagnait depuis qu’ils avaient quitte la caverne ou somnolaient les refugies. Nell l’avait d’abord pris pour le battement de courants sous-marins contre les parois du tunnel, mais le bruit s’amplifia et elle realisa qu’il s’agissait des Tambourinaires reunis dans une caverne centrale et qui dialoguaient, en expediant des messages sur tout le reseau. L’ayant compris, elle eprouva un sentiment d’urgence qui confinait a la panique, a la perspective de tomber sur cette assemblee centrale et, durant un bon moment, ils coururent dans ce labyrinthe en trois dimensions parfaitement deroutant, pour tenter de localiser l’epicentre de ces bruits de tambours.

Carl Hollywood ne courait pas aussi vite que l’agile Nell et il ne tarda pas a la perdre a un embranchement du tunnel. Des lors, il dut se fier a son propre jugement et apres un certain temps – qu’il lui fut impossible d’evaluer – son tunnel se raccorda a un autre qui emportait un flot de Tambourinaires vers le fond de l’ocean. Carl reconnut parmi eux d’anciens refugies des plages de Pudong.

Au lieu de monter progressivement, le son de tambours explosa en un fracas assourdissant des que Carl emergea dans une vaste caverne, un amphitheatre conique qui devait bien mesurer un kilometre de diametre, coiffe d’une tempete d’images mediatroniques jouant sous un vaste dome. Visibles a la lumiere fluctuante des ecrans au-dessus d’eux mais aussi reperables par leur propre eclairage interne, les Tambourinaires montaient et redescendaient les pentes du cone en une sorte de mouvement convectif. Emporte par un remous, Carl se retrouva transporte vers le centre ou il decouvrit que se deroulait une orgie de proportions phenomenales. Un veritable nuage de sueur vaporisee s’elevait de la fosse. Les corps presses contre la peau nue de Carl etaient si brulants que leur contact etait presque douloureux, comme si tous ces gens souffraient d’une fievre intense et, dans quelque compartiment abstrait de son esprit qui reussissait a poursuivre sa demarche de raisonnement logique, il comprit pourquoi : ils echangeaient des paquets de donnees par l’entremise de leurs fluides corporels, ces paquets s’accouplaient dans leur circulation sanguine et les circuits logiques evacuaient la chaleur accumulee dans leur c?ur.

L’orgie se poursuivit durant des heures, mais les courants de convection ralentirent peu a peu pour se condenser en arrangements stables, analogues a la circulation dans une salle de theatre a mesure que les spectateurs gagnent leur place a l’approche du lever de rideau. Un large espace degage s’etait ouvert au centre de la fosse, et le premier cercle de spectateurs etait forme d’hommes, comme s’ils etaient en quelque sorte les gagnants de ce gigantesque tournoi de fornication qui approchait de son ultime reprise. Un Tambourinaire isole parcourait ce cercle interieur en distribuant des objets : en fait, des preservatifs mediatroniques qui se mettaient a briller vivement des que les hommes les enfilaient sur leur phallus en erection.

Une femme penetra dans l’arene. Au centre precis de la fosse, le sol s’eleva sous ses pieds, la propulsant dans les airs comme sur un autel. Le martelement atteignit un crescendo insupportable avant de s’arreter d’un

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