desespoir. En supposant egales les forces centrifuge et centripete qu’il avait inventees pour se rendre raison de l’univers, l’univers s’arretait, et il admettait le mouvement dans un sens indetermine neanmoins ; mais en supposant ces forces inegales, la confusion des mondes s’ensuivait aussitot. Ses lois n’etaient donc point absolues, il existait un probleme encore plus eleve. La liaison des astres entre eux et l’action centripete de leur mouvement interne ne l’a donc pas empeche de chercher le cep d’ou pendait sa grappe ? Le malheureux ! plus il agrandissait l’espace, plus lourd devenait son fardeau. Il vous a dit comment il y avait equilibre entre les parties ; mais ou allait le tout ? Il contemplait l’etendue, infinie aux yeux de l’homme, remplie par ces groupes de mondes dont une portion minime est accusee par notre telescope, mais dont l’immensite se revele par la rapidite de la lumiere. Cette contemplation sublime lui a donne la perception des mondes infinis qui, plantes dans cet espace comme des fleurs dans une prairie, naissent comme des enfants, croissent comme des hommes, meurent comme des vieillards, vivent en s’assimilant dans leur atmosphere les substances propres a les alimenter, qui ont un centre et un principe de vie, qui se garantissent les uns des autres par une aire ; qui, semblables aux plantes, absorbent et sont absorbes, qui composent un ensemble doue de vie, ayant sa destinee. A cet aspect, cet homme a tremble ! Il savait que la vie est produite par l’union de la chose avec son principe, que la mort ou l’inertie, qu’enfin la pesanteur est produite par une rupture entre un objet et le mouvement qui lui est propre ; alors il a pressenti le craquement de ces mondes, abimes si Dieu leur retirait sa Parole. Il s’est mis a chercher dans l’Apocalypse les traces de cette Parole ! Vous l’avez cru fou, sachez-le donc : il cherchait a se faire pardonner son genie. Wilfrid, vous etes venu pour me prier de resoudre des equations, de m’enlever sur un nuage de pluie, de me plonger dans le Fiord, et de reparaitre en cygne. Si la science ou les miracles etaient la fin de l’humanite, Moise vous aurait legue le calcul des fluxions ; Jesus-Christ vous aurait eclaire les obscurites de vos sciences ; ses apotres vous auraient dit d’ou sortent ces immenses trainees de gaz ou de metaux en fusion, attachees a des noyaux qui tournent pour se solidifier en cherchant une place dans l’ether, et qui entrent quelquefois violemment dans un systeme quand elles se combinent avec un astre, le heurtent et le brisent par leur choc, ou le detruisent par l’infiltration de leurs gaz mortels. Au lieu de vous faire vivre en Dieu, saint Paul vous eut explique comment la nourriture est le lien secret de toutes les creations et le lien evident de toutes les Especes animees.

Aujourd’hui le plus grand miracle serait de trouver le carre egal au cercle, probleme que vous jugez impossible, et qui sans doute est resolu dans la marche des mondes par l’intersection de quelque ligne mathematique dont les enroulements apparaissent a l’?il des esprits parvenus aux spheres superieures. Croyez- moi, les miracles sont en nous et non au dehors. Ainsi se sont accomplis les faits naturels que les peuples ont crus surnaturels. Dieu n’aurait-il pas ete injuste en temoignant sa puissance a des generations, et refusant ses temoignages a d’autres ? La verge d’airain appartient a tous. Ni Moise, ni Jacob, ni Zoroastre, ni Paul, ni Pythagore, ni Swedenborg, ni les plus obscures Messagers, ni les plus eclatants Prophetes de Dieu, n’ont ete superieurs a ce que vous pouvez etre. Seulement il est pour les nations des heures ou elles ont la foi. Si la science materielle devait etre le but des efforts humains, avouez-le, les societes, ces grands foyers ou les hommes se sont rassembles, seraient-ils toujours providentiellement disperses ? Si la civilisation etait le but de l’Espece, l’intelligence perirait-elle ? resterait-elle purement individuelle ? La grandeur de toutes les nations qui furent grandes, etait basee sur des exceptions : l’exception cessee, morte fut la puissance. Les Voyants, les Prophetes, les Messagers n’auraient-ils pas mis la main a la Science au lieu de l’appuyer sur la Croyance, n’auraient-ils pas frappe sur vos cerveaux au lieu de toucher a vos c?urs ? Tous sont venus pour pousser les nations a Dieu ; tous ont proclame la voie sainte en vous disant les simples paroles qui conduisent au royaume des cieux ; tous embrases d’amour et de foi, tous inspires de cette parole qui plane sur les populations, les enserre, les anime et les fait lever, ne l’employaient a aucun interet humain. Vos grands genies, des poetes, des rois, des savants sont engloutis avec leurs villes et le Desert les a revetus de ses manteaux de sable ; tandis que les noms de ces bons pasteurs, benis encore, surnagent aux desastres. Nous ne pouvons nous entendre sur aucun point. Nous sommes separes par des abimes : vous etes du cote des tenebres, et moi je vis dans la vraie lumiere. Est-ce cette parole que vous avez voulue ? je la dis avec joie, elle peut vous changer. Sachez-le donc, il y a les sciences de la matiere et les sciences de l’esprit.

La ou vous voyez des corps, moi je vois des forces qui tendent les unes vers les autres par un mouvement generateur. Pour moi, le caractere des corps est l’indice de leurs principes et le signe de leurs proprietes. Ces principes engendrent des affinites qui vous echappent et qui sont liees a des centres. Les differentes especes ou la vie est distribuee, sont des sources incessantes qui correspondent entre elles. A chacune sa production speciale. L’homme est effet et cause ; il est alimente, mais il alimente a son tour. En nommant Dieu le createur, vous le rapetissez ; il n’a cree, comme vous le pensez, ni les plantes, ni les animaux, ni les astres ; pouvait-il proceder par plusieurs moyens ? n’a-t-il pas agi par l’unite de composition ? Aussi, a-t-il donne des principes qui devaient se developper, selon sa loi generale, au gre des milieux ou ils se trouveraient. Donc, une seule substance et le mouvement ; une seule plante, un seul animal, mais des rapports continus. En effet, toutes les affinites sont liees par des similitudes contigues, et la vie des mondes est attiree vers des centres par une aspiration affamee, comme vous etes pousses tous par la faim a vous nourrir. Pour vous donner un exemple des affinites liees a des similitudes, loi secondaire sur laquelle reposent les creations de votre pensee ; la musique, art celeste, est la mise en ?uvre de ce principe : n’est-elle pas un ensemble de sons harmonies par le Nombre ? Le son n’est-il pas une modification de l’air, comprime, dilate, repercute ? Vous connaissez la composition de l’air : azote, oxygene et carbone.

Comme vous n’obtenez pas de son dans le vide, il est clair que la musique et la voix humaine sont le resultat de substances chimiques organisees qui se mettent a l’unisson des memes substances preparees en vous par votre pensee, coordonnees au moyen de la lumiere, la grande nourrice de votre globe : avez-vous pu contempler les amas de nitre deposes par les neiges, avez-vous pu voir les decharges de la foudre, et les plantes aspirant dans l’air les metaux qu’elles contiennent, sans conclure que le soleil met en fusion et distribue la subtile essence qui nourrit tout ici-bas ? Comme l’a dit Swedenborg, la terre est un homme ! Vos sciences actuelles, ce qui vous fait grands a vos propres yeux, sont des miseres aupres des lueurs dont sont inondes les Voyants.

Cessez, cessez de m’interroger, nos langages sont differents. Je me suis un moment servi du votre pour vous jeter un eclair de foi dans l’ame, pour vous donner un pan de mon manteau, et vous entrainer dans les belles regions de la Priere. Est-ce a Dieu de s’abaisser a vous ? n’est-ce pas vous qui devez vous elever a lui ? Si la raison humaine a sitot epuise l’echelle de ses forces en y etendant Dieu pour se le demontrer sans y parvenir, n’est-il pas evident qu’il faut chercher une autre voie pour le connaitre ? Cette voie est en nous-memes. Le Voyant et le Croyant trouvent en eux des yeux plus percants que ne le sont les yeux appliques aux choses de la terre et apercoivent une Aurore.

Entendez cette verite ? vos sciences les plus exactes, vos meditations les plus hardies, vos plus belles Clartes sont des Nuees. Au-dessus, est le Sanctuaire d’ou jaillit la vraie lumiere.

Elle s’assit et garda le silence, sans que son calme visage accusat la plus legere de ces trepidations dont sont saisis les orateurs apres leurs improvisations les moins courroucees.

Wilfrid dit a monsieur Becker, en se penchant vers son oreille :

— Qui lui a dit cela ?

— Je ne sais pas, repondit-il.

— Il etait plus doux sur le Falberg, se disait Minna.

Seraphita se passa la main sur les yeux et dit en souriant :

— Vous etes bien pensifs, ce soir, messieurs. Vous nous traitez, Minna et moi, comme des hommes a qui l’on parle politique ou commerce, tandis que nous sommes de jeunes filles auxquelles vous devriez faire des contes en prenant le the, comme cela se pratique dans nos veillees de Norwege. Voyons, monsieur Becker, racontez-moi quelques-unes des Saga que je ne sais pas ? Celle de Frithiof, cette chronique a laquelle vous croyez et que vous m’avez promise. Dites-nous cette histoire ou le fils d’un paysan possede un navire qui parle et qui a une ame ? Je reve de la fregate Ellida ! N’est-ce pas sur cette fee a voiles que devraient naviguer les jeunes filles ?

— Puisque nous revenons a Jarvis, dit Wilfrid dont les yeux s’attachaient a Seraphita comme ceux d’un voleur cache dans l’ombre s’attachent a l’endroit ou git le tresor, dites-moi, pourquoi vous ne vous mariez pas ?

— Vous naissez tous veufs ou veuves, repondit elle, mais mon mariage etait prepare des ma naissance, et je suis fiancee…

— A qui ? dirent-ils tous a la fois.

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