— Laissez-moi mon secret, dit-elle. Je vous promets, si notre pere le veut, de vous convier a ces noces mysterieuses.

— Sera-ce bientot ?

— J’attends.

Un long silence suivit cette parole.

— Le printemps est venu, dit Seraphita, le fracas des eaux et des glaces rompues commence, ne venez- vous pas saluer le premier printemps d’un nouveau siecle ?

Elle se leva suivie de Wilfrid, et ils allerent ensemble a une fenetre que David avait ouverte. Apres le long silence de l’hiver, les grandes eaux se remuaient sous les glaces et retentissaient dans le Fiord comme une musique, car il est des sons que l’espace epure et qui arrivent a l’oreille comme des ondes pleines a la fois de lumiere et de fraicheur.

— Cessez, Wilfrid, cessez d’enfanter de mauvaises pensees dont le triomphe vous serait penible a porter. Qui ne lirait vos desirs dans les etincelles de vos regards ?

Soyez bon, faites un pas dans le bien ? N’est-ce pas aller au dela de l’ aimer des hommes que de se sacrifier completement au bonheur de celle qu’on aime ? Obeissez-moi, je vous menerai dans une voie ou vous obtiendrez toutes les grandeurs que vous revez, et ou l’amour sera vraiment infini.

Elle laissa Wilfrid pensif.

— Cette douce creature est-elle bien la prophetesse qui vient de jeter des eclairs par les yeux, dont la parole a tonne sur les mondes, dont la main a manie contre nos sciences la hache du doute ? Avons-nous veille pendant quelques moments ? se dit-il.

— Minna, dit Seraphitus en revenant aupres de la fille du pasteur, les aigles volent ou sont les cadavres, les colombes volent ou sont les sources vives, sous les ombrages verts et paisibles. L’aigle monte aux cieux, la colombe en descend. Cesse de t’aventurer dans une region ou tu ne trouverais ni sources, ni ombrages. Si naguere tu n’as pu contempler l’abime sans etre brisee, garde tes forces pour qui t’aimera. Va, pauvre fille, tu le sais, j’ai ma fiancee.

Minna se leva et vint avec Seraphitus a la fenetre ou etait Wilfrid. Tous trois entendirent la Sieg bondissant sous l’effort des eaux superieures, qui detachaient deja des arbres pris dans les glaces. Le Fiord avait retrouve sa voix. Les illusions etaient dissipees. Tous admirerent la nature qui se degageait de ses entraves et semblait repondre par un sublime accord a l’Esprit dont la voix venait de la reveiller.

Lorsque les trois hotes de cet etre mysterieux le quitterent, ils etaient remplis de ce sentiment vague qui n’est ni le sommeil, ni la torpeur, ni l’etonnement, mais qui tient de tout cela qui n’est ni le crepuscule, ni l’aurore, mais qui donne soif de la lumiere.

Tous pensaient.

— Je commence a croire qu’elle est un Esprit cache sous une forme humaine, dit monsieur Becker.

Wilfrid, revenu chez lui, calme et convaincu, ne savait comment lutter avec des forces si divinement majestueuses.

Minna se disait :

— Pourquoi ne veut-il pas que je l’aime ?

V

LES ADIEUX

Il est en l’homme un phenomene desesperant pour les esprits meditatifs qui veulent trouver un sens a la marche des societes et donner des lois de progression au mouvement de l’intelligence. Quelque grave que soit un fait, et s’il pouvait exister des faits surnaturels, quelque grandiose que serait un miracle opere publiquement, l’eclair de ce fait, la foudre de ce miracle s’abimerait dans l’ocean moral dont la surface a peine troublee par quelque rapide bouillonnement reprendrait aussitot le niveau de ses fluctuations habituelles.

Pour mieux se faire entendre, la voix passe-t-elle par la gueule de l’Animal ? La Main ecrit-elle des caracteres aux frises de la salle ou se goberge la Cour ? L’?il eclaire-t-il le sommeil du roi ? le Prophete vient-il expliquer le songe ? le Mort evoque se dresse-t-il dans les regions lumineuses ou revivent les facultes ? l’Esprit ecrase-t-il la Matiere au pied de l’echelle mystique des Sept Mondes Spirituels arretes les uns sur les autres dans l’espace et se revelant par des ondes brillantes qui tombent en cascades sur les marches du Parvis celeste ? Quelque profonde que soit la Revelation interieure, quelque visible que soit la Revelation exterieure ; le lendemain Balaam doute de son anesse et de lui ; Balthazar et Pharaon font commenter la Parole par deux Voyants, Moise et Daniel. L’Esprit vient, emporte l’homme au-dessus de la terre, lui souleve les mers, lui en fait voir le fond, lui montre les especes disparues, lui ranime les os desseches qui meublent de leur poudre la grande vallee : l’Apotre ecrit l’Apocalypse ! Vingt siecles apres, la science humaine approuve l’apotre, et traduit ses images en axiomes.

Qu’importe ! la masse continue a vivre comme elle vivait hier, comme elle vivait a la premiere olympiade, comme elle vivait le lendemain de la creation, ou la veille de la grande catastrophe. Le Doute couvre tout de ses vagues. Les memes flots battent par le meme mouvement le granit humain qui sert de bornes a l’ocean de l’intelligence. Apres s’etre demande s’il a vu ce qu’il a vu, s’il a bien entendu les paroles dites, si le fait etait un fait, si l’idee etait une idee, l’homme reprend son allure, il pense a ses affaires, il obeit a je ne sais quel valet qui suit la Mort, a l’Oubli, qui de son manteau noir couvre une ancienne Humanite dont la nouvelle n’a nul souvenir. L’Homme ne cesse d’aller, de marcher, de pousser vegetativement jusqu’au jour ou la Cognee l’abat. Si cette puissance de flot, si cette haute pression des eaux ameres empeche tout progres, elle previent sans doute aussi la mort. Les Esprits prepares pour la foi parmi les etres superieurs apercoivent seuls l’echelle mystique de Jacob.

Apres avoir entendu la reponse ou Seraphita, si serieusement interrogee, avait deroule l’Etendue divine, comme un orgue touche remplit une eglise de son mugissement et revele l’univers musical en baignant de ses sons graves les voutes les plus inaccessibles, en se jouant, comme la lumiere, dans les plus legeres fleurs des chapiteaux ; Wilfrid rentra chez lui tout epouvante d’avoir vu le monde en ruines, et sur ces ruines des clartes inconnues, epanchees a flots par les mains de cette jeune fille. Le lendemain il y pensait encore, mais l’epouvante etait calmee ; il ne se sentait ni detruit ni change ; ses passions, ses idees se reveillerent fraiches et vigoureuses. Il alla dejeuner chez monsieur Becker, et le trouva serieusement plonge dans le Traite des Incantations, qu’il avait feuillete depuis le matin pour rassurer son hote. Avec l’enfantine bonne foi du savant, le pasteur avait fait des plis aux pages ou Jean Wier rapportait des preuves authentiques qui prouvaient la possibilite des evenements arrives la veille ; car, pour les docteurs, une idee est un evenement comme les plus grands evenements sont a peine une idee pour eux. A la cinquieme tasse de the que prirent ces deux philosophes, la mysterieuse soiree devint naturelle. Les verites celestes furent des raisonnements plus ou moins forts et susceptibles d’examen. Seraphita leur parut etre une fille plus ou moins eloquente ; il fallait faire la part a son organe enchanteur, a sa beaute seduisante, a son geste fascinateur, a tous ces moyens oratoires par l’emploi desquels un acteur met dans une phrase un monde de sentiments et de pensees, tandis qu’en realite souvent la phrase est vulgaire.

— Bah ! dit le bon ministre en faisant une petite grimace philosophique pendant qu’il etalait une couche de beurre sale sur sa tartine, le dernier mot de ces belles enigmes est a six pieds sous terre.

— Neanmoins, dit Wilfrid en sucrant son the, je ne concois pas comment une jeune fille de seize ans peut savoir tant de choses, car sa parole a tout presse comme dans un etau.

— Mais, dit le pasteur, lisez donc l’histoire de cette jeune Italienne qui, des l’age de douze ans, parlait quarante deux langues, tant anciennes que modernes ; et l’histoire de ce moine qui par l’odorat devinait la pensee ! Il existe dans Jean Wier et dans une douzaine de traites, que je vous donnerai a lire, mille preuves pour une.

— D’accord, cher pasteur ; mais pour moi Seraphita doit etre une femme divine a posseder.

— Elle est tout intelligence, repondit dubitativement monsieur Becker.

Quelques jours se passerent pendant lesquels la neige des vallees fondit insensiblement ; le vert des forets poindit comme l’herbe nouvelle, la nature norwegienne fit les apprets de sa parure pour ses noces d’un jour. Pendant ces moments ou l’air adouci permettait de sortir, Seraphita demeura dans la solitude. La passion de

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