l’existence du proprietaire individuel, institution qui est le fondement de notre culture. Bref, tout! En cinquante ans, Cundaloa a ete revolutionnee, mais Skontar s’est revolutionnee: il existe entre les deux un univers de difference.

«Et nous avons par-la meme sauve les valeurs immaterielles qui nous sont propres: l’art, l’artisanat, les coutumes originales de notre peuple, la musique, la langue, la litterature, la religion. L’ampleur de notre reussite ne nous a pas seulement emmenes jusqu’aux etoiles, faisait de nous l’une des grandes puissances de la Galaxie, elle est en train de provoquer une renaissance du culte de ces valeurs intangibles comme en ont connu peu d’Ages d’Or dans l’histoire de la civilisation. Et ce, uniquement parce que nous sommes restes nous-memes.

Il se tut, et Thordin ne trouva rien a dire pendant un moment. Ils etaient arrives dans une petite rue plus tranquille situee dans un vieux quartier ou la plupart des maisons remontaient a une epoque anterieure a la venue des Soliens, et ou l’on pouvait encore voir porter le vieux costume original cundaloien. Un groupe de touristes humains en visite dans ce secteur de curiosites etait agglutine autour d’un etalage de poterie en plein air.

— Eh bien, qu’en pensez-vous? interrogea Skorrogan au bout d’un moment. N’etes-vous pas convaincu?

Thordin se caressa le menton dans un geste embarrasse:

— Je ne sais pas. Tout ceci est si nouveau, si brusque pour moi. Peut-etre avez-vous raison, peut-etre pas. Il faut que je reflechisse un peu.

— J’ai eu cinquante ans pour y reflechir moi-meme fit Skorrogan sur un ton glacial. Je suppose que vous avez droit a quelques minutes.

Ils s’approcherent de l’etalage. Un vieux Cundaloien etait assis derriere, au milieu d’un bric-a-brac d’articles divers, de vases, bols, coupes aux couleurs brillantes. De l’artisanat du pays. Une touriste etait en train de marchander un article.

— Regardez, dit Skorrogan a Thordin. Avez-vous deja vu de l’artisanat cundaloien? Ceci n’est qu’une production bon marche fabriquee en milliers d’exemplaires pour les touristes. Tout, dans la conception comme dans la facon, sent la mauvaise qualite. Pourtant, chaque dessin, chaque ligne avait une signification autrefois.

Leur regard tomba sur un vase pose a cote du vieil artisan, et meme le Valtam, pourtant peu sujet aux manifestations exterieures d’emotion, ne put s’empecher de laisser echapper un «oh!» d’admiration. Quelle lumiere dans ce vase! On aurait pu croire qu’il vivait. Quelqu’un avait mis toute sa passion, tout son amour dans la perfection depouillee, lumineuse, du

dessin et la grace des longues courbes lisses. Peut-etre l’auteur avait-il pense: «Ce vase continuera a vivre meme apres ma mort.»

Skorrogan ne put retenir lui non plus une exclamation d’appreciation:

_ Voila un vase ancien authentique. Il doit bien avoir un siecle. Une veritable piece de musee! Comment peut-il se trouver ici?

Les touristes humains s’ecarterent legerement pour laisser s’approcher les deux geants skontariens, et, au fond de lui-meme, Skorrogan eprouva une satisfaction amusee en voyant l’expression qui se peignait sur leur visage: Ils nous respectent et ont peur de nous. Sol ne hait plus Skontar: il l’admire. Il envoie sa jeunesse apprendre notre science et notre langue. Mais qui attache encore de l’importance a Cundaloa?

La touriste suivit la direction de leur regard et, decouvrant a son tour le splendide vase, elle se tourna vers le marchand:

— Combien celui-ci?

— Pas vendre, repondit le Cundaloien. Sa voix n’etait presque qu’un murmure, et il serra un peu plus sur sa poitrine sa cape toute rapee.

— Toi vendre, insista-t-elle avec un sourire etincelant qui sentait l’artificiel a plein nez. Moi te donner beaucoup d’argent. Te donner dix credits.

— Pas vendre.

— Je te donne cent credits. Vends!

— Celui-ci a moi. Famille l’avoir depuis longtemps, longtemps. Pas vendre.

— Cinq cents credits! cria-t-elle presque en lui agitant l’argent devant le nez.

Il serra le vase contre sa poitrine decharnee en levant vers elle des yeux sombres ou les larmes commencaient a affluer:

— Pas vendre. T’en aller! Pas vendre amaui!..

Thordin saisit Skorrogan par le bras et l’entraina en murmurant:

— Allons-nous-en. Partons. Rentrons a Skontar.

— Deja?

— Oui, oui. Vous aviez raison, Skorrogan. Vous aviez raison, et je vais faire des excuses publiques. Vous etes le plus grand sauveur de notre histoire. Mais de grace, rentrons!

Ils remonterent rapidement la rue. Thordin essayait de toutes ses forces d’oublier le regard du vieux Cundaloien. Mais il se demandait s’il y parviendrait jamais.

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