Cherry agita le bras, faisant tinter les zips de ses blousons de cuir.

44. CUIR ROUGE

Petale l’informa que ses bagages l’attendaient dans la Jaguar.

— Pour vous eviter d’avoir a repasser par Notting Hill, expliqua-t-il, nous vous avons trouve quelque chose a Camden Town.

— Petale, lui dit-elle, je veux savoir ce qui est arrive a Sally.

Il lanca le moteur.

— Swain la faisait chanter, poursuivit-elle. Pour la forcer a enlever…

Il l’interrompit.

— Ah, bon… Je vois. A votre place, je ne me ferais pas de souci.

— Je me fais du souci.

— Je dirais que Sally est parvenue a se depetrer de cette petite affaire. Elle aurait egalement reussi, a en croire certains de nos amis dans les cercles officiels, a faire s’evaporer toutes les archives la concernant, hormis sa participation dans un casino en Allemagne. Et s’il est arrive quelque chose a Angela Mitchell, Senso/Rezo ne l’a pas encore rendu public. Tout cela est regle, desormais.

— La reverrai-je un jour ?

— Ailleurs que dans mes penates, alors, s’il vous plait.

Ils demarrerent.

— Petale, reprit-elle alors qu’ils traversaient Londres, mon pere m’a dit que Swain…

— Un cretin. Un fichu cretin. Mieux vaut ne plus parler de lui…

— Pardon.

Le chauffage marchait. Il faisait chaud dans la Jaguar et Kumiko se sentait maintenant bien fatiguee. Elle se carra au fond de la banquette en cuir rouge et ferma les yeux. Sa rencontre avec 3Jane l’avait liberee de sa honte, et la reponse de son pere a sa question, liberee de sa colere. 3Jane avait ete tres cruelle. A present, elle discernait de meme la cruaute de sa mere. Mais tout doit finir par etre pardonne, un jour ou l’autre, se dit-elle, avant de s’endormir sur le chemin d’un endroit baptise Camden Town.

45. DERRIERE, LA PIERRE, LISSE

Ils sont venus habiter cette maison : murs de pierre grise, toit d’ardoises, en une saison qui est le debut de l’ete. Alentour, la nature est eclatante de vigueur, meme si les longues herbes ne poussent pas et si les fleurs sauvages ne se fanent jamais.

Derriere la maison s’elevent des batiments annexes, a jamais fermes, inexplores, et s’etend un pre ou des planeurs sont ancres pour resister au vent.

Une fois, alors qu’elle marchait sous les chenes a la lisiere du pre, elle apercut trois etrangers, chevauchant une creature qui ressemblait approximativement a un cheval. Les chevaux appartiennent a une race eteinte, l’espece a disparu bien des annees avant la naissance d’Angie. Une mince silhouette en manteau de tweed etait en selle, un garcon semblable a un palefrenier sur quelque toile ancienne. Devant lui, une jeune fille, japonaise, tenait les renes du cheval, tandis qu’a l’arriere, etait assis un petit homme pale, l’air adipeux, vetu d’un costume gris, avec des chaussettes roses et des chevilles blanches visibles au-dessus de ses souliers marron. La jeune fille l’avait-elle vue, lui avait-elle retourne son regard ?

Elle a oublie de le mentionner a Bobby.

Leurs visites les plus frequentes arrivent avec les reves de l’aube, meme si une fois, une espece de lutin souriant s’annonca en martelant avec insistance la lourde porte de chene pour reclamer, lorsqu’elle courut ouvrir, « cette petite merde de Newmark ». Bobby presenta l’individu sous le nom du Finnois et parut enchante de le voir. La veste en tweed decrepite de la creature exsudait une odeur complexe de fumee rance, de soudure refroidie, et de hareng saur. Bobby expliqua que le Finnois etait toujours le bienvenu.

— Vaut mieux, de toute facon. Pas moyen de le laisser a la porte, une fois qu’il a decide d’entrer.

3Jane vient egalement, parmi les visiteurs de l’aube, triste et timide. Bobby semble a peine conscient de sa presence mais Angie, depositaire de tant de ses souvenirs, vibre en harmonie a ce melange particulier d’envie, de jalousie, de frustration et de rage. Angie en est venue a comprendre les motivations de 3Jane, et a lui pardonner – bien qu’elle se demande, alors qu’elle se promene en plein jour a l’ombre des chenes, ce qu’il reste a pardonner, au juste.

Mais les reves de 3Jane lassent parfois Angie ; elle en prefere d’autres, en particulier ceux de sa jeune protegee. Ils viennent souvent quand se gonflent les voilages de dentelle, au premier chant des oiseaux. Alors, elle se roule plus pres de Bobby, ferme les yeux, prononce mentalement le nom du Script et attend que se forment les petites images brillantes.

Elle voit qu’ils ont emmene la fille dans une clinique, a la Jamaique, afin de la desintoxiquer de son assuetude aux stimulants. Une fois son metabolisme parfaitement regle par une armee patiente de toubibs du Reseau, elle en sort enfin, rayonnante de sante. Son corpus de sensations module expertement par Piper Hill, elle voit ses premieres stims accueillies avec un enthousiasme sans precedent. Tout le public est fascine par sa fraicheur, sa vigueur, la maniere delicieusement ingenue qu’elle a, semble-t-il, de decouvrir sa vie brillante comme si c’etait la premiere fois.

Une ombre traverse parfois l’ecran, au loin, mais cela ne dure qu’un instant : Robin Lanier a ete decouvert etrangle, gele, sur la facade a flanc de montagne du New Suzuki Envoy ; Angie et le Script savent l’un comme l’autre a qui appartiennent les mains longues et puissantes qui ont etrangle la star puis jete la son cadavre.

Mais un detail encore lui echappe, un fragment bien particulier du puzzle qui compose l’histoire.

A la lisiere de l’ombre des chenes, sous un crepuscule acier et saumon, dans cette France qui n’est pas la France, elle pose a Bobby son ultime question.

Ils ont attendu dans l’allee jusqu’a minuit, parce que Bobby lui avait promis une reponse.

Alors que les pendules de la maison sonnaient douze coups, elle entendit un crissement de pneus sur le gravier. La voiture etait longue, basse et grise.

Son chauffeur etait le Finnois.

Bobby ouvrit la porte et l’aida a monter.

Sur la banquette arriere etait assis le jeune homme dont elle gardait le souvenir apres avoir entrevu ce cheval impossible avec ses trois cavaliers depareilles. Il lui sourit mais ne dit rien.

— Voici Colin, dit Bobby en montant a cote d’elle. Et vous connaissez deja le Finnois.

— Elle s’est jamais doutee, hein ? dit le Finnois en embrayant.

— Non, dit Bobby. Je ne crois pas.

Le jeune homme appele Colin lui souriait aussi.

— L’aleph est une approximation de la matrice, expliqua-t-il, une sorte de modele de cyberspace…

— Oui, je sais. (Elle se tourna vers Bobby.) Eh bien ? Vous avez promis que vous me diriez le pourquoi du Jour du Changement.

Le Finnois se mit a rire, un bruit bien etrange.

— S’agit moins d’un pourquoi que d’un comment, ma p’tite dame. V’vous rappelez la fois ou Brigitte vous a dit qu’il y avait cet autre ? Ouais ? Eh bien, voila le comment, et ce comment est le pourquoi.

— Je me rappelle, effectivement. Elle a dit que quand la matrice finirait par se reconnaitre elle-meme, alors apparaitrait l’« autre »…

— Et telle est notre destination ce soir, commenca Bobby en l’entourant de son bras. Ce n’est pas loin mais c’est…

— Different, dit pour lui le Finnois. Vraiment different.

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