Erg Noor ouvrit le coffre-fort du journal de la Tantra et sortit la boite qui contenait le metal de l’astronef discoide
echoue sur la planete noire. Le morceau massif, d’un bleu celeste, reposait lourdement au creux de la main. Erg Noor, qui comptait faire analyser l’echantillon dans les vastes laboratoires de la Terre, savait d’avance que ce metal n’existait ni sur les planetes du systeme solaire, ni sur les etoiles voisines. Or, tout l’univers se composait des memes corps simples, systematises depuis tres longtemps par le tableau de Mendeleev. Cela contredisait la decouverte de ce nouvel element. Mais au cours de la formation — naturelle ou artificielle — des elements, peuvent apparaitre d’innombrables varietes, dites isotopes, qui different sensiblement par leurs proprietes physiques. En outre, les proprietes sont tres modifiees par la recristallisation orientee. Le fragment d’astronef des mondes lointains, Erg Noor en etait sur, pouvait etre un metal connu sur la Terre, mais d’une structure atomique entierement transformee ... Voila un autre renseignement essentiel, le plus important peut-etre apres la nouvelle de la catastrophe de Zirda, qu’ils fourniraient a la Terre et a l’Anneau.
L’etoile de fer etant tres proche de la Terre, la visite de la planete noire par une expedition preparee a cet effet, compte tenu de l’experience de la
Erg Noor evoquait les evenements fatals du dernier jour : Niza, etendue sur lui pour le proteger contre le monstre agressif ... Il n’avait pas fleuri longtemps, son jeune amour qui alliait le devouement heroique des femmes d’autrefois au courage sagace des temps modernes ...
Pour Hiss surgit sans bruit, pour relever le chef a son poste. Erg Noor passa dans la bibliothequelaboratoire, mais, au lieu d’enfiler le corridor du compartiment centrai qui conduisait aux chambres a coucher, il ouvrit la lourde porte de l’infirmerie.
Une lumiere tamisee, imitant celle du jouir terrestre, scintillait sur les armoires en silicolle pleines de fioles et d’instruments, sur le metal de l’installation de radiotherapie, des appareils de circulation sanguine et de respiration artificielle. Erg Noor ecarta un rideau epais qui tombait du plafond et penetra dans la penombre. Une faible lueur, pareille au clair de lune, prenait des tons chauds dans la transparence doree de la silicolle. Deux stimuilants tiratroniques, branches pour le cas d’un collapsus subit, entretenaient les battements du c?ur de la jeune fille paralysee. Dans la clarte rose de la cloche, Niza semblait dormir d’un sommeil tranquille. Cent generations d’ancetres sains, purs et robustes avaient faconne avec une perfection artistique les lignes souples et vigoureuses de ce corps de femme, chef-d’?uvre de la vie terrestre.
Tout ce qui existe se meut et evolue en spirale ... Erg Noor imaginait cette immense courbe ascendante, appliquee a la vie et a la societe humaines. Il voyait enfin, en toute nettete, que plus les conditions de vie et d’activite des organismes, en tant que machines biologiques, sont difficiles, plus l’evolution de la societe est ardue et plus la spirale ascendante est serree, donc plus le processus est lent et plus les formes sont ressemblantes. Or, d’apres les lois de la dialectique, moins la montee est sensible, plus le resultat est durable ...
Il avait eu tort de courir apres les merveilleuses planetes des Soleils bleus, et il avait fourvoye Niza ! Le vol vers les mondes nouveaux ne devait pas avoir pour but la decouverte de planetes inhabitees, nees par hasard, spontanement ; non, il fallait que ce fut une avance raisonnee, systematique de l’humanite dans sa branche de la Galaxie, une marche triomphale du savoir et de la beaute de la vie ... d’une beaute comme Niza ...
Accable de douleur, Erg Noor s’agenouilla devant le sarcophage en silicolle de l’astronavigatrice. Le souffle de la jeune fille etait imperceptible, les cils des paupieres fermees se prolongeaient d’une frange d’ombres violettes, la blancheur des dents brillait entre les levres entrouvertes. Des taches livides, traces du courant nocif, marquaient l’epaule gauche, le bras et la naissance du cou.
— Est-ce que tu vois quelque chose a travers ton sommeil ? demandait Erg Noor dans un acces de desespoir qui ramollissait sa volonte et lui serrait la gorge. Il pressa a les bleuir ses doigts entrelaces, dans le desir fou de transmettre a Niza ses pensees, son appel ardent a la. vie, au bonheur. Mais la jeune fille aux cheveux roux restait immobile, comme une statue de marbre rose reproduisant a la perfection le modele ...
Louma Lasvi, le medecin, entra doucement et devina une presence dans le local silencieux. Ecartant avec precaution le rideau, elle vit le chef agenouille, tel un monument aux millions d’hommes qui pleurent leurs bien- aimees. Ce n’etait pas la premiere fois qu’elle le trouvait ici ; une vive pitie remua au fond de son ame. Erg Noor se releva, la mine sombre. Louma s’approcha en hate et chuchota :
— J’ai a vous parler.
Erg Noor approuva de la tete et, les yeux clignes, passa dans la premiere section de l’infirmerie. Il refusa la chaise que lui offrait Louma et resta debout, adosse au pied d’un ir-radiateur en forme de champignon. Elle, qui n’etait pas tres grande, se dressa de toute sa hauteur pour en imposer davantage durant l’entretien. Le regard du chef ne lui donna pas le temps de s’y preparer.
— Vous savez, dit-elle d’un ton mal assure, que la neurologie moderne a penetre le processus de formation des emotions a l’etat conscient et subconscient. Le subconscient cede a l’action que les remedes inhibitifs exercent par les regions anciennes du cerveau sur le reglage chimique de l’organisme, y compris le systeme nerveux et partiellement l’activite nerveuse superieure ...
Erg Noor haussa les sourcils. Louma Lasvi sentit que son expose etait trop long et trop detaille.
— Je veux dire que la medecine peut agir sur les centres cerebraux qui regissent les emotions violentes. Je pourrais ...
Erg Noor avait compris, a en juger d’apres l’eclat subit de ses yeux et son sourire fugitif.
— Vous me proposez d’agir sur mon amour, demanda-t-il rapidement, et de me delivrer ainsi de la souffrance ?
Elle inclina la tete, de crainte de chasser la douceur de la compassion par le schematisme inevitable des paroles.
Erg Noor lui tendit la main en signe de reconnaissance et secoua la tete.
— Je ne me departirai pas de la richesse de mes sentiments, si douloureux qu’ils soient. La douleur, pour peu qu’elle soit tolerable, conduit a la comprehension, la comprehension a l’amour, tel est le cycle. Merci, Louma, vous etes bonne, mais je ne veux pas !
Et il s’en alla, impetueux comme toujours.
Aussi presses qu’en cas d’avarie, ingenieurs electroniciens et mecaniciens reinstallaient au poste central et a la bibliotheque, comme treize ans plus tot, l’ecran du videophone des transmissions terrestres. L’astronef etait entre dans la zone ou on pouvait capter les ondes radio du reseau universel de la Terre, diffusees par