essuya son visage en sueur, et regarda l'heure. Quatre heures moins dix. Un pale soleil dessinait son ombre sur le gravier.

Il ne s'etait pas trompe. Il etait bien devant la maison de l'homme a l'Austin. Les fenetres etaient toutes fermees. Il songea a la cuisine qui, la veille, lui avait si opportunement ouvert le passage. Il referma le coffre sans le faire claquer et contourna la maison. Cette fois, la porte de la cuisine etait close. Une main au-dessus des yeux, il essaya d'apercevoir, a travers les vitres, l'interieur de la piece. Personne. La poignee tourna et la porte s'ouvrit.

Il y avait des assiettes sales sur la table, une bouteille de vin a moitie vide, et, dans un coin, sortant a demi d'une poubelle, des pansements ensanglantes. M. Skinner etait la!

Moment d'emotion et d'orgueil! Francois avait raisonne juste, ce qui prouvait, helas, que Miss Mary etait coupable. Il se demanda s'il devait s'echapper pour prevenir l'inspecteur Morrisson. Mais il fallait etre sur… Ces pansements, a la reflexion, ne prouvaient rien. L'homme roux avait peut-etre ete blesse, dans l'accrochage avec le camion? C'etait peut-etre lui que Miss Mary venait soigner?

Francois traversa la cuisine comme une ombre et, se plantant au milieu du vestibule, ecouta. On parlait, au premier etage. Ce fut plus fort que lui. C'etait un demon qui le poussait. Empoignant la rampe, pesant sur elle pour s'alleger et ne pas faire grincer les marches, il gravit lentement l'escalier. Les voix etaient plus nettes et l'on reconnaissait facilement celle de la jeune femme. Francois atteignit le couloir qui desservait les chambres. Le bruit venait de la premiere piece a droite. En deux enjambees, Francois fut devant la porte et se baissa pour regarder par le trou de la serrure. Par chance, la clef avait ete enlevee. Il vit un lit et, dans le lit, M. Skinner, immobile, les yeux clos. Etait-il mort? Non, sans doute. On n'aurait pas parle si librement devant un cadavre. Il devait simplement dormir, epuise. Peut-etre l'avait-on torture? Impossible. Miss Mary ne l'aurait pas tolere. Ne pas oublier que M. Skinner etait son fiance! Une ombre passa dans le champ de vision de Francois; une epaule, une jambe se dessinerent, une silhouette s'approcha du lit: l'homme roux. Il se pencha vers le blesse et se retourna en secouant la tete. Miss Mary apparut a son tour. Elle expliquait quelque chose, que Francois n'entendit pas; en meme temps, elle faisait des gestes tranchants de la main. Ce n'etait plus le moment d'hesiter. Il fallait intervenir, et le plus vite possible!

Francois se rappela qu'il avait vu, la veille, un telephone, dans la piece du rez-de-chaussee qui ressemblait a un bureau. Marchant a reculons, il se replia silencieusement vers l'escalier, qu'il descendit avec une lenteur extreme, comme s'il portait de la dynamite. La-haut, le bruit de voix avait repris, et puis il y eut un gemissement de souffrance. Le malheureux M. Skinner avait du revenir a lui. Peut-etre resistait-il a ses bourreaux.

Francois, risquant le tout pour le tout, traversa rapidement le vestibule et penetra dans le bureau dont il ferma soigneusement la porte. Il etait dans la nasse. Si quelqu'un survenait; il etait perdu. Il savait qu'au moment ou il allait soulever le combine, la sonnette emettrait un tintement, bref, mais peut-etre perceptible du premier etage. Il tendit la main vers le telephone… et la ramena vers lui. Il avait peur. Jusqu'a present, il s'etait comporte avec decision et audace. Maintenant, il flanchait. Sans doute etait-il trop jeune pour mener jusqu'a son terme une action d'homme!

Il approcha son visage de la pastille blanche situee au centre de la couronne mobile. Le numero de la police etait inscrit la: Emergency 9.9.9. Alors, d'un geste precis, il souleva le combine, et la sonnette, comme surprise par la rapidite de son mouvement, fit entendre un seul coup, comme une horloge annoncant la demie. Le bruit n'avait certainement pas porte bien loin. Francois forma le numero; il tournait le dos a la porte et serrait l'appareil contre sa poitrine, pour etouffer au maximum le minuscule cliquetement de crecelle de la couronne revenant en arriere, apres chaque sollicitation du doigt. Et soudain la voix de quelque fonctionnaire de service lui eclata dans l'oreille.

— Allo… J'ecoute.

Francois n'avait pas eu le temps de preparer ses phrases et il se mit a bafouiller, a voix basse.

— Parlez plus fort, ordonna la voix bourrue.

Cette fois, on allait l'entendre. Ce n'etait plus qu'une affaire de secondes.

— Je viens de decouvrir l'endroit ou l'on a conduit M. Skinner.

— Quoi?

— M. Jonathan Skinner, qui a ete enleve la nuit derniere, de l'hopital.

— Quel hopital?

On le faisait expres! On voulait sa mort!

— Je ne sais pas. C'est l'inspecteur Morrisson qui est charge de l'enquete. Qu'on le previenne tout de suite…

— Ou etes-vous?

— Je ne sais pas.

La-bas, on se montrait tres patient mais egalement tres sceptique.

— Comment? Vous ne savez pas ou vous etes?… Mais d'abord qui etes-vous?

— Peu importe qui je suis. Malgre lui, Francois elevait la voix.

— Je vous repete que M. Skinner est en danger… Alors, je vous en prie: tachez de savoir d'ou vient cet appel…, surement de banlieue… C'est grave!.. Il faut immediatement prevenir l'inspecteur Morrisson… Je repete…

Derriere lui, la porte s'ouvrit. Francois fit front. Il s'attendait a voir l'homme roux. C'etait Miss Mary qui se tenait sur le seuil.

— Vous! dit-elle.

Francois, qui tenait toujours l'appareil, entendait, venant de tres loin, la voix qui representait le salut… «Allo… Allo…» Miss Mary traversa le bureau, lui enleva des mains le combine, qu'elle replaca sur sa fourche. Elle regardait Francois avec une sorte de stupeur, comme si, maintenant, elle decouvrait en lui un personnage nouveau, qu'il fallait traiter en egal.

— Qui appeliez-vous? demanda-t-elle.

— La police.

Et, bluffant, pour essayer de reprendre l'avantage, il ajouta:

«Elle arrive.»

Il y avait, pres de la fenetre, un fauteuil d'osier. Miss Mary s'y assit lourdement. Elle etait pale. Un cerne mauve dessinait ses orbites.

— Comment etes-vous venu ici? dit-elle.

— Dans le coffre de votre voiture.

— Vous me soupconniez?

— Oui. Je vous ai vue, l'autre nuit, dans le jardin.

— La mallette?… Hier, c'est vous qui l'avez reprise?

— Oui.

— Ou est-elle?

— Elle est cachee.

Machinalement, elle faisait tourner autour de son doigt sa bague de fiancailles. Elle paraissait si desemparee, si malheureuse, que Francois sentit qu'il n'avait plus rien a craindre. On ne tenterait rien contre lui, parce qu'il possedait cette mysterieuse mallette, a l'etrange contenu.

— Francois, murmura Miss Mary, je crois qu'il vaut mieux, pour vous comme pour moi, que vous rentriez a Paris.

— Mais…, vous n'etes pas sa complice! s'ecria-t-il, impetueusement.

— Je ne peux pas parler. Je n'en ai pas le droit.

— Pourquoi a-t-on enleve M. Skinner, la veille de son operation?

— N'insistez pas.

L'ancienne Miss Mary reparaissait, apres une courte defaillance, decidee, autoritaire. Elle se leva et se dirigea vers la porte.

— Venez!.. Allez m'attendre dans la voiture.

— Mais… l'homme… la-haut?… Est-ce que ce n'est pas dangereux de…

La jeune femme repeta: «dangereux?», d'un air incredule.

— Il va lui faire du mal.

— C'est vous, Francois, qui nous faites du mal. Je sais! Avec les meilleures intentions du monde. Venez

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