Le ciel s’ouvre a ce chant comme une oreille immense.
Le soir vient; et le globe a son tour s’eblouit,
Devient un ?il enorme et regarde la nuit;
Il savoure, eperdu, l’immensite sacree,
La contemplation du splendide empyree,
Les nuages de crepe et d’argent, le zenith,
Qui, formidable, brille et flamboie et benit,
Les constellations, ces hydres etoilees,
Les effluves du sombre et du profond, melees
A vos effusions, astres de diamant,
Et toute l’ombre avec tout le rayonnement!
L’infini tout entier d’extase se souleve?
Et, pendant ce temps-la, Satan, l’envieux, reve.
La Terrasse, avril 1840.
V. A Andre Chenier
Oui, mon vers croit pouvoir, sans se mesallier,
Prendre a la prose un peu de son air familier.
Andre, c’est vrai, je ris quelquefois sur la lyre.
Voici pourquoi. Tout jeune encor, tachant de lire
Dans le livre effrayant des forets et des eaux,
J’habitais un parc sombre ou jasaient des oiseaux,
Ou des pleurs souriaient dans l’?il bleu des pervenches;
Un jour que je songeais seul au milieu des branches,
Un bouvreuil qui faisait le feuilleton du bois
M’a dit: «Il faut marcher a terre quelquefois.
«La nature est un peu moqueuse autour des hommes;
«O poete, tes chants, ou ce qu’ainsi tu nommes,
«Lui ressembleraient mieux si tu les degonflais.
«Les bois ont des soupirs, mais ils ont des sifflets.
«L’azur luit, quand parfois la gaite le dechire;
«L’Olympe reste grand en eclatant de rire;
«Ne crois pas que l’esprit du poete descend
«Lorsque entre deux grands vers un mot passe en dansant.
«Ce n’est pas un pleureur que le vent en demence;
«Le flot profond n’est pas un chanteur de romance;
«Et la nature, au fond des siecles et des nuits,
«Accouplant Rabelais a Dante plein d’ennuis,
«Et l’Ugolin sinistre au Grandgousier difforme,
«Pres de l’immense deuil montre le rire enorme.»
Les Roches, juillet 1830.
VI. La vie aux champs
Le soir, a la campagne, on sort, on se promene,
Le pauvre dans son champ, le riche en son domaine;
Moi, je vais devant moi: le poete en tout lieu
Se sent chez lui, sentant qu’il est partout chez Dieu.
Je vais volontiers seul. Je medite ou j’ecoute.
Pourtant, si quelqu’un veut m’accompagner en route,
J’accepte. Chacun a quelque chose en l’esprit;
Et tout homme est un livre ou Dieu lui-meme ecrit.
Chaque fois qu’en mes mains un de ces livres tombe,
Volume ou vit une ame et que scelle la tombe,
J’y lis.
Chaque soir donc, je m’en vais, j’ai conge,
Je sors. J’entre en passant chez des amis que j’ai.
On prend le frais, au fond du jardin, en famille.
Le serein mouille un peu les bancs sous la charmille;
N’importe: je m’assieds, et je ne sais pourquoi
Tous les petits enfants viennent autour de moi.
Des que je suis assis, les voila tous qui viennent.
C’est qu’ils savent que j’ai leurs gouts; ils se souviennent
Que j’aime comme eux l’air, les fleurs, les papillons
Et les betes qu’on voit courir dans les sillons.
Ils savent que je suis un homme qui les aime,
Un etre aupres duquel on peut jouer, et meme
Crier, faire du bruit, parler a haute voix;
Que je riais comme eux et plus qu’eux autrefois.
Et aujourd’hui, sitot qu’a leurs ebats j’assiste,
Je leur souris encor, bien que je sois plus triste;
Ils disent, doux amis, que je ne sais jamais
Me facher; qu’on s’amuse avec moi; que je fais
Des choses en carton, des dessins a la plume;
Que je raconte, a l’heure ou la lampe s’allume,
Oh! des contes charmants qui vous font peur la nuit;
Et qu’enfin je suis doux, pas fier et fort instruit.
Aussi, des qu’on m’a vu: «Le voila!» tous accourent.
Ils quittent jeux, cerceaux et balles; ils m’entourent
Avec leurs beaux grands yeux d’enfants, sans peur, sans fiel,
Qui semblent toujours bleus, tant on y voit le ciel!
Les petits – quand on est petit, on est tres brave -
Grimpent sur mes genoux; les grands ont un air grave;
Ils m’apportent des nids de merles qu’ils ont pris,
Des albums, des crayons qui viennent de Paris;
On me consulte, on a cent choses a me dire,
On parle, on cause, on rit surtout; – j’aime le rire,
Non le rire ironique aux sarcasmes moqueurs,
Mais le doux rire honnete ouvrant bouches et c?urs,
Qui montre en meme temps des ames et des perles.
J’admire les crayons, l’album, les nids de merles;
Et quelquefois on dit quand j’ai bien admire:
«Il est du meme avis que monsieur le cure.»
Puis, lorsqu’ils ont jase tous ensemble a leur aise,