il me dit. Le bateau dansait que c’en etait un plaisir, tu tenais a peine debout, et ca n’avait aucun sens de debloquer ces roulettes.
« Si tu as confiance en moi, enleve-les. »
Il est fou ce type, j’ai pense. Et je les ai enlevees.
« Maintenant viens t’asseoir ici », me dit alors Novecento.
Je ne comprenais pas ce qu’il voulait faire, vraiment je n’y comprenais rien. J’etais la, a tenir ce piano qui commencait a glisser comme un enorme savon noir... C’etait une situation de merde, je vous jure, dans la tempete jusqu’au cou et avec ce dingue, en plus, assis sur son tabouret – autre fichu savon – et ses mains, immobiles, sur le clavier.
« Si tu ne t’assieds pas maintenant, tu ne t’assieras jamais », dit le dingue en souriant.
— Et maintenant, n’aie pas peur. »
Et il commenca a jouer.
A present, personne n’est oblige de le croire, et pour etre exact, je n’y croirais pas moi-meme si on me le racontait, mais la verite vraie c’est que ce piano commenca a glisser, sur le parquet de la salle de bal, et nous derriere lui, avec Novecento qui jouait, sans detacher son regard des touches, il avait l’air ailleurs, et le piano suivait les vagues, il s’en allait d’un cote, revenait de l’autre, puis tournait sur lui-meme, et filait droit sur les baies vitrees, puis, a un cheveu de la vitre, il s’arretait et recommencait a glisser doucement dans l’autre sens, je veux dire, c’etait comme si l’Ocean le bercait, et nous avec, moi j’y comprenais rien, et Novecento, lui, il jouait, il continuait a jouer, et c’etait clair que ce piano, il se contentait pas de
Novecento m’expliqua qu’il fallait encore le perfectionner, ce truc. Et je lui repondis qu’en fait il s’agissait seulement d’enregistrer les freins. Quand la tempete fut terminee, le commandant nous dit
Et c’est la, cette nuit-la, dans la salle des machines, que Novecento et moi on est devenus amis. A la vie a la mort. Pour toujours. Notre temps passa a calculer ce que ca pouvait faire en dollars, tout ce qu’on avait casse. Et plus ca chiffrait, plus on riait. Quand j’y repense, je crois bien que c’etait ca, etre heureux. Ou ca y ressemblait.
Ce fut cette nuit-la que je lui demandai si elle etait vraie, cette histoire, l’histoire de lui et du bateau, qu’il etait ne dessus, quoi, et tout le reste... si c’etait vrai qu’il n’etait jamais descendu. Et il me repondit : « Oui.
Il etait tres serieux.