Ses affaires ? Enormes ! Le soleil ne se couchait jamais sur son compte en banque. Roi du ble, certes. Et de bien d'autres choses aussi.

D'etranges gens frequentaient cette maison. Des mecs venus d'un peu partout et d'ailleurs, aux physionomies souvent peu credibles. Le pere David devait se goinfrer a des tas de rateliers.

Son comportement affectif ? Il adorait sa fille unique bien qu'il l'eut tenue eloignee dans des pensions couteuses. Ne savait rien lui refuser. Il etait separe de la mere Dolores, mais elle s'abattait parfois sur la residence ou il lui arrivait de passer plusieurs jours avec son pommadin et son decouille. Periodes de cauchemar pour le personnel.

Sa conviction profonde, a l'ami Sancha, c'est qu'ils avaient un cadavre dans le placard, son epoux et elle. Un de ces secrets pestilentiels qui unissent deux etres a jamais.

Miss Pamela ? Plutot sympa ; d'une nature farouche. De toute evidence, elle detestait cette demeure, y venait le moins possible, paraissait ne pas faire cas des garcons. Par contre, le gros Sancha suppose qu'elle allait a la broute avec sa copine Elnora. Elles avaient une facon de s'embrasser a pleine bouche qui laissait peu de doute sur la nature de leurs relations. L'intendant croyait dur comme fer que les deux filles etaient en menage.

Mais l'etre qu'il abhorrait entre tous c'etait Los Hamouel, le collaborateur de Grey. Son ame damnee (plus damnee qu'ame, precise-t-il). L'ordure faite homme ! Capable de tout et du pire !

Panco l'a vu battre un chien a mort parce qu'il l'avait mordu au talon. Il frappait les femmes de service ou dechargeait sur leurs vetements, entre deux portes. Il ecumait les fournisseurs, se faisant donner des bakchiches, sous peine de leur retirer la clientele de Grey. Son patron ne pouvait ignorer de telles pratiques. Si le vieux fermait les yeux, c'etait parce que le vilain le « tenait ». L'intendant avait vite compris que, pour conserver sa place, il devait composer avec lui.

A present, tout ce joli monde etait aneanti. Certes, il lui fallait chercher une autre situation, mais ce qu'il perdrait en revenus, il le compenserait en tranquillite d'esprit.

En l'ecoutant, je songeais que cette citadelle a la gomme ressemblait a un nid de frelons, prets a fondre sur l'intrus qui en troublerait les magouilles. Tu parles d'un repaire, Prosper !

De tout ca, nous discutons, l'acoolo-au-bras-naze et moi. Il est joyce d'avoir degauchi un terlocuteur de qualite (t'inquiete pas : je prends des medicaments contre les acces de vanite purulente). Comme nous voila, on va jacter la nuit complete, c'est couru.

J'essaie d'apprendre la nature des affaires marginalo-grenouilleuses auxquelles David consacrait une partie de ses activites. Le MexicanoRicain pense qu'il s'agit de blanchiment d'osier, et de came en provenance du Venezuela. Sachant que les gens peu curieux vivent plus longtemps que les autres, il ne voulait pas en connaitre davantage.

Je le branche sur l'enlevement de la Dolores pendant le diner, opere par de faux policiers. La, il entrevoit une lueur, le biberonneur. D'apres lui, les individus bizarres qui frequentaient cette maison, apprenant la mort tragique de Grey, se sont assures de sa rombiasse afin de pouvoir poursuivre leurs combines avec l'heritiere. Mais c'est une simple suggestion de sa part.

J'extrais de ma pocket le porte-bremes ravisse au chauffeur de la Cadillac. J'y degauchis des pieces identitaires au nom d'Adamo Corvado, sujet bresilien, demeurant 1024 Texas Street a Miami.

Interessant, de posseder le nom et l'adresse de l'un des foies-blancs ravisseurs de Memere. Je demande a l'intendant s'il connait ce monsieur au facies aussi avenant que celui d'un crotale auquel on vide la glande venimeuse.

Il regarde la binette du defunt et se rappelle l'avoir vu a plusieurs reprises au domaine, mais en qualite de subalterne (tres terne) : chauffeur, bagagiste. Un de ces hommes qui marchent toujours sans jamais avancer, dirait le plus beau pair de burnes de la litterature besanconnaise.

— Qui escortait-il ? insiste-je.

Mon camarade de blabla reflechit.

— Le croque-mort.

— Pardon ?

— J'ai donne ce surnom a un homme qui vient ici de temps a autre. En fait, il ressemble davantage a un cadavre qu'a ceux qui les enterrent. Imaginez un long bonhomme maigre comme un cent de clous, aux cheveux blond terne, presque blancs aux tempes. Il a la figure allongee, le nez qui n'en finit pas et lui pend jusqu'aux levres, pareil a une vieille bite inutile.

— Belle description, apprecie-je en connaisseur. Vous savez le nom de ce singulier personnage ?

— Il se fait appeler Mr Smith, mais je suppose qu'il s'agit d'un faux nom.

— Il etait accompagne ?

— Oui, d'une femme.

— De quoi avait-elle l'air ?

— D'une religeuse anglicane. Toujours habillee de noir et coiffee d'un chapeau dont une negresse ne voudrait pas pour faire le marche. Pas fardee, les yeux comme ceux d'un mannequin de grand magasin, en plus eteints, si vous voyez ?

— Je vois. Que faisaient-ils ?

— Ils s'enfermaient dans le bureau du vieux. Los Hamouel participait souvent aux discussions.

— Quel genre de voitures utilisaient-ils ?

— Des bagnoles de maitre, mais vous dire leur marque… Je ne pretais pas grande attention a ce detail.

Nous nous taisons soudain, l'air devenant irrespirable because les louffes a repetition de Beru.

— Voulez-vous que nous passions dans le salon d'ete ? propose l'unibrassiste.

Je lui suis reconnaissant de cette suggestion. Nous evacuons la piece pour aller respirer les « dames de la nuit » qui s'evertuent dans l'ombre.

Une vasque ou l'eau glouloute ingenument, sollicite nos vessies. La nuit est douce et frele. Je repense a ma petite Antoinette. Quelle heure est-il chez nous ? M'egare en calculs. En tout cas, il fait grand jour de l'autre cote de la mare aux harengs.

— Pourrais-je telephoner a Paris ? requete-je a brule-pourpoint ?

Aux States, cette question ne trouble personne.

— Naturellement, repond Sancha Panco. Prenez le poste du bar, a moins que ce soit confidentiel ?

- Ca n'a rien de confidentiel, dis-je, c'est seulement intime.

Je vais au comptoir de faux bambous en bronze qui se decoupe dans le clair de lune (et non dans la lune de Claire, comme d'aucuns voudraient me faire dire, tu penses bien !).

Le biniou, luxe raffine, est fluo. Je pianote les touches molles, le c?ur battant. Des trucs se mettent a s'enclencher dans l'ether. J'attends. La divine sonnerie de « chez nous » tarde a naitre. Ai-je compose trop rapidement le numero ?

Enfin un bruit repete : « Tchlaof ! Tchlaof ! Tchlaof ! ».

Mais pas dans le combine !

Derriere moi.

Je volte.

N'ai-je pas deja pige ?

Sancha Panco vient d'avoir la bouille fracassee par trois dragees grosses comme ton petit doigt. Elles ont ete tirees a bord d'un tromblon de poche muni du classique silencieux. Une quetsche dans chaque ?il : genant pour lire le menu au restaurant. La troisieme au beau milieu du front. Signe maconnique cher a certains miens amis allant a la messe avec un tablier…

Je raccroche a la seconde ou la voix de Felicie dit :

— Allo, j'ecoute ?

Moi, a cet instant, c'est mon courage que j'ecoute.

Fonce vers l'intendant.

Ses lotos creves semblent me regarder encore.

Vais pour franchir la haie de buis taillee de maniere a decrire des arabesques. M'arrete en constatant que le gros manchoteur lui tourne le dos.

Et que, par consequent, les balles ne proviennent pas du parc, mais de la maison !

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