21

Parvenu a ce point culminant de mon prodigieux recit, tu as envie de me crier : « Arrete ton char, Ben Hur, sinon tu vas sortir de l'ecran ! »

Je sais bien que le drame pleut dru ; mais qu'y puis-je-t-il ? Fallait pas m'accompagner aux States, si tu es une petite nature, Lanlure. C'est un pays de sang ou le port d'arme est libre. Depuis l'enfance, ces tordus ont la detente dans les doigts. En France, on tire des coups de bite ; chez eux, ce sont des coups de feu. Ils n'ont pas la parole facile, mais savent faire parler la poudre. Chacun son mode d'expression.

Je me place derriere l'intendant afin de situer l'endroit d'ou on l'a praline. Facile. Il s'est fait machurer le cigare depuis une tour d'angle qui ajoute a l'incoherence de la construction. Ladite est percee d'une meurtriere et le canardeur a pu se regaler en toute tranquillite.

Des lors, je fonce reveiller mes deux etres auxiliaires (un grammairien inverserait les mots) en les priant de me preter main-forte. Ordre de sortir des toiles tous les habitants de la demeure afin de leur renifler les doigts.

Tu ne l'ignores pas, Bezuquet, depuis que tu as lu ton premier Agaga Christie : quand on vient de defourailler, il subsiste des molecules de poudre sur les doigts.

Beru prend l'aile gauche, Jeremie la droite, et ma pomme se reserve la partie centrale.

Etranges investigations nocturnes.

Nous toquons a chaque porte. Un individu (male ou femelle) vient delourder avec plus ou moins de retard. Nous balbutions une breve excuse, saisissons ses pattounes et les flairons. Certains sentent le cul, d'autres le con, voire les pieds, ce qui est paradoxal pour des mains. Mais la poudre, que nenni !

Arraches a leur sommeil, les renifles ne reagissent pas, l'hebetude l'emportant. Seulement ils recuperent et nous interrogent sur les raisons de notre comportement.

— Il vient d'y avoir un meurtre, repondons-nous, ce qui leur stoppe le caquet.

Au bout de ce controle, nous avons fait chou rouge[8].

Je vais consulter les gardes de nuit, lesquels somnolent dans la guitoune leur etant destinee pres de l'entree. Leur demande s'ils ont delourde a quelqu'un, depuis notre retour. M'assurent que non.

Inlassable, je vais dans la tour. Curieux que l'ouverture par laquelle l'on a composte Sancha Panco s'appelle une meurtriere !

L'endroit pue la poudre. Me fous a l'equerre pour chercher d'eventuelles traces. Bien m'en biche, puisque je decouvre un peu plus bas la douille d'une bastos. A examiner avec le plus grand soin.

In the pocket ! comme disait ce kangourou venant de trouver une boite de preservatifs.

Je continue de gravir l'escalier du donjon. Trois niveaux en tout. M'attends a deboucher dans un quelconque grenier.

Va te faire mettre, je me pointe dans un stand de tir ultraperfectionne et insonorise. Cibles classiques de carton numerotees, cibles mouvantes sur deroulant, cibles reproduisant l'humain dans differentes positions. Des armes sont accrochees a des rateliers : carabines, revolvers, pistolets, pistolets-mitrailleurs.

Illico, des fragrances de poudre me titillent les naseaux. Je me dirige droit sur l'arsenal. Ne mets pas longtemps a degauchir l'objet du delit. Il est encore tiede. Un feu superbe, de fabrication ritale.

Je sors d'une fouille mon petit necessaire a prendre les empreintes de « gitane » cheres a Beru. Si j'en deniche, elles ne signifieront pas grand-chose car beaucoup de gens se sont probablement exerces avec ce riboustin.

Cette rapide operation accomplie, je sors du stand par une porte opposee. Ladite donne sur une terrasse. Je la traverse sans tu sais quoi ? Oui : coup ferir !

Cet espace d'environ dix metres sur douze est entoure de fleurs en bacs. M'agine-toi que l'un des massifs se trouve place perpendiculairement au mur, au lieu de le longer comme les autres. Cette anomalie m'attire. La plate-bande fleurie meritait le detour, en effet. Con-an-juge : elle pivote, ce qui est rarissime pour un massif de fleurs.

Ce faisant, elle devoile un puits dans lequel s'enfonce une echelle de fer.

Tu sais ma temerite ?

Tu comprendras alors que je m'engage aussitot par l'ouverture.

* * *

Je ne compte pas les barreaux. En tout cas il y en a des chiees, voire un peu plus. Je me sens pousser des ampoules aux mains. Voyage au centre de la terre du brave Jules (bali) Verne.

Parvenu au bout de celui-ci, j'ai les cannes mollassonnes et les genoux qui font bravo.

Un souterrain se propose, je l'emprunte.

Pas du tout le cote terrier suintant. Non : plutot les couloirs du Metro en miniature. J'y deambule d'un bon pas, tendu comme la corde d'un arc ou comme la bite d'un violeur a la tire (un coup).

Qu'il est long le chemin conduisant au Ciel ! Duraille d'evaluer les distances dans un boyau qu'eclaire seule ma loupiote de gousset.

A force d'a force, j'arrive tout de meme au bout, a savoir au pied d'une deuxieme echelle.

De nouveau, je chique le petit ecureuil (qui se carre des glands dans le cul en prevision (ou provisions) de l'hiver.

Cette fois, je resurge tu veux savoir ou ?

Dans un confessionnal, mec. A la place qu'occupe le pretre pour entendre les turpitudes des penitents.

Me voici dans une petite chapelle batie en contrebas du domaine. La lampe rouge est allumee, arrachant tant bien queue male un autel fromagesque a la noye.

Je me dirige vers la porte.

Sors.

Je retrouve la nuit tiede, la brise, des senteurs aquatiques. Le lac est a deux pas, immense flaque d'argent sous la lune, ne puis-je me retenir de lyrismer.

Entre l'eau et la chapelle : la route.

C'est par la qu'est venu le meurtrier.

Par la qu'il est reparti.

Conclusion : il connait les lieux tres a fond.

22

1024, Texas Street, est situe dans la peripherie miamiesque. C'est un immeuble de beton pourvu d'escaliers exterieurs, aux larges vitres carrees garnies de stores a lamelles. Le bas de la construction est occupe par un cinema d'apparence defraichie dont les affiches concernent des films nettement culiers, a en juger par les photos sur lesquelles se tremoussent des frangines a loilpe, rousses echevelees pour la plupart. A l'arriere-plan, t'as des costauds vetus de cuir et munis de fouets redoutables.

Les degres de fer vibrent sous nos pas.

Apres avoir gravi deux etages, nous stoppons devant un huis metallique, ferme par un simple bec-de-cane chrome.

Je delourde sans difficulte et penetre dans un bref couloir nous offrant deux autres portes, en bois celles- la.

Personne ne repond ; je reitere a plusieurs reprises en augmentant l'intensite.

Que tchi !

— Voudrasses-tu que je demene de l'epaule ? propose Beru.

— A quoi bon ? objecte-je en sortant mon sesame.

Вы читаете Trempe ton pain dans la soupe
Добавить отзыв
ВСЕ ОТЗЫВЫ О КНИГЕ В ИЗБРАННОЕ

0

Вы можете отметить интересные вам фрагменты текста, которые будут доступны по уникальной ссылке в адресной строке браузера.

Отметить Добавить цитату
×