— M'sieur le commissaire, quequ'un vous attend dans votre bureau.

— Qui ca ?

— Un jeune homme qui voulait vous causer.

— Et tu l'as laisse monter ? irrite-je-me.

— Pas pu faire autrement.

— En quel honneur ?

— Il s'appelle pareil comme vous.

Breve gymnastique dans mon ciboulot. La lumiere jaillit.

— Antoine ?

— Affirmatif. Mon pere vous a servi, un jour c'est lui qui sera mon chef. Comprenez que je pouvais pas m'interposasser, question de solidarite filassiere.

— Dis-moi, Poilala, tes cours du soir, tu les as pris avec Berurier, non ?

— Vous avez reconnu le style, se rengorge-t-il.

— Un peu, mon neveu.

Il interprete cette marque de nepotisme comme un adoubement et se met a ruisseler de bonheur, surtout dans les secteurs qui ne se voient pas au premier rabord mais se reniflent tres vite.

J'ouvre la porte de ma turne a la volee. Il est bien la, mon grand fils, vautre dans mon fauteuil directorial, lunettes solaires relevees dans sa chevelure brune et drue, l'?il plus bleu qu'un muguet lorsqu'il ressemble a une pervenche, cigarillo au coin du bec, blouson de cuir craquele, t-shirt fripe, jean parfaitement delave, baskets triples semelles negligemment croisees sur ma table de travail. Avec mon costard Cerruti[5], j'ai d'un coup l'impression d'etre evade du paleolithique. Autres temps, autres modes. Il va falloir que je m'habitue.

Antoine se dresse d'un bond, ecrase son clope dans mon encrier et me claque le bout des doigts a la maniere des rappeurs. Puis il se penche en avant et vient deposer son front contre le mien.

— Papa ! J'avais hate que tu rentres…

— Je suis heureux de te retrouver, fils, souffle-je en le serrant tendrement contre moi.

Je tarde a lui poser la question qui me turlupine, par crainte de la reponse.

— Et alors, ce stage ? me decide-je enfin.

D'un geste theatral, Antoine balance une plaque de police fleur de coin sur le bureau.

— Lieutenant Antoine San-Antonio, police criminelle ! Je suis major de ma promo !

Te dire que je suis heureux de sa reussite chez les matuches, tu vas pas me croire. Tu sais ce que je pense du caractere ephemere des succes et de la precarite des laureats. Eh bien, t'as tort Nestor, un frisson de fierte me parcourt depuis les burettes jusqu'au cervelet. Ce mome cueilli comme une mauvaise plante et que j'ai eduque a la va comme je te pisse sans meme le voir grandir devient soudain l'objet de ma gloriole paternelle. Bravo San-Antonio ! Ca, c'est de la descendance !

Faut que tu reagisses, mec. N'oublie pas que la metamorphose d'un petit d'homme obeit aux memes lois que celles des papillons : larve, chrysalide et tchao pantin ! On n'y peut rien. Chez nos embryons la trajectoire est a peine plus sophistiquee : tendre f?tus, joli poupon, charmant bambin, etudiant, militaire, jeune con, travailleur, pere, chomeur, gros con, grand-pere, retraite, vieux con et puis ce papillon de l'ame qui s'evade un beau jour d'un caisson de bois. Pin, chene ou acajou… C'est a la couleur finale qu'on reconnait la richesse d'un homme ou la beaute d'un lepidoptere.

M'enfin, je ne suis pas la pour demoraliser mon rejeton et je brandis un pouce d'empereur romain decidant qu'il enfilera lui-meme le superbe gladiateur avec son propre pal.

— Ca s'arrose, mon fils ! Il me reste au frigo une bouteille d'yquem 76 qui n'attendait que cette occasion pour se laisser depuceler.

Antoine calme mon enthousiasme d'un geste de la main.

— C'est un peu tot pour faire peter les bouchons, papa.

A la lueur d'inquietude traversant son regard, je pressens qu'il a du pas banal a m'annoncer.

— Tu as un probleme ?

Il me designe la chaise ordinairement devolue aux prevenus.

— Assieds-toi.

Obeissant a l'injonction, le guignol taraude par une sourde angoisse, je depose mon ecrin a roustons sur la moleskine.

— Je t'ecoute.

Antoine — il tient au moins ca de moi — n'est pas du genre a tourner deux plombes autour du pot avant de deposer sa bouse.

— Tu as entendu parler du meurtre de la rave-party, avant-hier soir, en Beauce ?

— Oui, j'ai lu ca dans le train. Un abominable assassinat.

— Il faudrait que tu t'occupes de cette affaire, papa.

Je ne te cacherai pas que je me sens un chouia soulage. Je redoutais un drame du genre : Felicie a fait une attaque ou le toubib lui a decouvert une vilenie. Parce que, forcement, ca arrivera un jour. Ca me tombera sur le rable quand je m'y attendrai le moins. On a beau y penser, on n'est jamais pret a devenir orphelin.

— Un instant, fiston, la Beauce, c'est du ressort de la Crime de Chartres. Je connais le commissaire Roykeau, c'est un excellent flic.

— C'est bien ce qui m'inquiete, papa. A l'heure qu'il est, je suis surement son principal suspect.

* * *

Quand j'explose, tous les mecs de Nagasaki s'enterrent dans leur cave a charbon et ceux d'Hiroshima, plus facetieux, se font hara-kiri avec une fourchette a escargots, les poilus du Chemin des Dames executent un triple salchow arriere dans leur tombe et Alfred Nobel me reclame des royalties sur la dynamite qu'il a inventee juste avant son prix de la paix. Et la, fais confiance, j'explose vraiment.

— Mais qu'est-ce que tu foutais dans une rave-party, bougre de n?ud volant ?

— Laisse-moi au moins t'expliquer, gueule pas comme ca !

— Je gueule tant que je veux et ne me parle pas sur ce ton !

L'Antoine, il n'en mene pas plus large qu'une bonne s?ur tutsi voyant debouler un regiment de Hutus, bites et machettes en mains. Il tente encore sans conviction de me calmer. Mais il me pratique depuis assez longtemps, et toi aussi vieux paf, pour savoir qu'on n'endigue pas une eruption san-antonienne. Lorsque la furie s'echappe de mes entrailles il faut s'attendre a des consequences pompeiennes.

— Ecoute, papa…

— Je n'ai rien a ecouter ! Non, mais regardez-moi ce merdaillon qui pretend entrer dans la police et qui va se defoncer a coups de decibels techno et de came pourrie avec des chimpanzes de son espece…

Il profite de ma respiration pour tenter sa botte secrete.

— Je n'ai touche a aucune drogue, papa !

— Tu essaies de m'embrouiller. De toute facon, un came ca ment tout le temps.

— Non, je te jure. C'est fini, ces conneries-la…

— Alors comment tu t'es retrouve dans cette bechamel ?

Sentant que ma rage mollit, Antoine adopte le profil bas et le ton mielleux d'un educateur rappele a l'ordre par son superieur pour avoir etourdiment oublie sa chevaliere dans le rectum d'un jeune scout a l'occasion d'un camp de vacances dont il avait la charge.

— C'est ce que j'essaie de te raconter, p'pa, mais tu refuses de m'ecouter.

Mon soupir equivaut a une reddition. Mais attention : une reddition temporaire car mes rechutes de rogne sont aussi brusques qu'imprevisibles.

— Vas-y et tache d'etre convaincant !

— J'ai fait la connaissance de Melanie dans une boite a Paris…

— Qui est Melanie ? je demande avec cette implacabilite faisant de moi a la fois un flic et un misanthrope d'exception.

— Ben… La fille tuee dans la rave-party, bredouille mon Toinet, perdant pied.

— Il y a combien de temps que tu l'as rencontree, cette mome ?

— Deux ou trois ans…

— C'est deux ou trois ? Un rapport doit etre precis.

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