Il me saisit les bras et me forca a me mettre debout, ses bras autour de moi.

— Est-ce que tu iras la-bas avec moi, Brawne ? Est-ce que tu m’accompagneras sur Hyperion ?

Je clignai les yeux d’etonnement, non seulement a cause de sa question mais egalement de la reponse que je lui donnai, et qui m’emplit soudain d’une sensation de chaleur :

— Oui. J’irai avec toi.

Nous nous retirames alors dans la chambre pour faire l’amour pendant le reste de la journee et dormir. Nous nous reveillames, a un moment, a la lumiere bleme de la troisieme faction de la tranchee industrielle au- dehors. Johnny etait sur le dos, ses yeux noisette grands ouverts, contemplant le plafond, perdu dans ses pensees mais suffisamment ancre dans la realite pour sourire et me serrer fort de son bras passe autour de ma taille. J’avais la joue confortablement calee dans le creux de son epaule. Je me rendormis.

J’etais dans mes plus beaux atours – tailleur noir en whipcord, corsage en soie de Renaissance avec pierre de jaspe de Carvnel au ras du cou, tricorne d’Eulin Bre – lorsque je me distransportai, le lendemain, en compagnie de Johnny, sur TC2. Je le laissai dans le petit bar aux cuivres et aux boiseries factices, pres du terminex, mais non sans lui avoir glisse, dans un sac en papier, l’automatique de mon pere, avec pour instruction de tirer a vue sur le premier qui faisait seulement mine de le regarder de travers.

— Parfois, la langue du Retz est un peu trop subtile pour moi, me dit-il.

— Cette expression est bien plus ancienne que le Retz. Fais a la lettre ce que je te demande.

Je posai un instant ma main sur la sienne, puis m’eloignai sans me retourner.

Je pris un taxi aerien jusqu’au Complexe Administratif et dus franchir a pied les neuf controles de securite pour pouvoir penetrer dans le Centre. Puis je traversai les cinq cents metres du Parc aux Daims, admirant au passage la grace des cygnes glissant a la surface du lac et les batiments blancs au loin sur la colline. Il y eut encore neuf postes a franchir avant qu’une femme de la securite m’escorte enfin sur la route dallee menant a la Maison du Gouvernement, un elegant batiment qui se dressait au milieu de parterres de fleurs et de versants paysages. L’antichambre etait meublee avec raffinement, mais j’eus a peine le temps de prendre place sur un authentique De Kooning prehegirien lorsqu’un huissier se presenta pour me faire entrer dans le bureau de la Presidente du Senat.

Meina Gladstone se leva pour faire le tour de son imposant bureau et me serrer la main avant de m’indiquer un siege. Cela faisait une drole d’impression de la revoir en chair et en os apres l’avoir regardee tant d’annees a la TVHD. Elle etait encore plus impressionnante que sur l’ecran. Ses cheveux, bien que coupes court, donnaient l’impression de flotter derriere elle en plis grisonnants. Ses joues et son menton etaient aussi osseux et lincolniens que le proclamaient les pontifes de l’histoire, mais c’etaient ses grands yeux tristes et bruns qui dominaient son visage et donnaient a ses interlocuteurs l’impression de se trouver devant un personnage veritablement original.

Je m’apercus que j’avais la bouche seche.

— Merci d’avoir accepte de me recevoir, H. Presidente. Je sais que vous etes tres occupee.

— Jamais trop occupee pour vous, Brawne. De meme que votre pere ne l’etait jamais pour moi lorsque j’etais encore debutante au Senat.

J’inclinai legerement la tete. Papa m’avait un jour decrit Meina Gladstone comme l’unique genie politique de l’Hegemonie. Il avait toujours su qu’elle deviendrait un jour Presidente malgre son entree tardive dans la politique. Si seulement il avait vecu pour la voir…

— Comment se porte votre mere, Brawne ?

— Elle va tres bien, H. Presidente. Elle quitte de plus en plus rarement notre vieille residence d’ete sur Freeholm, mais je la vois chaque annee a Noel.

Gladstone hocha la tete. Elle s’etait assise sans facon sur le bord de l’enorme bureau dont les journaux disaient qu’il avait jadis appartenu a un President assassine – ce n’etait pas Lincoln – des Etats-Unis d’avant la Grande Erreur. Mais elle se leva en souriant et alla s’installer dans le fauteuil tout simple qui se trouvait derriere.

— Votre pere me manque, Brawne, me dit-elle. J’aimerais tellement qu’il soit la en ce moment. Avez-vous regarde le lac en arrivant ?

— Oui.

— Vous souvenez-vous de l’epoque ou vous faisiez naviguer dessus des petits bateaux avec mon Kresten, quand vous n’etiez tous les deux pas plus hauts que trois pommes ?

— A peine, H. Presidente. J’etais vraiment tres petite.

Meina Gladstone me sourit de nouveau. L’interphone bourdonna, mais elle le reduisit d’un geste au silence.

— Que puis-je faire pour vous, Brawne ?

Je pris une grande inspiration.

— H. Presidente, vous savez peut-etre que je travaille comme detective privee. (Je n’attendis pas qu’elle hoche la tete pour continuer.) Une affaire dont je me suis recemment occupee m’a ramenee au suicide de papa…

— Brawne, vous savez tres bien que l’enquete n’a rien laisse au hasard. J’ai eu entre les mains le rapport de la commission.

— Oui. Moi aussi. Mais j’ai decouvert il y a peu de temps d’etranges choses sur l’attitude du TechnoCentre a l’egard de la planete Hyperion. Est-ce que papa et vous n’etiez pas alors en train de travailler a un projet de loi visant a faire entrer Hyperion dans le Protectorat de l’Hegemonie ?

Gladstone hocha la tete.

— C’est exact, Brawne. Mais il y avait plus de douze autres colonies sur la liste cette annee-la. Aucune n’a ete acceptee.

— Je le sais. Cependant, est-ce que le TechnoCentre ou l’Assemblee consultative des IA n’ont pas manifeste un interet tout particulier pour Hyperion ?

La Presidente du Senat se tapota la levre inferieure avec son stylo.

— Quel genre d’informations avez-vous sur Hyperion, Brawne ?

J’allais repondre lorsqu’elle me fit taire en levant l’index.

— Une seconde !

Elle appuya sur la touche de l’interphone.

— Thomas, je m’absente quelques minutes. Veillez a ce qu’on amuse la delegation de Sol Draconi si je prends un peu de retard sur l’horaire.

Je ne la vis pas faire d’autre mouvement, mais une porte distrans bleu et or se materialisa subitement en gresillant a proximite du mur oppose. Elle me fit signe de passer la premiere.

Une plaine doree de hautes herbes s’etendait autour de moi jusqu’aux quatre horizons, qui semblaient plus eloignes que sur la moyenne des mondes. Le ciel etait d’un jaune tres pale, avec des trainees brun fonce qui auraient pu etre des nuages. Je ne reconnaissais pas cette planete.

Meina Gladstone apparut et toucha une plaque persoc sur sa manche. La porte distrans disparut. Une brise chaude soufflait sur nous des senteurs epicees.

Gladstone toucha de nouveau sa manche, leva les yeux vers le ciel et hocha la tete.

— Desolee de ce contretemps, Brawne. Mais Kastrop-Rauxel n’a ni infosphere ni satcoms d’aucune sorte. Vous pouvez maintenant poursuivre. Quelles informations sont arrivees jusqu’a vous ?

Je regardai de nouveau la plaine deserte.

— Rien qui justifie ces mesures de securite, je suppose. J’ai seulement decouvert que le TechnoCentre semble porter un interet particulier a Hyperion. Il a egalement construit une sorte d’analogue de l’Ancienne Terre. Un monde au complet !

Si j’attendais d’elle une reaction de surprise, j’en etais pour mes frais. Elle se contenta de hocher la tete en murmurant :

— Nous sommes au courant de cet analogue.

Ce fut moi qui manifestai ma surprise.

— Mais pourquoi la chose n’a-t-elle pas ete rendue publique ? Si le Centre est capable de reconstituer l’Ancienne Terre, il y a des tas de gens que cela interesse !

Gladstone se mit a marcher et je l’imitai, en allongeant le pas pour me maintenir a la meme cadence que

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