— La guerre ?

Elle hocha la tete, les levres serrees.

— Avant que la plupart des vaisseaux de spin puissent atteindre la region.

— La guerre avec… les Extros ?

— Au debut, oui. Mais il faut considerer cela comme une maniere de resoudre le bras de fer entre le TechnoCentre et nous, Brawne. Ou bien nous serons forces d’integrer le systeme d’Hyperion au Retz pour lui assurer la protection militaire de la Force, ou bien il tombera entre les mains d’une race qui meprise et deteste le Centre et ses IA.

Je m’abstins de lui rapporter ce que m’avait dit Johnny sur les contacts que les IA avaient eus avec les Extros.

— Une maniere de resoudre le bras de fer. D’accord, repliquai-je. Mais qui manipule les Extros pour qu’ils nous attaquent ?

Gladstone me devisagea de nouveau. Si son regard etait lincolnien en cet instant, c’etait que le Lincoln de l’Ancienne Terre devait etre un sacre coriace assorti d’un fils de pute.

— Il est temps de rentrer, maintenant, Brawne, me dit-elle. Vous devez comprendre a quel point il est vital qu’aucune de ces informations ne transpire.

— Je comprends surtout que vous ne me les auriez pas communiquees si vous n’aviez pas eu une bonne raison de le faire, repliquai-je sans me demonter. J’ignore a qui vous voulez les faire parvenir au juste, mais je sais tres bien que je suis pour vous une messagere et non une confidente.

— Ne sous-estimez pas notre determination de garder le secret sur tout cela, Brawne.

Je me mis a rire.

— Loin de moi l’idee de sous-estimer votre determination en quoi que ce soit, madame.

Meina Gladstone me fit signe de passer la premiere a travers la porte distrans.

— Je connais un moyen de decouvrir ou le Centre veut en venir, me dit Johnny tandis que nous foncions, tout seuls sur Mare Infinitus, a bord d’un turbobateau de location. Mais il est dangereux, ajouta-t-il.

— Tiens, voila qui va nous changer !

— Je parle serieusement, Brawne. Nous ne devons y avoir recours que s’il est imperatif pour nous de comprendre ce que le Centre redoute sur Hyperion.

— Ca l’est.

— Nous aurons besoin d’un intermediaire. Quelqu’un qui soit un veritable artiste dans les manipulations de l’infoplan. Quelqu’un de malin, mais pas suffisamment pour refuser de prendre de gros risques. Et quelqu’un qui soit pret a s’engager totalement et a garder le secret pour le seul plaisir de participer au plus enorme trip dont un cyberpunk n’ait jamais reve.

Je lui souris de toutes mes levres.

— J’ai exactement l’homme qu’il te faut.

BB vivait seul dans un appartement bon marche au pied d’une tour merdique d’un quartier sordide de TC2. Mais la quincaillerie qui remplissait presque tout l’espace de son quatre-pieces n’avait rien de bon marche. Tout le salaire de BB des dix dernieres annees standard avait du passer dans l’achat des jouets cyberpunks les plus a la pointe.

Je le previns tout de suite que nous venions lui demander de faire quelque chose d’illegal. Il repondit d’abord qu’en tant que fonctionnaire, il ne pouvait envisager cela. Puis il nous demanda ce que c’etait. Johnny commenca a lui donner des explications. BB se pencha en avant, et je vis briller dans son regard la lueur qu’il avait quand nous trainions ensemble sur les bancs de la fac. J’avais presque l’impression qu’il allait se jeter sur lui pour essayer de le dissequer a seule fin de voir comment fonctionnait un cybride. Puis Johnny en arriva au passage interessant, et l’eclat de BB se transforma carrement en une sorte de halo vert.

— Lorsque j’autodetruirai ma personnalite IA, declara Johnny, le transfert de conscience vers le cybride s’effectuera en quelques nanosecondes. Pendant cet intervalle de temps, les defenses peripheriques du TechnoCentre correspondant a mon secteur s’abaisseront. Les phages de securite s’occuperont aussitot de colmater la breche, mais il y aura quelques nanosecondes de flottement pendant lesquelles…

— Penetrer dans le Centre, chuchota BB, dont les yeux brillaient comme une antique console de visualisation.

— L’operation serait tres dangereuse, fit remarquer Johnny en detachant ses mots. A ma connaissance, aucun operateur humain n’a encore franchi la peripherie du TechnoCentre.

BB se frotta la levre superieure.

— Il y a une legende selon laquelle le Cow-boy Gibson aurait reussi une fois, avant la secession du Centre, murmura-t-il. Mais personne n’y a jamais cru vraiment. Et, de toute maniere, le Cow-boy a disparu sans laisser de traces.

— Meme si vous reussissiez a penetrer, lui dit Johnny, vous n’auriez pas assez de temps pour acceder a quoi que ce soit si je n’avais pas les coordonnees toutes pretes.

— Bordel a queue ! s’ecria BB en se tournant vers son pupitre pour y saisir sa derivation. Faisons-le !

— Maintenant ? m’etonnai-je.

Meme Johnny semblait sidere.

— Pourquoi attendre ? fit BB en fixant les attaches de sa derivation et les electrodes metacorticales, mais sans toucher au tableau du pupitre. Alors, on le fait ou pas ?

J’allai m’asseoir a cote de Johnny sur le canape et lui pris la main. Elle etait glacee. Son visage etait sans expression, mais j’imaginais ce que l’on devait ressentir face a la destruction imminente de sa personnalite et de toute son existence anterieure. Meme si le transfert reussissait, l’humain qui aurait la personnalite de John Keats ne serait plus « Johnny ».

— Il a raison, dit-il. Si nous devons le faire, pourquoi attendre ?

Je l’embrassai.

— D’accord. Mais j’y vais avec BB.

— Pas question ! fit Johnny en me serrant les doigts. Tu ne servirais a rien, et le danger pour toi serait terrible !

J’entendis ma propre voix, aussi implacable que celle de Meina Gladstone :

— C’est possible. Mais je ne peux pas demander a BB de le faire si je reste en arriere. Et je ne veux pas te laisser seul la-dedans.

J’exercai une derniere pression sur sa main et allai m’asseoir aux cotes de BB, devant le pupitre, en disant :

— Montre-moi comment on fait pour se relier a ce foutu truc.

Vous avez tous lu les descriptions faites par les cyberpunks. Vous avez entendu parler de la terrible beaute de l’infoplan, avec ses voies tridimensionnelles, ses paysages de glace noire, ses agregats de lumieres fluorescentes et de neons, ses boucles etranges et ses gratte-ciel miroitants de blocs de donnees sous les nuages flottants de la presence des IA. Je vis tout cela en chevauchant l’onde porteuse de BB. C’etait presque trop. Trop intense, trop terrifiant. J’entendais les menaces noires des phages de la securite a l’affut. Je reniflais l’odeur de la mort, malgre les ecrans de glace, dans le souffle des virus lances dans une contre-offensive generale. Je sentais sur mes epaules le poids de la colere des IA au-dessus de nous. Nous etions des insectes sous leurs pieds d’elephants. Et nous n’avions encore rien fait d’autre que voyager dans des couloirs de donnees autorises, sur un itineraire d’acces prepare a l’avance que BB avait concocte comme un devoir pour son Bureau des Archives et de la Statistique.

Avec mes electrodes superficielles et autocollantes, je voyais les choses de l’infoplan comme a travers l’ecran flou d’une vieille tele en noir et blanc alors que Johnny et BB les voyaient, pour ainsi dire, dans toute la splendeur d’une stimsim holo.

Je ne sais pas comment ils faisaient pour encaisser le choc.

— Voila, me dit BB dans ce qui equivalait, pour l’infoplan, a un chuchotement. Nous y sommes.

— Ou ca ?

Tout ce que je distinguais, c’etait un dedale infini de lumieres brillantes et d’ombres encore plus brillantes,

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